Juliette, ô Juliette,
Le temps a coulé depuis ton départ. Il s'est égrainé depuis que tu as disparu dans la brume du désespoir. Te souviens-tu encore de moi ?
Mon âme est une éternelle actrice qui veut rejouer nos baisers endiablés, nos cigarettes fumées au clair de lune, nos soirées écarlates, là où le monde tanguait, quand nos rires fusaient comme autant de lames. Tu es le sujet de mes jours et le rêve éveillé de mes nuits. En partant, tu as arraché les poches de ta veste pour les glisser sous mes yeux épuisés. En partant, tu m'as laissé ton fardeau fantomatique.
J'ai tellement peur d'oublier ton nom que je le murmure chaque seconde, peu importe qu'on me réponde qu'il est temps de tourner la page, qu'il faut accepter la douleur. Non, je ne peux pas l'accepter et je suis effrayée par mon coeur qui bat entre silence et rage.
Il est vingt heures. L'heure de ton grand départ, cette fois où tu as fait ce que tu me disais faire de mieux, quand tu as peint de ton essence pourpre le sol de ta chambre pour en faire une oeuvre d'art. Cette heure où, quand les cloches sonnaient huit fois le crépuscule, tu as déployé tes ailes.
L'air marin sèche les innombrables larmes qui perlent sur les sillons de mes joues ; je ne pleure plus, ma tristesse consumée serre mon coeur. Je m'approche de l'océan. L'eau chatouille mes pieds, mais elle ne me fait pas reculer. Je jette ma tête en arrière. Mes cheveux tombent en cascade dans mon cou. Merci, Juliette. Tu es en moi ; j'ai tes tics, tes gestes, ton coeur, ton amour au bord des lèvres. Tu es moi. Je suis toi.
Je ne sais pas ce que je m'apprête à faire, je ne suis qu'un fantôme de plus déambulant entre deux mondes. Et au-dessus de ma tête, j'aperçois le ciel. Silencieux comme les sanglots qui roulent au plus profond de mon être. Tu me parais si lointaine, en-dessous de cette nuit sans fin.
Les constellations de notre amour pleurent des larmes d'or.
Le ballet de nos corps fiévreux fait frissonner mon être ; le fantôme de tes mains glisse sur les miennes, m'enlace, m'entraîne, me couvre d'amours orageuses. Les effluves polaires de l'océan me glacent le sang, et les vagues argentées du crépuscule érodent mon âme. Il paralyse mon corps comme tu l'as fait, des jours, des mois, des années en arrière, quand tu t'es enfoncée dans les ombres après avoir fait éclater nos barrières.
L'eau atteint à présent mon bassin ; celui que tu empoignais avec tant de force pour m'étreindre, pour m'empêcher de m'éteindre. Je baisse la tête, celle que tu as caressée ce jour de fête, celle qui fixait les fissures d'un sol sur lequel gisent les rêves des adolescents émerveillés, celle qui détenait une myriade de désirs qui n'attendaient que l'éternité.
La dernière fois que je t'ai vue, c'est dans le reflet de l'océan, celui qui nous a liées, celui qui nous a vues nous aimer, celui qui nous a vues pleurer. C'est ton sourire flamboyant que je vois danser dans l'eau qui ondule, comme une ultime caresse à mon âme brisée.
Puis je ferme les yeux pour noyer mes douleurs. Je le sais, je le sens ; je n'ai pas peur, parce que ce n'était qu'un au revoir, Juliette.
FIN.
VOUS LISEZ
Juliette
Short Story"Juliette, Les huit lettres de ton nom m'ont fait toucher la voie lactée." (Un grand merci à @Alo_Story pour sa couverture de toute beauté)