Le monde dans lequel vivait Luz donnait l'impression d'avoir été peint par un aveugle, alors, elle le repeignait à sa manière, remplaçant pinceau par cigarette et peinture par fumée rose.
Le soleil se couchait à contrecœur sur la ville et le garçon continuait son œuvre, sous les yeux de son admiratrice, tous les deux bercés par la douceur orangée de l'empyrée. Il était peut-être encore plus beau pour la jeune femme, toujours dans les vapes de ses songes parfumés, le regard caché par un voile invisible qui lui faisait perdre la tête.
Ses yeux lui picotaient un peu plus à chaque bouffée mais ça ne la dérangeait pas. Elle aimait même ça ; quand ses paupières se faisaient plus lourdes pour la plonger dans ses rêves avec le garçon, elle avait la sensation d'avoir des milliers de danseuses et danseurs qui valsaient sur sa peau dans un défilé de robes volantes et de chemises cotonnés.
Lorsque Luz rouvrait les yeux, le brun était toujours là, comme à chaque fois. De sa chambre aux rues de la ville peintes de ses fresques, il semblait la suivre n'importe où, à l'intérieur de sa rétine. La jeune femme ne pouvait pas être plus heureuse, elle se souvenait des nuits d'hiver où il ne peignait pas, où il n'y avait plus personne pour réchauffer son cœur et ses pieds devenus mauves à cause de la neige. Elle se consolait seule, laissant des messages chargés de nostalgie à ses amis trop occupés et dansant entre les murs blancs de son appartement en attendant naïvement que quelqu'un vienne lui prendre la main.
C'était l'été maintenant, et le jeune homme était plus souvent là, bien qu'il y avait encore des jours où elle ne croisait personne au coin de la rue.
Luz cligna des yeux faiblement, les effets de sa cigarette s'évaporaient peu à peu, tout comme le garçon qui venait de partir. Elle détestait quand la flamme s'éteignait, surtout qu'elle en était consciente ; c'était la dernière de la boîte, elle avait épuisé tout le stock en une journée. Elle soupira alors, agacée, tournant le dos à sa rue préférée.
Dans le métro, entre les drôles de passagers, elle vint à se demander si elle avait vraiment vu le garçon ou si c'était juste une illusion qu'avait façonné la fumée rose. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle avait affreusement besoin d'autres cigarettes, n'en pouvant plus de se prendre la vérité en face à chaque fois qu'elle en finissait une.
Son téléphone entre ses mains, elle écrivit, ses doigts tremblants de nervosité, un rapide message à son dealer pour qu'il lui en emporte des nouvelles.
Une fois rentrée chez elle, les minutes qui lui séparaient de l'arrivée de l'adolescent devenaient de plus en plus insupportables. Il lui avait glissé un simple « ok » suivi d'un second message que Luz avait à peine parcouru du regard.
« il y a quelques petits trucs
dont je dois te prévenir avant. »La jeune femme n'y prêtait pas attention, trop impatiente qu'il arrive et qu'elle puisse enfin refumer. Alors, quand elle entendit des toquements à sa porte, Luz crut ne pas pouvoir tenir une seconde de plus.
La porte s'ouvrit sur le garçon aux cheveux d'or, aujourd'hui les lèvres cachées par un léger foulard qui lui dévorait la moitié de son visage.
— Je peux rentrer vite fait ? demanda-t-il, jetant des regards inquiets aux alentours.
Elle hocha la tête, trop obnubilée par le sachet en plastique qu'il tenait dans ses mains qui laissait entrevoir les cigarettes envoûtantes.
— Avant de te les donner, débuta le garçon avec hésitation, je dois t'informer de quelque chose.
La brune commençait à perdre patience mais l'incita tout de même à continuer.
— Il faut que tu saches, qu'à force de fumer trop de clopes, tu risques de perdre ta vision des couleurs, ou plutôt, tu risques de ne pouvoir voir qu'une seule couleur le reste de ta vie.
— Laquelle ? s'interrogea Luz.
— Du rose. Du rose comme la fumée de ces clopes. Crois-moi, ce n'est pas joli à voir et j'ai beau en vendre, je ne viendrais plus t'en procurer si ta vue commence à se détériorer. Tu comprends, ça me ferait une mauvaise réputation, je ne veux pas que l'on connaisse les effets négatifs de ces produits.
Il lui tendit malgré tout le sachet de cigarettes sous le regard dubitatif de Luz, et s'en alla sans dire un mot, tout en faisant tinter en même temps que la porte d'entrée, les pièces d'or dans sa poche que la jeune femme venait de lui donner.
Cette dernière, d'ailleurs, ne semblait pas particulièrement touchée par les avertissements de l'adolescent qu'elle n'avait écouté que d'une oreille. Elle se disait, après tout, qu'est-ce qui était si grave de ne voir que du rose ? C'était toujours moins grave que de continuer à vivre dans un monde gris et délavé, non ?
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Si tu reprends ton souffle
Short StoryMonde en rose et cigarette à fleurs, Luz fume ses étoiles, ses couleurs, ses rêves, au goût d'interdit. ☆ → avril 2020