10 heures et 7 minutes

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La remise des prix individuels est bien plus tendue et sérieuse, tout le monde est pressé de voir les résultats. Alors, de trouver mon nom sur presque chacun des podiums, et suivie de très près par Théodora aux barres asymétriques, on ne peut s'empêcher de sauter dans tous les sens, cette fois.
J'ai remporté le concours général!
La réalisation se fait peu à peu, alors que je tiens chacune de mes médailles.
Kate, elle, a obtenu les meilleurs résultats de son équipe. Les Etats Unis sont arrivés sixièmes, et Kate n'est sur aucun des podiums, mais elle me regarde au loin, ne pouvant contenir son sourire. Je sens qu'elle n'est pas totalement satisfaite, mais sa routine au sol était époustouflante. Dans quelques jours, je pourrais la regarder danser tous les jours, jusqu'à la fin de ma vie. J'ai si hâte de partir avec elle.

Belà nous laisse la journée de libre, et j'en profite pour traîner un peu, ranger mes médailles bien au chaud dans mon bagage, et regarder les routines des hommes au sol. Mon gymnase est unisexe alors je n'ai jamais vraiment vu d'hommes faire de la gymnastique. C'est assez différent mais pas moins déplaisant. J'aimerais même essayer les anneaux, ça a l'air marrant.
Théodora arrive, me cherchant visiblement. "Qu'est ce que tu fais là?", me demande-t-elle.

"Euh... Je regarde les finales?" j'ai à peine le temps de terminer ma phrase qu'elle me coupe "On a un problème. Enfin, tu as un problème."

"Quoi? Comment ça?" le public applaudit et encourage un participant. De loin, il me semble qu'il s'agit de Yuka Sato.

Je suis donc mon amie dehors, et elle commence à pleurer. "Tu ne devineras jamais!", dit-elle entre deux sanglots. "Nous sommes invitées sur un jet privé pour rentrer directement chez nous!"
Il me faut quelques secondes pour comprendre, et la gravité de la situation me parvient. Adieu la Nouvelle Zélande. Jet privé ne peut dire qu'une seule chose: personne importante. Personne importante qui vient directement d'URSS pour venir féliciter ses gymnastes. Quelqu'un qui apprécie la gymnastique, à tel point qu'il est venu à nos championnats internationaux.

Le gouverneur.

Et bien évidemment, nous serions encore plus surveillées. Je ne serais même pas étonnée si nous avions chacune un robot plante verte. En plus, si la correspondance est directe, je n'aurais aucun moyen de rejoindre Kate aux Etats-Unis. En bref, tout est fichu.
Pour la seconde fois de la journée, je me remets à pleurer. Il faut que je trouve Kate. Il faut qu'elle sache que ce qu'il se passe. Mais comment lui expliquer sans parler? Là est le problème central.
Je ne peux pas partir sans rien lui dire quand même.

L'interview télévisée en compagnie des gouvernants se passe, et durant toute la durée, je suis ailleurs, bien que l'on me pose une quinzaine de questions.
Je réponds nonchalamment, en me demandant comment je vais pouvoir filer hors de la vue des autres. Kate était introuvable lors de mes derniers instants de liberté. Et de toute façon, ce n'est pas comme si j'aurais pu lui dire dans un anglais parfait "salut, mon pays est nul alors on nous flique pour que nous rentrions bien toutes dans nos prisons respectives."

Alors je boucle mes valises, l'air morose, et en arrivant au bus, j'aperçois un visage familier.
Kate me fixe, commençant à comprendre, et je lui fais un signe négatif de la tête.
Je pensais qu'elle partirait sans rien faire, mais elle m'envoie un baiser dans le ciel, en signe de compréhension.
Bon sang que je l'aime.

L'avion est là, il est vraiment minuscule. Je me retiens une fois de plus de pleurer, faisant silencieusement mes adieux à mon plus grand rêve et à la belle vie que j'aurais pu vivre auprès de la personne que j'aime.
Je n'ai pas encore prévu quoi faire quand je vais rentrer, mais j'ai tout le temps de me décider dans l'avion.

Les places nous sont attribuées et je me retrouve à côté de cette stupide Nellie Kim, mais je n'ai même pas envie d'être énervée. Je suis juste fatiguée.
Je suis faussement plongée dans un livre, bloquée sur la même page depuis trente minutes, quand le fossile me coupe dans mes pensées. "Aux prochains, ce sera moi, la meilleure." J'ai presque envie de lui rétorquer qu'il faudrait qu'elle soit encore en vie pour ça, mais je me contente de la regarder. Elle semble attendre une réponse, alors je feigne un sourire. Je n'ai pas envie qu'elle interprète mes mots en tant que menace de mort, elle est trop stupide pour comprendre autre chose que le premier degré.
Alors elle devra se contenter de ça, la deuxième.

L'avoir battue est un meilleur sentiment que toutes les insultes. Elle était morte de rage. Elle n'a même pas souri pour les photos. Je vais probablement découper son visage des journaux et l'encadrer quelque part.
Et j'en ferais de même pour Kate, mais pas pour les même raisons. Si nous ne nous revoyons jamais, j'aimerais au moins avoir un souvenir d'elle.
Puis je m'assoupis, en pensant aux prochains Jeux Olympiques et à Kate.

Quand nous atterrissons, je commence à penser au nouveau problème. Mes parents m'ont plus ou moins éjectée de la maison, alors je ne sais pas vraiment où aller. Ma valise est lourde et je ne veux pas parcourir le pays sans argent et sans abris.

Après avoir erré quelques instants dans la rue où se trouve la maison de mes parents, je me décide enfin à toquer.
L'accueil n'est certes pas chaleureux, mais je suis contente d'avoir quelque part où rester. Mes parents me font comprendre une fois de plus que la cloche tourne et dès que je serais majeure je devrais partir. Le seul hic, c'est que les prochains Jeux sont dans 4 ans, et mon 18ème anniversaire dans seulement 3.

Les mois qui suivent passent assez vite. Je décide d'apprendre l'anglais, alors Alexandr me donne un de ses manuels. Il a l'air aussi vieux que ma grand-mère, mais il fait parfaitement l'affaire. Après seulement quelques semaines d'apprentissage, je poste ma première lettre, qui part en direction de l'Amérique.

Je refuse de renoncer à Kate. Quoiqu'il en soit, nous nous retrouverons. Je veux la revoir à tout prix.

I'll always wait for youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant