Le métro cavalait rapidement de station en station, s'approchant peu à peu de celle de Luz.
Son cœur battait à tout rompre au creux de sa poitrine, inquiète des effluves de fleurs presque étouffantes qui s'échappaient du coffret en bois qu'elle tenait toujours dans sa main, et qui embaumaient le métro, malgré le fait que le vieillard l'ait minutieusement fermé avant d'atterrir entre les doigts de la jeune femme.
Les passagers, eux, continuaient leur route, entraient et sortaient sans s'empêcher de lancer des regards troublés à Luz, hypnotisés par l'illusion que créait l'odeur, comme un mirage dans le désert. Le parfum de fleurs s'épanouissait dans l'intérieur du véhicule, colorant de la porte jusqu'aux sièges. Sur le sol sale et froid, semblaient pousser des herbes hautes qui venaient frôler les chevilles nues des passagers, retrouvant le sourire au son de la voix annonçant normalement les prochaines stations, devenue une brise légère comme une plume, mêlée au chant des oiseaux.
Cette odeur plaisait bien à Luz, et ses doigts curieux se risquaient à toucher d'un peu plus près l'ouverture du coffret, guidés par l'envie irrésistible d'effleurer les fleurs inconnues qui paraissaient s'y trouver. Sur le point de succomber au charme de la boîte, elle dût arrêter son geste, sa station venant d'être annoncée.
Elle sauta du métro dans le tintement des portes et de ses sandales, suivie du regard par encore quelques paires d'yeux fixes. Elle allait quitter la station, histoire de retrouver ses draps et les bras de Morphée mais une voix grave semblait en avoir décidé autrement. Elle sentit une main prendre la sienne pour l'entraîner dans un endroit plus discret ; il fallait avouer que ce n'était vraiment pas le genre de comportement qui rassurait le plus Luz.
La voix appartenait à un adolescent aux cheveux blond miel cachés en partie par une casquette noire à logo. Le garçon, étonnamment, semblait dégager quelque chose de différent des autres passants, peut-être par son teint moins pâle, plus lumineux et son regard plus vivant, plus lucide. Mais malgré cela, il semblait rythmé par la même fascination pour le coffret.
- Dis-moi, tu sais ce qu'il y a dans cette boîte ? lui questionna-t-il à toute vitesse, comme s'il n'avait pas de temps à perdre.
Elle se sentit bête tout d'un coup, devant le regard accroché au sien du garçon qui lui faisait bien comprendre que ce n'était pas que de simples fleurs qui se trouvaient au fond de la boîte.
- C'est de la drogue, réagit-il coupant court à toutes les questions qui s'accumulaient dans la tête de la jeune femme. Dès que je t'ai vu dans le métro, toi et ton parfum, j'ai deviné tout de suite.
Luz n'attendit pas plus longtemps et ouvrit la boîte dans une bourrasque violente et inattendue d'effluves et de sentiments. À l'intérieur, se trouvaient deux rangées de cinq cigarettes toutes garnies de fleurs aux couleurs éclatantes. L'effet qu'elles pouvaient lui donner ne lui plaisait pas, ses cigarettes lui contentaient largement et jamais elle n'avait jamais envisagé autre chose.
- Comment ça se fait ? demanda-t-elle en levant la tête vers le garçon. Un homme me les a offertes sans que je puisse lui poser plus de questions et m'a dit que je n'avais rien à craindre.
- Il a deviné tes pensées, répondit-il. Tu sais, la fumée rose de ces clopes ne t'apportera que du bien et t'amènera dans un autre monde, un rêve éveillé, quelque part loin, avec la personne dont cet homme a compris qu'elle occupait ton esprit.
L'adolescent la regardait de ses yeux brillants. Il était un peu plus calme, un peu moins pressé, comme s'il avait une affaire à régler.
- Le mieux, c'est que tu testes par toi-même pour te faire une idée, conclut-il en mettant sa main dans sa poche pour y ressortir un crayon et un bout de papier froissé qu'il griffonna pour le lui donner. Voici mon numéro, si peut-être tu as envie d'autres clopes, appelle-moi, j'en aurais toujours pour toi.
Il releva la tête en souriant ; son affaire était réglée, il venait de gagner une cliente. Il lui fit un signe de main modeste avant de repartir se perdre au milieu des passants, laissant Luz seule avec ses questions sans réponses, sur les effets que pouvait vraiment avoir ces cigarettes et sur ce qu'entendait le dealer lorsqu'il parlait de vie rêvée.
Elle quitta le métro ainsi, la sombreur de la nuit occultant ses craintes les plus vives. Peut-être que ces cigarettes ne seraient pas si terribles que ça, après tout, elles tombaient même plutôt bien ; la jeune femme avait toujours trop de temps pour rêver, mais jamais assez de nicotine.
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Si tu reprends ton souffle
Short StoryMonde en rose et cigarette à fleurs, Luz fume ses étoiles, ses couleurs, ses rêves, au goût d'interdit. ☆ → avril 2020