[ Alea Jacta Est ]

334 10 2
                                    

Début Mars 1986

Eurydice avait toujours détesté son prénom, pas qu'elle le trouvait banal, en réalité il était peu commun et elle aimait ce qui était peu commun. Mais elle détestait ce qu'il y avait autour, les remarques des gens dessus, leur difficulté à l'écrire. Les Français étaient peut-être idiots, qui sait ?

C'était sans doute l'explication, elle n'était pas la seule à avoir un prénom peu commun, sa soeur s'était faite nommée Svania en l'honneur d'un mec pas connu d'Ukraine, où plutôt d'URSS par les temps qui couraient.. Vladimir, le plus grand, avait eut le droit au même traitement que sa soeur cadette, pour une raison mystérieuse, Eurydice semblait être la seule épargnée, les parents des jumelles avaient choisis un prénom si patriotique pour leur fille c'était pour rendre hommage à leurs racines Ukrainiennes, enfin surtout celles du patriarches, parce que sa femme elle, était plutôt issus d'une immigration Allemande vers la France avant le début de la guerre. Il fallait croire que malgré tout ce que les gens avaient pu dire sur l'Allemagne, une poignée d'entre eux avaient pu fuir avant la montée et l'emprise totale du NSDAP sur le pays. Enfin ils avaient fui mais pas pour très longtemps, puisque très vite rattrapés par le régime de Vichy en France.

Eurydice soupira, enfin, elle pouvait montrer de la gratitude, au moins sa mère avait échappé aux nombreuses déportations de Juifs dans les camps Polonais et à la Rafle du Vélodrome d'Hiver. Oui mais remercier qui. Dieu ? La religion avait longtemps fait débat dans la famille, la mère issus d'une longue lignée de Juifs d'ascendance Babylonienne n'était presque jamais en accord avec les idées de son mari, Chrétien Orthodoxe. Leur seul point commun c'était l'ancien Testament, mais ça s'arrêtait là.

Pendant toute son enfance Eurydice s'était sentie étouffée par cette guerre de religion se déroulant devant elle. Un jour elle en avait parlé avec sa soeur, cette dernière avait continué de se brosser les cheveux en marmonnant avec un haussement d'épaules que de toutes façons elle ne comprenait rien à la religion.

Eurydice aurait dû être heureuse que sa soeur ne pense pas aveuglément comme ses parents mais au contraire elle déplorait son manque de culture.

Ivan, le patriarche était rentré tout sourire ce soir là, il leur avait annoncé ce qu'il croyait être une bonne nouvelle. En tout les cas il semblait vraiment heureux comme un enfant à qui l'on annonce qu'il recevra un nouveau vélo à Noël.

"Sarah ! Mon amour ! J'ai enfin été accepté ! Nous partons pour l'Ukraine !"

Sa femme lui répondit par un regard médusé, elle lâcha le plat qu'elle tenait entre les mains, il tomba au sol avant d'éclater en des dizaines de morceaux de porcelaine.

"Mais enfin Ivan.." Elle lui jeta un regard paniqué. "Nous ne pouvons pas partir !"

Il pencha la tête, perplexe puis se baissa pour ramasser précautionneusement les morceaux au sol.

"Mais enfin pourquoi ? C'est la chance de notre vie, je sais que l'URSS est moins tolérante que la France mais l'Ukraine est mon pays et il me manque, ce sera l'occasion pour les filles de découvrir une nouvelle culture, elles ne parlent même pas Russe."

"Tu es celui qui s'es refusé à leur apprendre ta langue Ivan. Eurydice est la seule qui comprend le Russe parce qu'elle l'étudie avec un professeur."

Sarah, même quand elle était énervée, parvenait à garder du calme en elle, elle ne s'énervait presque jamais contre son mari, même quand celui ci devenait grossier.

"Et Vlad, tu as pensé à Vlad ?!"

"Il a 22 ans, chérie, il sait se débrouiller tout seul, notre fils est grand !"

"Et l'école pour les filles alors ? Elles doivent finir leur année scolaire !"

Encore une fois, son mari avait réponse à tout.

"Nous allons recevoir un fascicule pour chacune d'entre elles qui leur permettra de suivre les cours à la maison, Eurydice pourra passer quelques temps chez son frère en Juin pour passer ses concours."

"Tu es sûr ?" Sarah demanda d'une petite voix.

Il acquiesça et Eurydice su que par force de cajoleries, il parviendrait à la convaincre complètement.

Svania pleura toutes les larmes de son corps, suppliant qu'on la laisse ici, quitter son petit ami, semblait lui briser le coeur, Eurydice voulu la taquiner la dessus pour lui remonter le morale mais sa soeur se contenta de la fixer avec des yeux méchants et de déclarer que de toute façon elle ne manquerait à personne vu qu'elle n'avait pas d'amis, encore moins de petit copain. Eurydice avait eu l'impression qu'elle lui poignardait le coeur encore et encore mais n'avait rien répondu et s'était contenté de garder son sourire de façade.

Svania n'avait pas tors, il était vrai que pour elle se faire des amis était un parcours du combattant, elle ne faisait que très rarement le premier pas vers autres. Pourtant Eurydice ne manquait pas de confiance en elle, elle ne trouvait juste personne à son goût, les journées redondantes avec les mêmes personnes finissaient par la lasser de tout. Il se consolait en se disant que même si l'amour et les oiseaux bleus n'étaient pas de son côté, il lui restait encore son super cerveau très performant, capable de se souvenir des 50 premières décimales de Pi et de retenir chaque livre ou auteur qu'elle avait vu ou lu.

Son cerveau était la raison qui l'avait poussée à tenter Hypokhâgne. Elle pouvait réussir, ses parents croyaient en elle, tout irait bien.

__

Cela faisait deux semaines qu'ils avaient emménagé dans leur nouvelle maison de Pripyat. Svania boudait toujours et refusait de sortir. Eurydice avait elle aussi un peu peur de sortir ne connaissant ni la ville, ni ses habitant. Et surtout n'étant pas habituée aux coutumes et à la langue de l'URSS.

Elle passait donc le plus clair de son temps à lire des livres dans le silence liquide du petit appartement. Sa mère tricottait ou s'affairait en cuisine pendant que, de temps à autre Eurydice levait la tête et la regardait mollement.

"Tu devrait sortir un peu tu sais !"

Eurydice fut sortit brusquement de sa concentration, elle plissa les yeux.

"Pour quoi faire ?"

"Explorer"

Sarah haussa les épaules, ne sachant que dire d'autre.

"Bah moi j'ai pas envie d'explorer. Papa n'est pas là, je ne peux rien faire sans lui, et tu ne sors presque jamais de la maison."

Elle adressa un regard gêné à sa fille.

"J'ignorait que tu t'ennuyais autant" Grimace. "Ton père doit aller voir son frère demain, tu n'as qu'à l'accompagner."

Les yeux de la jeune fille s'illuminèrent à cette proposition.

"En effet, ça c'est une bonne idée. !"

|Le sort en est jeté|

------------------------------

Ce chapitre à vraiment été dur à écrire dans un aspect technique, je dois écrire à une époque où internet n'est pas démocratisé, les téléphones portables à proprement parler n'existent pas...

Un truc tout bête, je voulais écrire "Svania se lissait les cheveux (avec un lisseur)" alors oui les lisseurs existaient à l'époque (dès la fin des années 1800 même) mais ce n'était pas aussi démocratisé que maintenant.

Je voulais aussi comparer la "guerre" entre les parents avec l'intifada. Sauf que la première Intifada à eu lieu en 1987, soit moins d'un an après le début du récit.

Voilà voilà, c'est ce genre de choses qui font que ça peut parfois être compliqué d'écrire sur une autre époque.

Crimson WineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant