bang chan 14:59
Assis dans une pièce un peu miteuse, censée être une salle d'attente, je regarde autour de nous. Des rideaux rouges en velours encadrent les fenêtres, qui ne donnent pas ou que très peu de lumière, ils semblent n'avoir jamais été lavés depuis deux ou trois ans. Sur un meuble me paraissant ancien trônent trois tiges d'encens qui fument, au milieu de deux bougies.
Mon regard se porte alors sur les murs, un papier peint douteux et sale, puis enfin sur mes deux amis à côté de moi. Félix a eu l'idée d'aller voir une voyante, il nous a donc conseillé celle où va sa grande tante mais je vois bien que sur son visage, il n'est plus très sûr de son choix.
Quant à Minseo, elle a toujours le même regard doux et enfantin. Ses yeux viennent alors s'ancrer dans les miens et un sourire mutuel apparaît sur nos visages. Ma main prend la sienne et soudainement la porte, autre que celle que nous avons emprunté pour entrer, s'ouvre sur une vieille femme coréenne au regard un peu méfiant.
«... Vous êtes le petit fils de Madame Lee?»
Félix allait parler en se levant mais elle l'arrête d'un mouvement et ouvre grands les yeux en pointant du doigt Minseo.
«Elle.
-... Quoi?, demandai-je, presque sur la défensive.
-Pauvre âme égarée... Sa place n'est pas ici. Allez, entrez tous les trois.»
On se lance tous trois un regard peu confiant et nous entrons donc après la vieille dame.
Assis autour d'une table ronde, nous regardons la femme puis elle dit alors:
«Donne moi ta main, jeune enfant.»
Elle tend sa main à Minseo, puis après m'avoir regardé, un peu effrayée, ma petite brune pose sa main sur celle de la vieille femme. Cette dernière ferme les yeux et après un petit moment, elle se recule et ouvre les yeux en pleurant silencieusement.
«... Quel monstre... Ma pauvre... À un si jeune âge...
-Vous avez vu quelque chose...?, demande Félix.
-Tout. Que ce soit sa vie, sa mort. Tout, je vois tout... Mais ...
-Mais?, c'est à mon tour de lui demander.
-Vous devez vite la faire repartir. C'est pas bon qu'elle soit ici trop longtemps.. Les portes risquent de se fermer. Vite, vous devez le condamner.
-"le"? ... Son assassin?
-Oui. Une fois condamné, son âme sera en paix et c'est ainsi que sans rancœur elle pourra reposer tranquillement jusqu'à retrouver une autre vie.
-Une autre vie? Vous parlez de réincarnation?, je demande.
-Tout à fait.»
Je regarde alors Minseo qui, elle, fixe dans le vide. C'est alors ça. On avait raison, une fois Hyunjin sous les barreaux, Minseo partira. Mon cœur se briserait presque à y penser.
Félix tend un billet et remercie la femme puis avant de me lever comme mes deux amis, je leur fais signe de partir puis je me tourne vers la femme.
«... J'ai une question, Ahjumma, sur la réincarnation.»
18:12
Félix est rentré chez lui et nous aussi. Je suis sur mon lit, le dos contre mon matelas et les yeux rivés sur le plafond devant moi. Minseo est à mon bureau sûrement encore en train d'écrire sur mes post-its, comme elle aime faire dès qu'elle peut. Soudainement elle fait tomber mes cahiers de cours.
En l'aidant à ramasser les fiches éparpillées ensemble, je la vois prendre un tract qu'on m'a distribué en cours de littérature.
«Un concours d'écriture? Oh, tu devrais y participer Chan!
-Ne dis pas de bêtises... Que pourrais-je écrire sur le sujet de l'affection?
-Écris sur moi, dit-elle en riant avant de vite s'arrêter.»
En la fixant, je sens comme mon cœur battre de plus en plus fort, finissant presque par exploser dans ma poitrine. Je me relève sur les genoux, pour être à la hauteur de Minseo et passe doucement ma main sur sa joue. Nos lèvres n'ont plus que quelques centimètres entre elles.
Mon coeur bat presque au bout de mes doigts alors que je soupire de désir contre ses lippes. Puis soudainement, Minseo se tourne et rompt cet instant et finis par dire en se levant, tremblant de tout son être:
«N-Non mais sans rire... T-Tu devrais le faire ce concours. J'ai vu tes textes et tes chansons, ta plume est incroyable. Fais le... Pour moi.»
Je me lève et la regarde alors, me remettant de ce qui venait de se passer puis je hoche la tête. Elle allait pour sautiller en souriant jusqu'aux oreilles quand alors je répliqua:
«Quand tu l'auras dit.
-... Dit quoi?, dit-elle, perplexe.
-Que ce qu'il se passe entre nous, c'est pas que dans ma tête. Tu ressens ça toi aussi... Hein?»
Mes pas s'approchent d'elle et ma main saisit la sienne, froide. Un peu perdue, elle secoue la tête et recule, rompant encore notre contact.
«Je vois pas de quoi tu parles... Puis tu as dû oublier ce que je suis, Chan.
-Non, j'ai pas oublié et même, ce que je ressens, je le contrôle pas! C'est pas ma faute si je t'aime!
-Tu ne m'aimes pas Chan! On ne se connaît pas! Je suis un esprit, Chan! Je vais bientôt partir! Punaise, je t'ai dit de pas t'attacher!
-Donc toi, tu ne t'ai pas attaché peut-être?!, criai-je, devenant fou.
-Non! Je veux juste partir! Je m'en fous de toi et de quiconque! Arrête d'être aussi égoïste et ouvre les yeux, il n'y aura jamais rien entre nous! Car je ne suis rien! Tu tombes amoureux d'un esprit?! T'es totalement fou, tu es pitoyable!»
Après avoir dit ces mots d'une traite, elle quitte la pièce, me laissant là.
C'est comme un poids qui venait de s'abattre sur mes épaules. Si lourd, que je tombe à genoux et laisse alors les larmes s'échapper, elles ne cherchaient que ça après tout.
Pris d'une rage folle, je me lève et finis par tout faire valser. Je dégage d'un mouvement de bras tout ce qui était sur mon bureau, je retourne mon matelas et tout cela en hurlant mes trippes.
Jamais je n'aurai pensé que la vérité et l'amour pouvait détruire à tel point. Après on s'étonne que je n'esquisse pas l'ombre d'un sourire... Voilà ce qui arrive quand on ouvre un peu trop son cœur.
On nous le détruit.