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Luz marchait vers sa chambre, à peine éclairée par la Lune, d'un pas lent, alourdi par le poids des mots restés au cœur d'elle, qu'elle n'avait pas su dire au jeune peintre. Elle avait déjà parlé à deux personnes en une soirée, ce qui était un record, alors crier son amour, ses rêves et ses envies sur tous les toits l'aurait sans doute fatiguée davantage.

Son masque l'avait quitté lorsqu'elle avait franchie le perron de son appartement et, les traits de son visage se brouillaient déjà pour mieux refonder son sourire, son regard sombre et ses pommettes creusées par les fossettes. Dehors, loin du garçon, elle préférait se fondre dans la masse, devenant malgré elle comme tous les hommes-fantômes, sans visage et sans trajectoire, qu'elle plaignait pourtant sans cesse.

Elle se laissa tomber sur son lit, écrasa en même temps le poids de sa tristesse, et posa le pinceau abandonné sur sa table de nuit, son regard scrutant le portrait qu'avait un jour dessiné le garçon. Il l'avait abandonné une fois sans le vouloir et Luz, qui l'observait comme tous les soirs, n'avait pas pu s'empêcher de le ramasser, happée par les coups de crayons si bien exécutés. Sous cette merveilleuse justesse, l'on pouvait deviner chaque trait tracé, chaque passage de la gomme qu'il avait dû effectuer pour y dessiner une femme aux yeux aussi brillants que des onyx, aux cheveux cafés bouclés dont quelques mèches caressaient sa joue dorée par le soleil, aux lèvres rouges éclairée par un rai de lumière que le garçon n'avait pas laissé là au hasard.

Luz détourna ses yeux du portrait qui l'avait trop souvent rappelé ses traits imparfaits, trop réels. La ressemblance entre elle et le croquis était flagrante et la jeune femme l'avait tout de suite remarqué, mais le portrait avait quelque chose qu'elle n'avait pas : la beauté. Même si le peintre avait le don de rendre la chose la plus laide la plus belle possible, elle savait que si un jour il la peignait, jamais il n'arriverait à rendre l'œuvre belle ; et c'était bien pour cette raison que le portrait ne pouvait pas la représenter.

Son cœur se vidait peu à peu, lassée de son bol d'air, elle avait besoin de le remplir d'un peu de fumée, blanche ou rose, peu lui importait. Tenant toujours la boîte en bois dans sa main, elle fut une fois de plus transportée par l'odeur, désirant juste la sentir de tout son être, goûter chaque parfum qui s'en dégageait, sentir chaque fleur qui pousserait dans le vide de sa poitrine, un peu plus de vie chaque jour, un nouveau souffle qu'elle reprendrait.

Son briquet s'alluma, goutte d'espoir dans l'obscurité de la pièce, sans que Luz ait eu le temps de dicter les mouvements de ses doigts trop impatients. Ses yeux clignèrent quand elle fit s'éclaircir la cigarette d'où naissait une douce étincelle, qui semblait à elle seule orchestrer les battements de vie de la jeune femme. Elle glissa la cigarette entre ses deux lèvres pour souffler et en dégager une fumée rose et étincelante.

Celle-ci redessinait les murs de sa chambre, rendant le lieu inconnu et étranger. L'amoureuse avait la sensation de perdre conscience tout en revenant à la vie, emportée par le vent onirique qui lui soufflait d'apaiser son cœur, dans un autre monde.

Le ciel dehors arborait ses plus belles couleurs, contrastant avec la sombreur de la pièce sortie des pensées de Luz. Le doux soleil régnait en maître au-dessus d'une colline peuplée de tulipes et de violettes, et la brise lui murmurait des mots doux, fouettant sa robe de soie. La jeune femme se tenait en haut de la colline, adossée à un citronnier, refuge de son enfance passée. Un ruban jaune noué autour de son chapeau de paille s'agitait au vent comme l'étendard du bonheur dans un pays de paix.

Le jeune peintre se trouvait plus loin, occupé à grimper la colline, ses pieds nus écrasant les quelques trèfles et pissenlits sur son passage. Certaines mèches de ses cheveux noirs effleuraient ses paupières et dans ses yeux pourtant gris semblaient naître toutes les couleurs du monde.

Arrivé jusqu'à Luz, il lui prit la main tendrement en lui murmurant des mots que seuls eux pouvaient comprendre, une conversation de regards, des paroles lèvres contre lèvres.

Un morpho bleu s'envola vers le ciel devenu rose, que le brouillard commençait déjà à envahir, couleur fumée, rappelant à Luz la cigarette sur le point de s'éteindre.

Le rêve se dissipa quand ses paupières s'ouvrirent, la faisant revenir à sa triste réalité. La jeune femme, la main dans la boîte en bois, n'avait qu'une seule idée en tête qu'elle n'arrivait pas à chasser de son esprit : reprendre une cigarette et goûter une deuxième fois aux étoiles, aux espoirs, au printemps, juste une dernière fois, encore quelques instants.

Si tu reprends ton souffleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant