Tu es unique

Chapitre 1

Gilbert était assis dans le train en contemplant cette fausse fleur de tissus d'un air rêveur. Dieu qu'il avait apprécié cette journée. Il pensait que la grossièreté de Anne Shirley gâcherait cette sortie à Charlottetown, mais il n'en fut rien. Bien évidemment, il était blessé par ses mots et sa condescendance à son égard, mais la charmante et revigorante Winifred qu'il avait rencontré au cabinet médical avait changé la donne !

Désormais, il ne pensait plus du tout à une certaine rouquine, qui hantait pourtant ses pensées depuis le premier jour d'école. C'est à peine s'il remarqua sa présence lorsqu'elle s'assit à ses côtés. Il tourna distraitement la tête et lui demanda pour la forme :

-Alors comment s'est passé ta quête ? 

-Très bien. 

Il n'entendit pas vraiment sa réponse, plongé dans un rêve au souvenir de cette charmante sortie dans un salon de thé et de cette jeune femme très belle. Il ne vit pas le visage décomposé de Anne et ne remarqua pas qu'elle serrait le tissus de sa robe de plus en plus fort à mesure que le train les rapprochait d'Avonlea. Il repensait à la grâce de cette jeune femme qui était son aînée de quelques années seulement. Il se souvenait de l'éclat d'amusement dans ses yeux mais surtout, de l'intérêt qui les animait tous les deux. Il serait idiot de ne pas reconnaître que cette jeune femme avait émoustillé son intérêt, le surprenant mais lui offrant la possibilité d'échapper aux filet d'une certaine rousse atypique. Il soupira de bien être. Il ne perçut pas le mouvement à ses côtés. Il ne se rendit pas compte que la jeune fille avait quitté son siège et marchait d'un pas qui se voulait assuré vers le wagon des marchandises. Il se perdait dans les méandres merveilleux de cette rencontre rafraîchissante. Pas une seconde, il ne pensa qu'Anne n'allait pas bien. Pas une seconde, il ne fit attention à son étrange silence... 

Ce n'est que lorsque le train entra en gare qu'il sortit de sa rêverie et constata que la place de la jeune fille était vide. Voyant que son sac était toujours là, il ne s'inquiéta pas. Il pensa tout d'abord qu'elle s'était baladé dans le train alors il entreprit de la chercher. Mais au fur et à mesure qu'il avançait en demandant aux autres passagers s'ils l'avaient vu, son cœur commença à battre à un rythme anormale. Il demanda l'assistance des employés et bien vite, le jeune homme fut rongé par l'inquiétude face à l'alarmante situation : Anne n'était tout simplement pas à bord du train. Pourtant Gilbert pouvait jurer qu'elle y avait été ! Même le contrôleur l'avait vu lors du départ.

Lorsqu'il aperçut Matthiew et Marilla Cuthbert sur le quai, par la vitre du train, le jeune homme se sentit un peu plus misérable. Il avait perdu Anne alors qu'il avait promis de la protéger ! Il n'avait pas une seule seconde prêté attention à la jeune fille alors que son voyage avait sûrement dû être une épreuve pour elle, mais voilà : le jeune homme n'y songeait que maintenant et il était trop tard. Il serra les poing et perdit son sang-froid. Il donna un violent coup de pied dans une banquette et se retint de crier ! Il voulait se gifler ! Comment avait-il pu être aussi négligeant avec elle ?!