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Décembre 1986

"Tu sais que le mot "travail" vient du latin, tripalium, un instrument de torture.." Marmonna Eurydice en attachant sa cravate d'un geste rapide et precis.

A ses côtés, Dalila se figea dans ses mouvements et la regarda, perplexe.

"Comment ça ?"

"Et bien, à la base, ça vient de tri et de palis, les trois pieux. C'était en général un instrument en forme de croix, sur lequel était attaché un condamné à mort."

"Ravis de te l'entendre dire. Je peux savoir pourquoi ce genre de remarque, là, maintenant, tout de suite ?"

Eurydice plissa le front en regardant son reflet dans le miroir en face d'elle. Il lui renvoyait une image blafarde et terne. Les mois avaient passé depuis qu'avait été décidé l'utilisation méthodique des liquidateurs dans la décontamination de la centrale de Lénine V.I En Novembre Eurydice et Dalila étaient définitivement partit pour Minsk avant de s'installer à Moscou pour la durée de leur prise en charge.

A l'hôpital spécialisé dans le nucléaire de Moscou, elles avaient été inspectées sous toutes les coutures puis interrogées sans cesse par le KGB. Après qu'il ait été établit qu'elles ne représentaient pas une menace potentielle pour le gouvernement, on les avait laissé partir. Eurydice avait sentit un espoir naitre au fond de sa poitrine. L'espoir pour elle de rentrer en France et de revoir sa famille. Cependant toutes ses lubies avaient été anéanties très rapidement par le KGB. Elle avait obligation de rester en URSS, et plus principalement à Minsk.

Eurydice était restée silencieuse après le verdict, essayant de digérer le fait que ses parents allaient probablement la croire morte à tout jamais si elle ne rentrait pas au plus vite. Elle avait broyé du noir pendant plusieurs jours ensuite.

Dalila avait fini par la raisonner en lui rappelant l'imminence et l'importance du procès à venir. Enfin on demanderait l'avis d'experts sur ce qu'il s'était passé. Eurydice avait rit au début, elle n'en croyait pas un mot. Elle savait que le gouvernement protègerait ses intérêts à n'importe quel prix. Elle savait aussi que le gouvernement ne pouvait pas se permettre de paraitre faible aux yeux des Etats-Unis.

L'année précédente, Gorbachov avait lancé la Perestroïka, après le tollé provoqué par la catastrophe, son gouvernement avait tout mis en oeuvre pour que l'économie de marché devienne plus performante notamment en adoptant des principes inhérent au libéralisme économique. Dalila disait qu'il était encore trop tôt pour avoir un avis sur les réformes mais Eurydice savait simplement qu'avoir un avis tout court était un peu dangereux.

"J'en sais rien" Elle répondit finalement en pinçant les lèvres.

Dalila lui répondit par un sourire.

Si Eurydice était triste de ne pas pouvoir parler à sa famille, le fait d'avoir Dalila à ses côtés l'aidait franchement.

"Je me demandais ce qu'on allait faire ensuite ? Après le procès je veux dire ?"

La Commandante ferma les yeux et réfléchit, ce qui sembla être un long moment. Eurydice savait qu'elle choisissait consciencieusement ses mots.

"Je ne sais pas.. Le procès va probablement durer longtemps, très longtemps. Il risque d'avoir des répercutions énormes sur notre pays."

Eurydice ne releva pas le "notre", l'URSS n'était pas, et ne serait jamais son pays.

"Il faut que tu comprennes que les éléments que l'on va mettre en lumière lors de ce procès sont des éléments dangereux, ils sont susceptibles de changer toutes les choses ici-"

Crimson WineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant