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Vagabondant dans les rues de sa ville, dont certaines portaient le souvenir du passage du jeune peintre, Luz transpirait l'art, et ce n'était pas que de la poésie. Elle avait passé tellement de temps à peindre avec Samson, à remplir les murs vierges de leurs coups de pinceau passionnés, que ses vêtements en avaient été trempés de peinture, du haut jusqu'au bas.

Quand ils avaient terminé le soleil, la jeune femme lui avait fait remarquer qu'il avait oublié le ciel, gardien de leurs émotions. Il avait hoché la tête en souriant, et avait alors ouvert un pot de peinture nommé RAL 5015, couleur bleu ciel. Aussitôt, Luz avait arrêté son geste, lui tendant à la place un pinceau recouvert d'orange corail. C'était étrange de peindre le ciel ainsi mais le brun avait opiné, toujours en souriant ; ils pouvaient le peindre de n'importe quelle couleur, personne n'y ferait attention. Si le monde avait été peint par un aveugle, les spectateurs l'étaient tout autant, occupés à détruire tout ce qu'on leur offrait, à coup de décapant.

Tandis que le soleil brillait un peu moins fort et s'effaçait à l'horizon dans le triste bourdonnement des abeilles, Luz s'engouffra une énième fois dans le tunnel de la station de métro, bien plus heureuse que les fois où elle venait d'observer le garçon sans n'avoir réussi à lui parler. La complicité qui s'était installée entre eux deux était déroutante, comme s'ils se connaissaient depuis longtemps, et c'était peut-être le cas, ou du moins, juste de vue.

La brune, les poches remplies de tickets, à force de prendre le métro tous les jours, allaient rentrer dans le véhicule, quand elle aperçut le vieillard avec la même barbe enneigée, ses lunettes en demi-lune, ainsi que sa canne dorée qu'il avait retrouvé. Il était au même endroit que Luz, quand elle s'était assise quelques heures auparavant, au milieu des cigarettes entamées.

Les yeux dans le vide, il mit du temps avant de remarquer la brune qui osait à peine croiser son regard, troublée par les iris embrumées du vieil homme.

— Voilà la fille qui a eu la naïveté d'accepter ma pauvre boîte ! s'écria-t-il enfin, moqueur mais pas pour autant fier de lui.

Luz fronça les sourcils, il fallait avouer, même si le vieux avait sûrement un grain, il n'avait pas tout à fait tort.

— Quelle idée j'ai eu d'offrir ces cigarettes à n'importe qui ! poursuivit-il, ponctuant ses paroles de grands gestes effrénés. Je savais à peine ce que c'était, comment peut-on faire confiance à quelque chose qui n'a même pas de nom ? Dis-moi que tu n'en as pas fumé ?

La jeune femme s'étonna de sa question, elle ne s'était pas imaginé que le vieillard puisse s'intéresser à elle.

— J'en ai fumé, assura-t-elle. Mais c'est fini maintenant, je crois que je peux enfin m'en passer.

L'homme se leva d'un bond pour s'approcher de Luz, les yeux avides de réponses.

— Comment as-tu fait ? Je sens, je sens que les couleurs me quittent, je ne distingue plus que la fumée de mes cigarettes et, et tes joues rosées, comment c'est possible ?

La brune lui fit un sourire compatissant. C'était difficile de répondre quand c'était quelqu'un d'autre qui l'avait forcé à arrêter.

— Il faut que vous retrouviez la personne dont vous rêvez en fumant ces cigarettes. Vous devez lui dire les mots les plus secrets, que vous n'êtes jamais parvenu à lui dire, même dans vos plus beaux songes.

Le vieil homme qui buvait les paroles de Luz sembla tout d'un coup pris de mauvais souvenirs, les yeux embués d'un sentiment que Luz ne parvenait pas à saisir.

— Je crois que j'ai compris, murmura-t-il, reprenant ses esprits. Je vais retrouver ma femme, c'est elle mon plus joli rêve.

— Vous savez où elle se trouve ?

Le vieillard lui avait tourné le dos, prêt à s'en aller. Il lança un dernier regard à la jeune femme, ses yeux chargés de reconnaissance.

— Elle est au ciel, dans le plus bel endroit qui puisse exister.

Luz laissa échapper de ses lèvres un hoquètement de surprise, s'avançant brusquement pour le retenir, mais le retenir de quoi ? Il avait du courage d'oser quitter ce monde, et peut-être aussi un peu de chance ; s'il sentait que sa place était ailleurs, elle ne devait pas avoir de regrets à le laisser partir.

La conscience pas encore tout à fait apaisée, elle monta dans le métro, sentant son téléphone vibrer dans sa poche. Elle y jeta un coup d'œil, étonnée de recevoir une notification.

Un message de son dealer venait d'apparaître sur l'écran illuminé :

« je me suis rendu compte que
j'ai perdu ma meilleure cliente.
j'ai des clopes à l'infini pour toi, dis-moi si tu es toujours intéressée. »

La jeune femme haussa un sourcil, amusée de la situation. Déterminée, elle effaça le numéro, sans même prendre la peine de lui répondre. Maintenant, elle en était sûre : plus jamais elle ne toucherait à ces foutues cigarettes.

Si tu reprends ton souffleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant