III

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Ahmad avait peu dormi. Il était allongé sur son bat-flanc et ne bougeait pas, il observait la douce lueur blanchâtre qui traversait les rideaux poussiéreux. Il finit enfin par se lever, il regarda l'heure machinalement, comme s'il savait déjà ce qu'il apercevrait sur le cadran de sa vieille montre. 4 h 30. En ajoutant le décalage de 2 heures, ça faisait 6 h 30, l'heure à Alep. Jamais il n'aurait pensé que ce café médiocre qu'il prenait tous les matins finirait par lui manquer. À vrai dire, c'était surtout cette ambiance qu'il regrettait vraiment. Ce moment, où il passait le pas de la porte et qu'il apercevait tout ce beau monde assis à leur place, levant la tête et lui souriant sincèrement. S'ensuivaient des conversations endiablées qui ne se finissaient que lorsqu'il était l'heure d'aller travailler.

Il sortit de sa chambre sans faire de bruit et avança sur la pointe des pieds vers celle de Uri. Elle dormait paisiblement, le corps au milieu du lit et le bras gauche qui pendait dans le vide. Ahmad s'approcha d'elle et le poussa légèrement sur le matelas. Elle gigota, marmonna quelque chose avant d'aller se nicher contre le mur. Il l'observa sans bouger en souriant. Même s'il avait tout perdu, il pensait à ces autres personnes qui étaient désormais seules au monde, sans aucune famille. Au moins il avait encore la chance d'avoir ses deux filles. Il s'empressa d'essuyer une larme qui glissait le long de sa joue et se rendit à présent dans la chambre d'en face. Yana était allongée sur le dos, le visage apaisé. Elle ronflait légèrement. Ici aussi, Ahmad resta quelque instant, comme pour s'assurer que tout allait pour le mieux. Il sentait une douleur de déchirement dans sa poitrine. C'était le seul moment ou il avait l'impression de retrouver sa fille. Avec tous les évènements, il ne la reconnaissait plus, son sourire radieux avait laissé place à une étrange moue qui désormais, ne la quittait plus. Ses yeux pétillants d'enfant ne brillaient plus comme avant, un peu comme les siens, ceux d'un adulte qui avait trop vécu. Dans le fond, il comprenait sa réaction, mais il avait cette horrible impression qu'elle le tenait responsable de tout ce désastre. Cette idée le submergea à nouveau et un sentiment de tristesse l'envahi. Il sortit en vitesse de la chambre, il sentit le besoin de prendre l'air.

Il marchait dans l'obscurité sur la promenade près de la plage. Les quelques lampadaires l'éblouissaient et la fine bruine recouvrait sa chevelure poivre et sel. Le murmure des vagues l'apaisait et il continua d'avancer tout droit. Après une demi-heure, il s'arrêta quelques instants et s'assit sur le muret qui délimitait la plage. Il regardait autour de lui dans l'espoir de voir quelqu'un, mais rien, il n'y avait pas un chat, il était en tête-à-tête avec le chant des vagues. Il resta sans bouger à observer cette vaste étendue d'eau, imprenable et majestueuse. Le vent sifflait dans ses oreilles et balayait son visage, cela lui rappela ses moments sur son balcon après le travail. Plus qu'une habitude, c'était devenu son rituel, le seul instant à lui de la journée. Il s'amusait à observer ce brouhaha continu, les mobylettes qui essayaient de doubler les voitures par tous les moyens, les piétons qui rouspétaient. Il se souvint de la fumée chaude de sa cigarette, s'évaporant de sa bouche, puis de la voix mélodieuse de celle qu'il avait toujours aimée, arrivant calmement pour l'annoncer que le repas l'attendait. Quand il rouvrit les yeux, il remarqua que ses mains étaient humides. Les vagues raisonnaient plus fort, un sentiment étrange le traversa, comme s'il se sentait attiré par ce néant, par cette envie de disparaître au creux des remous. Au loin, le soleil se levait.

Loïc n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Ana était blottie contre son torse. De temps à autre, son visage se crispait, sa bouche s'ouvrait, ses paupières clignaient. Il observa les rayons obliques qui traversaient les volets. Il poussa Ana délicatement vers le bas-côté du lit et enfila son jeans.

Quelques minutes plus tard, il avançait d'un pas pressé vers la place du Marché. Il essayait tant bien que mal de se vider la tête, mais c'était plus fort que lui, il ne pouvait s'empêcher de revoir son sourire malicieux, sa peau dorée, ses cheveux ondulés.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 27, 2020 ⏰

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