Je suis entré dans le milieu de la photo par hasard, et j'en suis sorti aussi vite que j'y suis entré. Ça a commencé un soir de bringue, au Bar de la Lune, évidemment.
Caro cherchait des modèles pour débuter. La macro la gonflait. Elle, elle voulait prendre des humains en photo, des corps, des vrais, des masses graisseuses figées dans l'instant. Il lui fallait de la chair fraîche. Ma masse graisseuse à moi a semblé lui convenir, car il ne lui fallut pas cinq minutes pour me proposer d'être son modèle. Amusé, je lui répondit par l'affirmative. J'étais très intrigué à l'idée que l'on puisse s'intéresser à moi en tant que "mannequin", figer mes tissus adipeux dans l'instant, bref, me prendre en photo autrement que pour garder un souvenir du camping de la Presqu'île de Giens à l'été 2015 (il était chouette, cet été-là, n'empêche ! Pleins de filles, tout ça)...
Rendez-vous fut pris pour le 24 juillet 2016. Le studio photo de Fronton était situé au dernier étage d'un ancien cinéma. Je fus tout de suite charmé par l'endroit, intimiste au possible, et par les gens que j'y rencontrais, tous passionnés de photo. Je discutais de cinéma crado avec l'un d'entre eux en attendant que les fonds et les décors soient mis en place.
<< Et Bad Taste, tu l'as vu ?
- Oui ! Une tuerie ! Et Braindead ?
- Énorme ! Bien crado ! Mais j'ai préféré Street Trash ! >>
Les photos issues de ce premier shooting, calquées sur la publicité pour La Nuit de l'Homme d'Yves Saint-Laurent, furent appréciées, et on ne tarda pas à me faire d'autres propositions.
J'aurai mieux fait de me casser une jambe, ce jour-là !
On me propose un shooting non-rémunéré* dans l'appartement privé d'un photographe, du côté du Pont des Demoiselles. Une série en clair-obscur du même type que celle de Caro, mais en plus osé. Du demi-nu, disons. Je sonne à l'interphone, on m'ouvre. Septième étage, allez hop ! Lorsque j'entre dans le studio, une femme nue prend la pose devant l'objectif, les yeux mi-clos et larmoyants, une lumière aveuglante braquée sur elle. Le photographe me demande d'enlever ma chemise et de me glisser tout contre elle. "Comme si tu voulais la baiser", m'indique-t-il. Ça ne me plaît pas du tout. Ce n'était pas prévu. Ce connard ne m'avait absolument pas vendu ça. Pétrifié par ce que je viens d'entendre, je laisse mes yeux se balader dans la pièce. Dans le fond du studio, je distingue de mieux en mieux ce qui se trame. Des silhouettes. Des silhouettes d'hommes. Nus. Leurs sexes turgescents à la main. Je commence à comprendre.
Tu veux que je couche avec cette fille que je ne connais pas pour le plaisir de tes potes pervers et avec ta bénédiction, en plus, fils de chien ?
Je tourne les talons, leur adresse à tous mon majeur dressé et je gueule.
"FUCK OFF ! JE FAIS PAS ÇA !"
Je claque la porte derrière mois et dévale les escaliers en insultant copieusement leurs mères, leurs sœurs, leurs grand-mères et les dix générations avant eux.
Des cas comme celui-là sont monnaie courante dans ce milieu. On ne compte plus les affaires d'attouchements ou de viol de modèles par les photographes. Je suis un homme, je sais me défendre. Celui ou celle qui outrepassera mon refus sera susceptible de s'en prendre une. Mais une nana ? Que peut-elle faire ? On fait miroiter de coquettes sommes ou de la notoriété à de pauvres filles, souvent paumées, puis on les manipule. Un photographe m'a expliqué un jour que les filles ayant eu une enfance traumatisante étaient les plus dociles. Elles se dénudaient plus facilement, selon lui. J'avais envie de lui cracher dessus. Le corps humain est une marchandise comme une autre, dans le milieu de la photo. Les gens veulent du sexe, de la vulgarité. Des seins, des fesses. Des jambes écartées, des bouches baveuses, des yeux avides de sexe torride.
La preuve en est que devant une photo de femme nue, on entend plus souvent "Elle est trop bonne" que "Woah ! Quelle belle photo !"
Si une nouvelle modèle apparaît, elle reçoit 50 propositions par mois. 4 ou 5 par an en moyenne pour un homme. Sur les 50 proposées à la fille, on lui demandera de se dénuder au moins sur la moitié d'entre elles. Jusque-là, rien de grave. Mais soyez sûr qu'elle aura à repousser bien des avances, et qu'elle aura affaire à beaucoup de gros porcs trop entreprenants qui ne prendront même pas la peine de lui demander de prendre la pose.
"Quand je te shooterai, il va falloir sortir le bromure" a dit un photographe à une de mes copines. Avec une nana, c'est simple, de dire ça. Sors-moi ça à moi, mon gars, et le bromure, tu vas le boire par les oreilles !
La photographie est une invention sublime, vraiment. C'est fascinant. Mais de grâce, préservez-vous de ce milieu dégueulasse, prenez soin de vous. Pratiquez seul(e) ou entre amis, mais fuyez si certains photographes vous contactent (liste disponible sur demande).
* Retenez bien ça : vous ne gagnerez pratiquement pas d'argent dans la photo si vous êtes une femme, encore moins si vous êtes un homme. Vous en ferez encore moins si vous n'êtes pas échangiste ni libertin. Et si vous refusez de vous dénuder devant un(e) photographe, autant vous dire que vous n'en gagnerez JAMAIS.
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J'aime mes copains, ma mobylette et le métal (surtout !)
Non-FictionL'histoire du garçon ordinaire qui aimait les filles, les mob', le métal, le punk, les bestioles improbables, ses parents, ses copains, le rhum, le gin-tonic et les vacances !