7. La théorie du complot

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Posée en terrasse, je prends le soleil avec Oréo, en attendant mes visiteurs.

De l'extérieur, je suis machinalement les allers et venues de Passi qui dresse la table du petit-déjeuner. Elle est de ces femmes naturellement gracieuses et faussement raffinées qu'une meilleure condition sociale pourrait parfaire. Très peu loquace et renfermée, il lui arrivait de me raconter sa vie à Mbuji-Mayi, de son mariage forcé à sa fugue : elle riait aux larmes des anecdotes de ses premiers mois à Libreville. Captivée, je l'écoutais religieusement décrire les horreurs que subissent les femmes sous les tropiques, bien qu'ayant dorénavant autant de droits dans la société que les hommes. Une pseudo égalité qui se traduit par le machisme des chefs d'entreprises, des collègues de travail, des maris dans les foyers ; ils découvrent avec stupéfaction que ces silhouettes qui leur inspirent des pensées salasses sont bien plus que des machines à féconder, des distributeurs de plaisir ou des punchingballs.

Mon téléphone est inondé de notifications, je survole les discussions instantanées, de nombreux forums inutiles, des messages de quelques personnes qui viennent aux nouvelles ou m'invitent à des événements. Le doute s'installe peu à peu dans mon esprit alors que je fais défiler l'historique des appels, l'écran affiche Colette, Maguy, Ambre, les matrones du clan N'kani, et des conversations de plusieurs minutes.

J'ai le sentiment d'avoir perdu le contrôle des récents événements. Daniel ne s'est jamais montré importun, qu'il s'agisse des affaires importantes ou des banalités, il sait de ma vie ce qu'il y a à savoir, je ne comprends pas comment lui est venu l'idée de faire des coups dans mon dos ?! Cette découverte me conforte dans l'idée que Daniel me cache des choses depuis le début.

Un quart d'heure s'est écoulé avant que Judas ne daigne pointer son nez, le traitre se dirige droit vers moi et me plaque un baiser sur le front.

- Bonjour woody leg !

- Ne t'assoies pas, j'allais prendre mon petit-déj.

- Oh...okay, après toi je te prie...

Un stupide rictus accompagne cette phrase, je ne sais pas ce qui m'est le plus insupportable, le sourire béat qu'il affiche ou l'air innocent qu'il se donne alors que tout en lui crie traitrise !

Quand il choisit de s'asseoir en face de moi je roule des yeux et me laisse choir, dépitée.

Me saisissant d'un couteau à pain que je fais tourner sur la pointe, je le regarde se goinfrer sans vergogne.

- Tu vois Daniel, j'essaies de trouver le meilleur moyen de te tuer sans qu'on puisse me soupçonner.

Il manque de s'étouffer, sa face se transforme en une grimace épouvantable.

- T'es tombée sur la tête ?! C'est quoi cette blague débile ?!

- La blague c'est toi qui joues à l'enfant de cœur alors que tu pactise avec le diable. Tu n'as vraiment aucun scrupule M'bala. Ecoutes, finis de t'empiffrer et sors de chez moi sans plus jamais revenir !

- Eh, je peux savoir ce qui se passe là ?! Je veux bien comprendre que ton état soit insupportable mais y'a des limites, tu ne me parles pas comme à ton gamin, je ne te permets pas !

Il jette la serviette de table dans le plat et se lève pour partir, je le suis.

- Fais un pas de plus Daniel et je te jure sur ce qui m'est précieux je te poignarde, crois-moi je n'hésiterai pas. Je me suis toujours tenue à l'écart de ma famille pour des raisons de sécurité et de stabilité, jamais je n'ai eu recours à aucun d'eux et il me semble t'avoir mis en garde à ce propos.

- Claude, écoutes je peux tout t'expliquer, s'il te plait poses ce couteau et discutons calmément..

- LA FERME ! TU N'AS RIEN A M'EXPLIQUER !!! Ce que tu as fait n'as qu'une définition pour moi : c'est de la trahison ! J'ai mis des années à me construire et toi tu viens tout détruire d'un claquement de doigts. Mais que croyais tu faire ?! Tu voulais de l'argent c'est ça ?!

- Souffres de m'écouter après si tu veux me tuer pour ce que j'ai fait libre à toi.

La douleur de ma jambe mêlée à toute cette colère me donne des maux de tête, mes yeux s'embuent de larmes, je me cramponne à la chaise avant de me laisser tomber sur le tapis.

Le sang et la cyprineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant