Melody papillonna des paupières quelques secondes avant d'émerger du sommeil. Elle soupira d'aise, se retourna dans ses draps, puis grimaça, car en bougeant les bandages de son bras avaient effleuré les couvertures et ça lui avait fait mal. Elle se remit sur le dos, puis ouvrit grand les yeux. Elle commençait à se lasser du plafond, alors que, pourtant, il représentait une fresque épique dans laquelle des sorciers en armure combattaient un énorme dragon, le tout dans un splendide camaïeu de rouge, toujours là pour lui rappeler où elle se trouvait.
Elle tourna la tête vers le lit installé à côté du sien. Adam y dormait encore. Enfin, il ne dormait pas vraiment. Les Médics' l'avaient plongé dans le coma « Le temps que son organisme se stabilise », avait-elle entendu, alors qu'elle feignait le sommeil. Son corps a elle, il était stabilisé depuis plusieurs jours et elle s'ennuyait beaucoup.
Faust avait fini par les rendre tous les trois aux sorciers venus les chercher. Melody, Adam et Clarence avaient traversé ensemble les quelques mètres de cendre grise pour se précipiter dans les bras de leurs parents respectifs, puis ils étaient tous rentrés à Londres. C'est là que les difficultés avaient vraiment commencé.
En se couchant enfin dans son lit, Melody s'était sentie un peu mal. Elle s'était réveillée en sursaut et avait vomi, vomi, et encore vomi, jusqu'à vomir du sang. Sa peau, aussi, posait problème : elle s'était desséchée et avait pris la texture d'un abricot oublié au fond d'un placard.
Tout ça avait beaucoup effrayé ses parents, mais elle, à ce moment-là, elle avait beaucoup trop mal pour avoir peur.
Melody soupira et passa le plat de la main sur le liseré rouge brodé sur l'ourlet de son drap, puis posa les yeux sur le bouquet de fleurs grenat disposés sur sa table de chevet aux poignées de tiroir écarlates, pour finalement se perdre dans ses pensées, le regard vague fixé sur les motifs couleur brique de la mosaïque murale.
Elle ne se souvenait plus très bien comment elle était arrivée à la Confrérie. Vesta, sa tante, qui l'avait sauvée des vampires Marie et Josh, était restée près d'elle très longtemps quand les médecins en robe pourpre soignaient toutes ses blessures. Ses séquelles d'irradiation, comme ils disaient. Elle était là lorsqu'elle s'endormait, et aussi là lorsqu'elle se réveillait, si bien que la fillette s'étonnait de le pas l'avoir déjà vu apparaître au pied de son lit.
Vesta n'était pas quelqu'un de désagréable. Elle se montrait même plutôt gentille, en fait. Elle lui apportait des sucreries (des pommes d'amour, des dragées à la cerise, des pâtes de fruits à la framboise...) et prenait parfois le temps de lui lire une histoire qui, toujours, mettait en scène un confrère ou une consœur des âges lointains et où les sorciers étaient chassés partout dans le monde.
Comme appelée par sa mention silencieuse, la jeune femme apparut dans la pièce et Melody se redressa d'un coup, car, comme chaque soir, Vesta était accompagnée par sa maman. Son père, lui, passait moins souvent. Ses compétences en sérum météorologiques étaient très demandées, disait-on : les Mycroft cherchaient encore comment contrôler la dispersion des nuages radioactifs autour de Londres.
« Bonjour Melody, salua-t-elle en venant la serrer dans ses bras. Comment vas-tu aujourd'hui ?
— Bonjour maman ! Ça va, mais je m'ennuie beaucoup. Quand est-ce que je pourrais rentrer à la maison ? »
La question tendit les traits de sa mère, même si elle tenta de le cacher derrière un grand sourire. Elle jeta un regard en coin à sa sœur, qui feignit de l'ignorer. Melody avait très bien compris ce qui se jouait : Vesta n'avait pas du tout envie qu'elle reparte chez elle, elle voulait la garder ici, à la Confrérie, pour continuer à lui lire des histoires de confrère, pour qu'elle en devienne plus vite une, de consœur.
« Je ne sais pas, ma cantate, mais j'espère très bientôt.
– Est-ce que tu as des nouvelles de Clarence ? »
Nouveau froncement de nez dissimulé, nouvelle gêne.
« Clarence est toujours dans le même état qu'Adam, souffla Aria avec douceur. Tu n'as pas à t'inquiéter pour elle.
— Si, je m'inquiète. »
Melody croisa les bras et toisa les deux femmes à son chevet. Elles la pensaient plus bête qu'elle ne l'était !
« J'ai réfléchi, poursuivit-elle avant qu'elles ne l'interrompent. Moi, je suis là parce que la Confrérie de Vesta veut que je sois là. Adam, il n'intéresse pas vraiment la Confrérie. Il est là parce que sa famille Mycroft l'a demandé et qu'ils paient pour lui. Ne me dites pas que c'est faux, j'ai entendu un infirmier le dire alors qu'il croyait que je dormais. Les Mycroft, ils n'auraient jamais fait soigner Adam ici si ce n'était l'endroit le plus sûr et approprié pour être soigné. »
Sa maman s'était assise sur le rebord du lit, un fin sourire de fierté au coin des lèvres. Vesta restait debout, bien droite et impassible, comme presque toujours.
« Donc, conclut la fillette, Clarence n'est pas soignée à l'endroit le plus sûr et approprié qu'il puisse être. Et c'est pas normal.
— Ses parents la font soigner dans un autre hôpital, Melody, c'est tout.
— Oui c'est vrai. Mais je crois surtout que ses parents ne peuvent pas payer la Confrérie de Vesta pour qu'ils soignent leur fille. »
Aria lança un petit regard en biais à sa sœur, ce qui assura sa fille dans ses convictions.
« Pourquoi les Mycroft ne paient pas pour elle ? demanda Melody, avec colère.
— Ce n'est pas leur fille, ma cantate, il n'y a pas de raison qu'ils le fassent.
— C'est notre amie, à Adam et à moi. »
Ne trouvant rien à objecter à cette affirmation, Aria entreprit de remettre de l'ordre dans le bouquet de fleurs, puis dans les cheveux de son enfant. Melody se laissa faire, soudain épuisée. La colère qu'elle ressentait depuis qu'elle avait compris les raisons de l'absence de Clarence l'avait vidée de toutes ses forces. Elle poussa un bref soupire d'aise quand sa maman caressa son front et y déposa un baiser. C'était le signe de son départ.
« Attends, maman, murmura Melody. Je voulais te demander... à la confrérie de Vesta, si je ne veux pas y rentrer, est-ce que je suis obligée ? »
Les doigts de sa mère se crispèrent une seconde sur sa peau, avant de reprendre leur va-et-vient dans ses cheveux. Vesta et elle avaient dû échanger des regards, car c'est la première qui répondit :
« Personne n'a jamais été forcé de devenir Confrère ou Consœur.
— Très bien, articula Melody d'une voix empâtée par le sommeil. Alors, dans ce cas, je veux que tu saches, Vesta, que si Clarence meurt, jamais j'accepterai. »
Dès le lendemain, un troisième lit fut installé dans la pièce, et c'est ainsi que Clarence fut sauvée.
FIN
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Melody, huit ans, deux vampires et l'apocalypse
VampireMelody a huit ans et elle adorerait pouvoir jouer sous la pluie. Juste une fois. Mais la pluie est acide. La pluie fait fondre les choses et les gens. La pluie, c'est un truc de grands. Même sa mère, qui est pourtant la sorcière la plus forte du vil...