~ illustration : Paradoxxam
L'odeur de pourriture était infâme. Elle prenait les narines, imbibait leurs tuniques comme l'eau de la rivière et semblait faire mourir les brins d'herbe encerclant le corps. La gueule de l'animal reposait entrouverte contre la terre, comme s'il avait tenté de crier lorsque la balle avait perforé le pelage blanc et noir de son cou.
— C'est le cinquième cette semaine.
La main de l'homme, caressant le flanc de la bête comme par désir de la réconforter de son triste sort, s'immobilisa lorsque cette voix résonna à travers la plaine. Ses yeux cernés, fatigués quittèrent le cadavre pour se poser sur les pieds nus qui étaient apparus devant lui.
— Et c'est toujours pareil. Ils abattent les venys et ne font rien de leur corps.
— « Ils » ?
L'homme, debout à côté de l'animal, lui jeta un regard mauvais tandis qu'il redressait lentement le dos pour lui faire finalement face.
— Les humains.
Malgré la pénombre, il n'eut aucun mal à voir le bout de ses oreilles pointues frémir lorsque ce mot franchit ses lèvres incolores. Ses yeux jaunes quittèrent les siens pour se poser sur l'horizon, là où les montagnes du Sud formaient une frontière naturelle entre la Vallée et le reste du monde. Derrière elles, les dieux seuls savaient à quoi pouvait bien ressembler les terres des No'dhen. Des humains. Aucun d'entre eux n'en était jamais revenu.
Le deuxième homme baissa à nouveau son nez pointu en direction du veny étalé entre leurs pieds nus. C'était une bête robuste, aux longues pattes fines mais puissantes et aux cornes tortueuses et acérées. Les venys étaient d'une beauté majestueuse, gracieuse, et ils n'étaient jamais sacrifiés en vain : la moindre partie de leur corps, de leurs sabots à leurs grands yeux ronds et noirs, était utile à leurs campements et ne devait être gâchée. Malheureusement, il était inconcevable pour leur peuple d'user d'une bête massacrée par la main humaine.
— Pourquoi font-ils une chose pareille ?, demanda le premier homme dans un souffle rauque. Les laisser pourrir dans la plaine, c'est...
— Retournons au camp. Nous devons faire notre rapport au Ma'Dern.
— Notre rapport ? Mais notre chef ne fera rien ! Il refuse toujours que nous nous attaquions aux No'dhen !
L'homme poussa un soupir résigné lorsque les deux grands yeux jaunes et ronds du chasseur se plantèrent dans les siens. Il était difficile de nier ses paroles. En cinquante longues années de règne, les seules et uniques fois où le doyen du camp – le Dern – avait accepté qu'ils prennent les armes contre les humains relevaient de la légitime défense. Et, en temps normal, ce pacifisme exacerbé lui convenait parfaitement, mais cela faisait plusieurs lunes qu'il ressentait un tiraillement nouveau à approuver cette politique, et pour cause ; si jamais les humains attaquaient leur campement...
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Lordish
FantasyDans les forêts du Nord, seul recoin du monde encore protégé de la civilisation humaine, Aeren grandit parmi les elfes du clan Feynrion. Bravant les interdits de son peuple, il se lie d'amitié avec Marya, une jeune humaine, et, le jour de son vingt...