- Le poignet moins souple Kaya ! Combien de fois faut-il que je te le dise, soupire l'instructeur.
Il ne va pas me lâcher lui ? J'en ai marre de ses critiques de merde, il n'est pas sévère il est injuste.
- C'est bon ! dis-je en répliquant. Il est déjà pas mal amoché, je pense que ce n'est pas un désastre ! lui fais-je remarquer en pointant du doigt le nain qui avait le dos en sang à la suite de mes coups de fouet.
- Ton père, le Souverain, ne m'a pas fait venir à La Capitale d'Egan pour instruire à sa fille de l'"à peu près" !
L'instructeur Erik s'approche de moi d'un air fâché, ses yeux bruns lançant des éclairs. Il en a ras-le-bol de moi, c'est sûr. Malgré l'obscurité de la pièce, je vois très bien les rides de colères qui s'étaient formées sur son visage crasseux.
- Tu es à deux doigts d'être la jeune la plus accomplie de notre Royaume et tous les petits détails comptent pour être l'héritière parfaite d'Egan. Je sais que tu n'aimes pas ce genre de torture et que tu préfères le couteau ou la souffrance psychologique, mais il faut que tu connaisses absolument tout. C'est comme ça. Et je ne vais pas m'excuser pour les caprices de mademoiselle !
Je déteste quand il me parle comme cela, je suis déjà la « plus accomplie », laissez-moi souffler ! Je serre ma main sur le fouet en l'imaginant suppliant, recroquevillé à mes pieds, en gémissant comme le nain avant de s'être évanoui.
- Bon, ce matin a été rempli de conseils avisés que tu as assimilés, je l'espère. Tu peux rejoindre ta chambre si tu veux, me propose-t-il en passant une main dans ses cheveux grisonnants.
Je range le fouet et remarque qu'il me tient la porte. Seulement dans le but de l'emmerder, je passe la porte à l'opposé de celle qui mène à ma chambre puis je l'entends jurer dans mon dos : ce qui me fait sourire.
Je crève la dalle et je suis épuisée, mais au moins, les séances avec Erik ont la qualité de m'être utiles sur le moment. Les cours de torture, de combat et de psychologie sont mes préférés. Bien sûr, j'étudie sérieusement l'histoire, la politique et les autres matières ennuyantes que mon père m'impose... Mais uniquement pour avoir le plus de cartes en main lorsque j'en aurai besoin.
Silencieuse, je marche dans les nombreux couloirs étroits de l'immense château de la Capitale d'Egan. Mes yeux bleus sont à l'aguet de la moindre trace du Souverain Zali, car je sais qu'il n'aime pas que je mange sans me montrer au Cercle Royal. Cependant, je les déteste. Soit ce sont des lèches bottes qui me disent à quel point je suis formidable, soit ils me parlent de ce qu'il faut faire pour le Royaume. Je préfère être seule, puis ce n'est pas bien compliqué car de toute façon, à Egan, personne ne peut compter sur personne. Et j'ai appris très tôt à me méfier de tout le monde, même de mes proches. Il y a quelques années, mon père me trouvait trop gentille envers autrui, il a donc décidé de préparer une sorte de course entre les enfants du château en promettant aux autres, sans me le dire, un peu d'argent s'ils faisaient tout leur possible pour que je tombe et que je finisse dernière. Le soir venu, mon père m'a expliqué ce qu'il avait fait et quand je me suis tournée vers mes "amis", ces derniers rigolaient en se moquant de ma déception et de mon visage ahuri.
Depuis, j'ai bien compris que tous auraient fait la même chose. Et c'est avec une joie sombre que j'annonce que je n'hésiterais pas à trahir une alliance pour le bien de ma petite personne.
Dans le fil de mes pensées, je n'avais pas remarqué que je m'étais dirigée, non pas vers les cuisines, mais vers la Bibliothèque. Et merde... Mon père passe pas mal de son temps libre au milieu de ces bouquins poussiéreux. J'essaye de me faire plus discrète encore. Malheureusement, une tête avec les mêmes cheveux de jais que moi fit son apparition.
- Kaya ? Je ne pensais pas te voir ici, avoue mon géniteur.
- J'étais dans mes pensées je ne savais pas où j'allais c'est tout, dis-je, sur la défensive.
- D'accord...murmure-t-il en pleine réflexion. Kaya j'ai quelque chose d'important à t'annoncer et cela ne va pas beaucoup te plaire.
En un éclair, je comprends ce qu'il va me dire. Depuis un mois, il double la vitesse de mes études et il me regarde d'un air anxieux quand il croit que je ne le vois pas. Et surtout, aujourd'hui, cela fait dix ans.
- Je ne veux pas y aller ! lui dis-je en haussant la voix et, sans le laisser continuer, je fais demi-tour. Mais il me stoppe en mettant sa main sur mon épaule.
- Tu n'auras pas le choix jeune fille !
Je me crispe et tourne ma tête en fixant sa main.
- Lâche-moi, tu sais que je déteste être touchée.
Il soupire comme à chaque fois que je réagis de cette manière et enlève sa main.
- Tu es très talentueuse Kaya et le peuple d'Egan a besoin d'un représentant dans les Troupes.
- Et les autres alors ? lui fais-je remarquer en lui faisant face.
- Comme à chaque décennie, beaucoup vont participer à la Répartition, mais tu sais, autant que moi, que cela fait quarante ans qu'aucun d'entre nous n'a été choisi. Je suis sûre que tu vas l'être, je le sens... Tu arrives à connaître les faiblesses de ton interlocuteur en quelques secondes et tu es une manipulatrice hors pair, comme la fois où tu as attesté à une fiancée que son promis la trompait pour annuler leur mariage car tu ne voulais pas aller à la cérémonie ! ajoute mon père, une lueur amusée dans son regard bleu glacial.
- Ça ne veut pas dire que je suis proche de l'esprit autant que tu le crois. Je lui rétorque en baissant la tête pour montrer mon désaccord profond.
- Si je me trompe, tu rentreras ! Cela ne changera rien et je te jure que tu auras mes excuses.
- Les promesses n'ont aucune valeur pour moi.
- Je vois que tu retiens mes leçons, approuve-t-il d'un signe de tête.
Je lève mes yeux et m'en vais dans la direction des écuries.
- Kaya tu pars dans une heure, tu devrais plutôt te préparer ! l'entends-je crier.
Sans prendre le temps de lui répondre, je sors et me dirige vers Alberto, mon hippogriffe. Je souris en pensant à la tête qu'ont fait mes parents quand, petite, j'ai voulu le sauver d'un de ses horribles éleveurs. Ma mère n'était pas encore folle et je pouvais lui parler normalement... Oui, enfant, je n'étais pas du tout la même. Certains me disaient que je n'étais bonne que pour vivre à Rilara. À presque seize ans, maintenant, c'est moi qui fais peur à ceux-là, et ce n'est pas pour me déplaire.
En nettoyant les plumes d'Alberto, je rumine à l'avance de mon arrivée à la Capitale Centrale. À Egan, je peux rester seule pendant de longues heures car ce n'est pas dans nos habitudes de faire ami-ami. Là-bas, les jeunes que je ne connais pas vont vouloir faire connaissances, parler, jouer ou je ne sais quelles autres façons ridicules de s'occuper.
Quoique, en y réfléchissant, cela pourrait être drôle de leur donner un bon coup de flippe ou juste de les envoyer paître. En plus je vais avoir une belle balade au-dessus du Fil, immense fleuve découpant en plusieurs parties Pasaulis. Il fait une grande boucle en son centre et l'ile qu'il crée est là ; où il y a de cela des centaines d'année, à été construite la Capitale Centrale. Six élégants ponts en pierres bleues, relient les six Royaumes : Ina, Omi, Ileaye, Ategun, Rilara et Egan, à la cité.
Après avoir installé la selle et m'être moquée d'Alberto qui grommelait de ne plus avoir de grattouilles, je monte sur son dos et pars pour une petite promenade dans les airs avec la ferme intention d'inquiéter mon père de ma non-présence, pour ensuite arriver pile à l'heure.
La vue d'en-haut est magnifique. La Capitale d'Egan n'est pas colorée, lumineuse ou même chaleureuse. Elle est simple, classe, noire et imposante. Les visiteurs des contrées étrangères ont toujours un frisson d'angoisse quand le destin les oblige à venir, et cette peur nous enivre de satisfaction.

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Pasaulis
FantasíaPasaulis est un monde composé de six Royaumes : Ina, Omi, Ileaye, Ategun, Egan et Rilara. Aucune guerre ne les oppose mais les différences entre chaque culture restent problématiques à une unification. Tous les dix ans se passe la Répartition des ad...