SUR LA ROUTE DE CAMPAGNE, un arc de lumière danse entre les arbres. Ce couloir rayonnant parvient à l'œil par intermittence, comme un stroboscope. Dans la voiture, monsieur Spillman et son fils sont unis par le silence, uniquement troublé par le piano de Felix Mendelssohn qui passe à la radio. Le regard perdu à travers la vitre, Daniel observe le paysage défiler, attendant de retrouver la maison. Lorsqu'il ferme les yeux, la lumière à l'intérieur de ses paupières devient rouge et une chaleur agréable se répand à ses tempes.
— Es-tu fier de ton cousin ? demande monsieur Spillman.
— Bien sûr.
— Il en a surpris plus d'un.
Le jeune homme acquiesce.
— Que comptes-tu faire avec cette fille ? murmure-t-il.
— Quelle fille ?
— La nouvelle.
Albert Spillman jette un œil à son fils, puis reporte son attention sur la route.
— Selon toi ?
Daniel ne dit rien : il a compris. Il contemple le serpentin verdoyant de la forêt qui s'étend devant lui, un miroir d'eau reflétant la face du ciel près des buissons en contrebas. Un halo de lumière perce à travers les nuages, éclairant de ses rayons le théâtre crépusculaire.
* * *
OÙ SOMMES-NOUS MAINTENANT ? Vous pourriez vous poser la question, puisque cette maudite histoire vous balade sans trop d'explications. Au moins, vous comprendrez ce que ça fait d'être dans la tête de Daniel Spillman.
L'hôpital pour enfants dans l'abbaye. L'ombre des arbres du marais. L'allée du cloître et les cent pas. Le jardin clos. Le potager. La pureté virginale.
Les cris et les moqueries : « Pisse-au-lit ! »
Les prières, la lecture et cette voix puissante – des mots appris par cœur : « Et il dit, Maudit soit Canaan ! Qu'il soit l'esclave des esclaves de ses frères ! » Le long réfectoire. Silence de l'enfermement. Carré parfait. Hurlements enfantins. Couloirs surchargés. Lits partout. Grenier. Salle d'exercices. Les vapeurs du local d'hydrothérapie.
L'eau brûlante. L'eau glacée.
Torture.
« Dis, Spillman, jusqu'à quel point tu peux supporter la douleur ? »
La peau rouge. Pas blanche. Rouge.
« Lave-moi et je serai plus blanc que neige ! »
Frotté jusqu'à la nausée, derrière les paravents mobiles.
DANIEL SE RÉVEILLE EN SURSAUT, ses jambes emmêlées dans les draps moites. Il tente de reprendre son souffle, sans succès, et titube vers la fenêtre qu'il ouvre.
Un poids énorme lui comprime la poitrine.
Il inspire profondément l'air nocturne, mais une douleur sourde lui dévore l'estomac et monte à ses côtes. Un pincement lui tord le cœur et ses mains se cramponnent au cadre de la fenêtre. La blancheur de l'ossature dessine de manière emphatique les reliefs de ses phalanges. Lentement, il desserre sa prise, mais ses articulations peinent à se détendre. Il observe un moment les arbres se mouvoir au rythme du vent, pencher vers la droite pour aller retrouver brutalement leur point d'ancrage.
Daniel se redresse et entend le cliquetis d'une lampe dans le couloir. Alors qu'il quitte sa chambre et s'apprête à descendre l'escalier, le passereau aux plumes rouges le surveille depuis sa cage. Son œil noir et brillant l'observe avec l'intensité d'un délateur.
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Kuklos
Ficción GeneralUSA, juin 1960. Dans une petite ville de Louisiane, le jeune Daniel Spillman étouffe, couvé par une mère possessive et un père l'accablant de brimades et de coups. Un jour, une jeune missionnaire, prénommée Madeleine, frappe à la porte de cette fami...