I'll always wait for you

Léningrad

Aujourd'hui nous avons une compétition, les filles et moi nous sommes entraînées dur, afin de parvenir aux championnats internationaux. C'est un grand concours qui réunit plein d'autres gymnastes de différents pays et s'affrontent sur les différents agrès afin de déterminer qui est la meilleure.

Mon élément préféré c'est les barres asymétriques. Il faut allier avec perfection grâce et force, mais aussi vitesse et puissance. Belà dit que si je m'entraîne assez, on pourrait même aller jusqu'aux mondiaux, mais cela doit rester un rêve, nous ne le pourrons jamais.
En Roumanie, nous sommes contraints d'obéir aux ordres des communistes. On n'a pas le droit de faire ce que l'on veut. Mes parents me disent souvent que c'est pour notre bien mais je pense surtout qu'on ne nous dit pas tout.

Ce que les autres appellent « objectifs » pour nous, ce sont des rêves irréalisables. Je trouve ça si injuste. Belà se bat pour nous, vraiment, mais même si on parvenait aux mondiaux, nous ne serions peut-être même pas de taille contre elles. Nous ne savons rien de leurs routines, de leurs techniques, contrairement à celles des Tchèques ou aux Soviétiques.

Mais les internationaux, c'est le plus gros concours qui soit à notre portée. Les plus vielles de l'équipe ont même des amies parmi nos adverses, elles se voient souvent, le concours ayant lieu chaque année.
Moi, c'est la première fois que je suis ici, et, je l'espère, pas la dernière.
Je ne baisserai pas les bras, pas maintenant. Je me battrais de toutes mes forces pour aider Belà. Je veux que mes amies, mes soeurs, puissent aller ailleurs, voir d'autres cultures, d'autres techniques...

Nous descendons du bus, prêtes, déterminées, et nous rendons immédiatement aux vestiaires, enfilant le justaucorps aux couleurs de notre drapeau. Je me demande comment sera celui des soviétiques mais je n'ose pas demander. J'ai peur de sembler malpolie. Leur pays m'effraie, et elles aussi, pour être honnête.

La Roumanie n'a jamais battu les soviétiques, mais j'espère que cette année, on changera les choses. Je sais que nous nous sommes bien entraînées, et nous qualifier pour les jeux olympiques, même si nous ne pourrons pas y aller, est si significatif; savoir que vous avez réussi à avoir le niveau pour affronter les meilleures gymnastes du monde, c'est gratifiant, et j'aimerais avoir cette satisfaction, un jour.

Quand nous sortons, nous sommes accueillies par quelques applaudissements du public. Les caméras sont braquées sur nous. Je ne suis jamais stressée, mais cette fois je sens mes joues chauffer. Je ne sais pas ce que l'on va dire de moi. J'ai l'impression d'être minuscule à côté de mes coéquipières. J'arrange mon chignon trop serré, et m'impatiente.

Pourquoi est ce que personne ne bouge? Les juges sont tous debout. On attend durant de longues minutes, et les autres équipes arrivent. Et je comprends alors pourquoi nous devions attendre. Puisque nul autre que le gouverneur de l'URSS ne prit place dans l'estrade, entouré d'hommes en uniformes.

"Les filles, il faut chanter leur hymne. Ou contentez vous de mimer, mais faites-le." nous chuchote Belà.

Pourquoi devons-nous chanter leur hymne? Nous sommes Roumaines, pas soviétiques! J'aurais aimé refuser de m'adonner à leurs règles, mais Belà a l'air vraiment sérieux. Dons je fais semblant, les dents serrés.

J'adore mon sport. J'adore virevolter dans les airs, me balancer, sauter, danser, courir... Alors que je termine ma routine au sol, j'entends un tonnerre d'applaudissements. Ai-je conquis le public? Je salue, et me tourne vers la foule.

Bien sûr que non, ce n'était pas pour moi. Mais pour cette Nellie Kim et son double en sortie de poutre.

Ses joues étaient presque aussi rouges que son justaucorps. Si seulement elle avait été là quand j'ai réussi à le faire sur le sol, à l'entraînement. Elle serait encore plus rouge, mais de rage.

Je dois reprendre mes esprits. La gymnastique, ce n'est pas un sport où nous sommes censées nous haïr. Je devrais plutôt prendre exemple sur elle. La manière dont elle marche avec assurance, vers moi, d'un pas fort comme celui d'un éléphant. Imiter les animaux c'est artistique, apparemment. La manière dont elle me regarde, ne feignant pas un sourire, sa détermination, surtout quand elle me donne un coup d'épaule...

Je retire tout. Elle est vieille et stupide. Et dire que c'est la favorite des juges.

Je me rends à la poutre. C'est mon second point fort. La poutre allie précision et force. Tenir en équilibre sur quelques centimètres de large est compliqué, réaliser des figures l'est encore plus, et j'adore.
Ma routine est bien moins dansante que celle de miss soviet', mais pas besoin de connaître toute une chorégraphie quand on peut aligner deux souplesses arrière suivies d'un flip et d'un salto tendu. Il n'y a plus que moi et la poutre. Moi, et la gravité. Je termine en salto vrillé, et salue les juges. Je me tourne en direction de l'équipe soviétique. L'ancêtre me fige du regard, tout aussi rouge que tout à l'heure. Belà aussi me fixe, d'un regard que je ne connais que trop bien.

"Bravo! Tu as tout déchiré à la poutre!"

Je sais. Dans tes dents Kim Nellie.

J'observe alors la foule et ne peut m'empêcher de remarquer que le chef d'Etat me regarde. Me revoici minuscule. Que peut-il me vouloir? Vais-je me faire virer de l'équipe parce que j'ai certainement battu la tomate?

Il est l'heure du classement. Je ne sais pas vraiment à quoi m'attendre. C'est la seule compétition qui peut nous départager. Le plus gros concours auquel j'aurais jamais la chance de participer.

"En cinquième position, Carola Dombeck, pour la République Démocratique Allemande. En quatrième position, Théodora Ungureanu, de Roumanie. La troisième place est pour Olga Korbut, pour l'union Soviétique. En seconde position..."

Mon nom n'est toujours pas apparu. Je sens mon sang bouillir dans mes veines.

"Nellie Kim!"

Rien n'est gagné. Je croise les doigts, mes amies en font de même.

"Et la gagnante est..."

Je ferme les yeux et prie.

"Nadia Comaneci!"