Moscou

5 0 0
                                    

Je relis la dernière lettre de Kate, tout en préparant mon sac avant de partir. Je n'en peux plus d'être ici. Mon frère a été extrêmement gentil de me laisser vivre avec lui après ce qu'il s'est passé avec l'entraîneur, mais j'ai besoin plus que tout de partir, et loin.
Je dis silencieusement au revoir à mon lit, et prend le cadre avec Théodora et moi riant à la remise des prix de 76. Le temps passe si vite... Mais la photo glisse entre mes doigts et laisse apparaître une bien plus ancienne, qui date d'avant le déportement d'Alexandr. Il s'agit d'une photo de famille. Je revois alors mes parents et ma grand-mère pour la première fois depuis 1 an, et recolle la photo avec mon amie par dessus immédiatement.

Je suis en avance au gymnase, pour une fois, et je suis seule avec cet enflure de Belà. Je n'ai pas très envie de faire de fausses bonnes manières maintenant alors je file aux toilettes. Je ne sais même pas si il a réussi à comprendre pourquoi je suis partie. Et dire que je lui ai fait confiance depuis mon plus jeune âge. Quel connard.
Alors que je sors de ma cachette, le bus commence à être chargé et Emilia Eberle semble me chercher. Il s'agit de l'une des nouvelles prodiges, elle n'a beau avoir que 16 ans, elle a énormément de potentiel aux barres. Elle me rappelle Théodora, parfois, alors on s'entend bien, mais je ne peux pas prétendre être son amie pour autant.
Le bus part en direction de Moscou, alors nous discutons de stratégies, de mes premiers jeux... "N'empêche, tu as beaucoup évolué!"

"Ah oui? Et comment?" je lui réponds

"Et bien, comme la plupart des seniors, ton ancien agrès de prédilection n'est plus le même. Mais même en allant au delà de ça, c'est comme si ta technique entière avait changé. Je ne sais pas vraiment, mais quand on compare tes routines au sol d'avant et maintenant, c'est à peine si l'on peut croire qu'il s'agit de la même gymnaste." me dit elle.

Emilia parle toujours très vite, comme une sorte de petite puce surexcitée tout le temps. À son âge, je n'étais pas comme ça. Mais je me sens vielle quand je dis ça, alors je ne relève pas. "J'ai simplement commencé à apprécier la danse." Encore et toujours l'influence de Kate.

Le village olympique est bien différent de celui de Vancouver. On ne sent plus vraiment la magie ou le sentiment d'être dans un autre monde, mais simplement une envie d'impressionner les visiteurs avec de beaux bâtiments.
Les seniors ont droit à des chambres individuelles, alors j'en profite pour organiser ma chambre le reste de l'après-midi, me demandant si Kate est déjà arrivée.
Alors je sors un peu. Comme nous sommes "à domicile", nous ne sommes pas surveillées de très près comme à Vancouver, ce qui me permet de me balader. Les bâtiments sont vraiment gigantesques. Certes j'ai aussi pu observer ça au Canada, mais je n'ai pas l'impression d'être aussi proche de chez moi. On dirait que toute la pauvreté est cachée, comme si ces bâtiments représentaient tout ce que le pays veut être et non pas ce qu'il est vraiment. L'image de l'URSS au village olympique me révolte.

Lors de la première cérémonie, nous chantons l'hymne de l'URSS, cette fois, comme je m'en doutais. Je prends sur moi, il fait que je me plie aux règles pour mieux fuir. J'ai attendu 4 ans pour ce moment. Dans 1 semaine, je serais libre.
Encore faut-il que je trouve Kate.
Je scanne le public, et remarque quelques visages familiers, des amis de l'école, et je crois même apercevoir mon professeur d'anglais.
Mais pas de Kate.
Serait-elle restée aux États-Unis? Je sais que non, qu'elle ne me ferait jamais ça, mais je ne peux m'empêcher de divaguer.

Lorsque j'entre dans ma chambre, je trouve une note glissée sous la porte.
"Je vais chercher quelque chose ce soir.
Je t'embrasse, 🐸"
Aucun doute, il s'agit de Kate. J'attends minuit et enfile mon manteau avant de m'aventurer vers le gymnase, et je la vois, assise sur le praticable.
Alors ni une ni deux je cours vers elle, et je l'enlace dans mes bras.
"Nadia! Tu m'as fait peur!" me dit-elle entre deux baisers.

"Alors cette chaise?" Je complexe sur mon accent, mais c'est toujours mieux que rien. Au moins maintenant on peut se comprendre.
Kate et moi restons plusieurs heures à papoter ce soir là, rattrapant le temps perdu. On revoit un peu notre plan, tout en sachant qu'il y a peu de chances qu'il rate. C'est confortant, de savoir que nous y sommes, la fin de cette rude période pour nous deux.

Tout ce qu'il me reste à faire est de donner le meilleur de moi même. Alors je travailler d'acharne à l'entraînement puis aux épreuves, soutenue par mes amies et coéquipières. Kate est toujours dans les gradins à m'encourager. À ma grande surprise je classe seconde au concours générale, et même si c'est une soviétique, Nellie Kim ne m'a pas battue. Je l'ai croisée plusieurs fois, et elle semble plus senior que les autre seniors.
Mes routines au sol et à la poutres dansées ont plues aux juges, qui m'ont classée première, juste avant Kim au sol, d'ailleurs. À croire qu'elle sera toujours une des favorites. Je suppose que j'en fais partie, dans un sens, mais les Roumains ont toujours été sous-estimés. La relève est d'ailleurs clairement assurée avec Emilia et Melita Rühn, les prodiges de Belà.

Alors que je sors de la remise des prix, on m'aborde. "Nadia! Comme tu as grandi!"

Il s'agit de nul autres que mes parents, qui tendent leurs bras tout sourires. Je les regarde, incrédule. Pourquoi m'ont ils expulsée de la maison à cause des Jeux Olympiques pour revenir me faire des câlins au même événement? J'articule un simple "bonjour", ne voulant pas paraître impolie. Si nous étions quatre ans en arrière, je les aurais simplement ignorés.

"Ma fille, ça fait longtemps" dit mon père. C'est une blague j'espère.

"En effet!" je lui souris "Depuis que tu m'as virée de la maison, en fait." Je ne peux m'empêcher d'être sarcastique.

Leur réaction reste presque inchangée, ils affichent toujours leurs sourires niais et dénués de sens. Ce qui me laisse penser qu'ils cherchent quelque chose. Alors j'accepte leur proposition de repas, et nous nous retrouvons le soir même au restaurant du village.
C'est la première fois de nos vies que nous y sommes, étant trop pauvres pour aller ailleurs qu'à la cafétéria du quartier.
L'ambiance est assez tendue, mais encore plus quand mon père ose me demander combien j'ai gagné grâce au championnat.
"Et pourquoi donc? Je ne fais plus partie de la famille à ce que je sache."

Ma mère, agacée, me répond sèchement "Parce que nous sommes ta famille et avons bien plus besoin de cet argent que toi."

Je ne peux m'en empêcher, alors je me mets à rire. C'est sûr qu'ils ont besoin de l'argent, mais ils ne connaissent rien de ma vie. Ils m'ont ponctionné celui que m'ont rapportés les premiers jeux sous prétexte que je n'étais qu'une mineure. Revenir me parler après un an juste pour me demander ça...
Je ne peux pas. Alors je me lève, et sors de la salle. Tant pis pour eux. Je leur enverrai une partie une fois que je serais en sûreté, mais je ne veux pas être leur banque. J'étais leur fille, qu'ils ont reniée.

Alors que je me faufile dans le bus allant vers l'aéroport, exécutant le plan à la perfection, j'aperçois Emilia au loin, qui me salue. J'en fais de même, et rejoint la femme que j'aime, sans trop penser à grand chose, autre que la nouvelle vie qui nous attend. Nous allons passer quelques mois en Californie chez ses parents avant de partir s'installer ailleurs, loin de tout. Nous pourrions aller en Écosse, Italie, Mongolie... des endroits que j'ai vu dans des livres, que je désire tant découvrir.
Quand nous arrivons enfin, Kate prend ma main. Nous sortons et nous dirigeons vers les portes, chaque pas nous rapprochant de notre but, mais soudainement, des bruits de pneus couvrent tout autre bruit.

Deux vans noirs jaillissent, et nuls autres que Belà, mes parents, mes coéquipières et quelques soviétiques ne nous bloquent le passage.

I'll always wait for youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant