Vancouver

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Je n'avais pas vraiment la tête à ressortir ce soir. Je préfère dormir paisiblement. Après tout, Kate ne serait peut être pas venue, et je l'aurais attendue bêtement.
Durant ma routine sur le sol, je me rappelle de la position de ma main, et je la place ainsi. Ca ne fait pas beaucoup de différence mais ça me fait penser à elle. C'est marrant, cela fait à peine plus de 24 heures qu'on s'est croisées et Kate occupe chacune de mes pensées.

Je ne cherche personne du regard, et j'exécute tout ce que l'on me demande. Le surveillant me lâche un peu, même si ce matin il m'a attaquée dès le repas pour savoir pourquoi je m'étais coupé les cheveux. Heureusement que Théodora m'a sauvée.
Il me laisse tranquille, et c'est tout ce qui importe.
Ca importe assez pour que je regagne le courage de me lever après que toutes les lumières aient été éteintes.

Je me faufile bien plus discrètement que la première fois, et lorsque j'arrive au gymnase, je vois l'ombre de Kate, qui s'entraîne sur la poutre. Je pousse la porte vitrée, et je marche silencieusement vers elle.

"You didn't come yesterday." me dit-elle, le regard trsite.

"The man," je lui réponds, même si je n'ai pas vraiment compris la question. Si j'avais été à sa place, ça aurait été la première chose que j'aurais demandé.

"Oh." Kate s'assied et me fait signe de monter.

Je la rejoint, et elle place sa main sur la mienne. Mon cœur s'emballe, mais je n'ai pas le temps de réfléchir, Kate m'embrasse à nouveau, avant de m'entraîner dehors, et nous courons durant de longues minutes. Elle ralentit vers le stade, et se retourne vers moi en souriant. "Welcome."

J'ai l'impression d'être infime ici. Tout est immense, et le stade est ouvert sur les étoiles. Je ferme les yeux, essayant de garder cet instant à jamais dans ma mémoire. J'ai toujours du mal à réaliser que je suis aux Jeux Olympiques, et que dans quelques jours le monde entier aura les yeux rivés sur nous.
Mais parfois je réalise tout d'un coup, et je suis submergée d'un sentiment d'accomplissement, de fierté.
Me voilà dans un de ces moments.

Nous nous retrouvons tous les soirs après ça, une petite routine s'installe. Parfois, on se conseille sur des positions ou figures, d'autres, nous explorons le village, ou nous passons le temps à nous embrasser, aussi. Je préfère ça, mais je ne m'ennuie jamais avec Kate. Le temps passe si vite, et nous voilà déjà à quelques jours de nos épreuves.
Je soupire, pensant au temps qui passe trop vite. Dans moins de deux semaines je serais de retour en enfer.
Kate me serre la main, alors je la regarde dans les yeux, ses yeux que j'aime tant.
Elle casse alors le silence dans lequel nous nous complaisons, par soucis de compréhension.

"I want to spend the rest of my life with you."

J'aimerais comprendre ce qu'elle dit, mais impossible. Pourquoi n'apprenons-nous pas l'anglais à l'école? Je connais déjà à peu près la réponse. Politique politique, tout est question de politique en URSS. J'aimerais juste être normale.

"What?" je lui demande, puis Kate se met à mimer une maison, et me pointe du doigt, et se pointe ensuite. Il me faut quelques secondes pour comprendre, je lui souris et acquiesce de la tête.
"Together." dit-elle, en me serrant la main de plus belle.

Alors je commence à penser. Ce soir là, le sommeil vient facilement mais j'essaye de rester éveillée un peu plus, essayant de réfléchir à une solution, qui pourrait me permettre de rester avec Kate au delà des Jeux Olympiques.
Pendant l'entraînement, Théodora se trompe d'horaire, et cela me donne des idées. Un aéroport c'est grand, et bondé. Se tromper d'avion ne doit pas être si compliqué. Alors je réfléchis de plus belle.
Et le soir venu, j'explique mon idée à Kate.

Quand nos épreuves seront terminées, nous avons une journée pour terminer nos valises avant de partir. Je serais présente, mais une fois que nous serons à l'aéroport, Kate m'attendra avec un autre billet d'avion. Alors il me suffira de m'éclipser aux toilettes, assez longtemps pour que ma présence ne soit plus remarquée. Il me suffira de prendre l'avion de Kate, et je disparaîtrai à jamais de l'URSS.
Cette dernière acquiesce, et c'est ainsi que j'attends avec impatience le début de nos épreuves.

Ce matin, Théodora n'a ps besoin de me réveiller. Lorsqu'elle émerge, je suis déjà en train de me coiffer, ajustant mon chignon pour la dixième fois, le parsemant d'épingles pour qu'il tienne.
Quand nous rejoignons notre entraîneur, il semble encore plus stressé que nous.
Une des filles se fait reprendre pour avoir mis des paillettes sur ses yeux, mais plus rien ne m'étonne à ce stade, Théodora m'a demandé si ses boucles d'oreilles seraient validées par l'observateur, pour au final ne pas les mettre, trop souciante de l'avis de la plante verte.

Cette fois nous ne chantons pas l'hymne d'un autre pays. Pour tout dire, nous ne chantons pas, ce qui n'est pas plus mal au final.
On nous parle vite et doucement, puis les traducteurs nous donnent les ordres. Je passerais d'abord au sol, ensuite au saut, à la poutre et enfin aux barres. Mes épreuves sont sur deux jours, puis une journée de repos, et deux autres jours d'épreuves par équipe.

Je revois pour la énième fois ma routine aux barre. Belà insiste pour qu'elle soit absolument parfaite. le jour tant attendu de l'épreuve, je commence à désespérer. Et si je n'étais pas assez bonne, en définitive? Théodora essaye de me faire relativiser, et de me changer les idées, alors je lui parle de Kate et de notre plan. Elle me soutient et m'encourage, mais lorsque je me retrouve en face de l'agrès, c'est à peine si je me souviens comment respirer.
Alors je m'exécute, la tête vide. Je ne pense plus à rien, il n'y a plus personne dans la salle. Juste moi, et ces deux fichues barres en bois.
Un tonnerre d'applaudissements retentit, mais il paraît lointain. Je ne sais pas ce qu'il se passe, alors je laisse Belà me prendre dans ses bras.
Plus tard, lorsque le score s'affiche, je comprends alors.
10/10.

Nous donnons chacune le meilleur de nous mêmes, et trop occupées par les épreuves, Kate et moi ne nous retrouvons plus le soir, attendant d'abord avec impatience les résultats, certes, mais surtout notre petite manigance.
Les épreuves touchent à leurs fin et l'annonce des résultats par équipe vont être annoncés.
Mes coéquipières regardent le panneau qui flotte au dessus du gymnase, mais moi je fixe Kate, qui me sourit. J'aimerais tant lui tenir la main, mais bientôt je le pourrais.

L'URSS se retrouve à nouveau vainqueurs par équipe. La plante verte sourit, et Belà devient tout rouge. C'est vrai que les soviétiques ont bien concouru, alors je les applaudis, même si c'est quelque chose que j'aurais cru impossible il y a quelques jours de ça.
Quand on nous annonce que la seconde place nous revient, j'ai envie de crier et de sauter dans tous les sens, mais c'est interdit. Je me contente de sourire à n'en plus sentir mes joues, même si notre observateur me regarde d'un air noir. Je croise à nouveau le regard de Kate quand on nous présente la médaille d'argent, et je ne peux m'empêcher de lui adresser ce sourire.

Pendant tout le reste de la remise des prix, je suis dans un autre monde, si heureuse d'avoir accompli ça avec mes coéquipières.
Les pays communistes sont tous sur le podium, et je ne peux m'empêcher de visualiser les prochaines affiches de propagande: "regardez, le monde entier nous envie nos gymnastes!" mais je suppose que je ne serais pas là pour les voir. Ce qui ne me déplaît absolument pas, d'ailleurs.

I'll always wait for youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant