Aziraphale

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L'Apocalypse.

Elle était prévue depuis le début.

Tout était écrit.

Malgré les efforts déployés par une poignée d'humains, un ange et un démon, elle s'est déroulée.

Contrairement aux textes sacrés, le champ de bataille se situait en Angleterre, dans un ancien doux village de Tadfield. Cette place avait par la suite été grouillante d'anges et démons dans un ballet mortel d'armes diverses et d'ailes recouvertes d'une pellicule de sang.

Aziraphale et Crowley, les deux seules entités paranormales n'ayant aucune envie de se mêler à cette bataille finale, utilisèrent leurs pouvoirs à meilleur escient : mettre les humains ayant assisté au début de la Fin à l'abri relatif. Ce fut donc dans la librairie d'Aziraphale que les 8 humains et Toutou se retrouvèrent, trop choqués pour parler.

Crowley avait dépassé le stade de l'agacement et de la colère, il en était désormais à celui de l'abattement physique et moral. L'ange s'approcha de lui et essaya de lui remonter le moral.

« Crowley ! Tu n'as pas le droit de t'apitoyer ! Si les humains te voient comme ça que vont-ils penser ? »

« Qu'est-ce que ça peut bien leur faire ? Avec un peu de chance, la Dernière Bataille sera finie dans quelques années... Le pire c'est que les bombes nucléaires ont bien été stoppées mais quelque chose à déraper et on ne sait même pas quoi ! »

Anathème sortit de sa torpeur et tout en s'accrochant au bras de Newt, elle intervint.

«Nous savons ce qui a mal tourné. En quelque sorte. Les bombes sont bien hors service mais certains pays en tension n'ont pas réfléchi à deux fois avant de déclarer la guerre en voyant leurs voisins préparer leurs armes nucléaires. Il n'y aura donc sans doute pas de guerre nucléaire mais une guerre en bonne et due forme avec des massacres de milliers d'innocents et des armes chimiques... »

« Si seulement j'avais pu transpercer cette pétasse avec l'épée. » s'autoflagella Pepper.

« Ce n'est pas ta faute. Ce n'est la faute d'aucun d'entre nous. » Adam posa alors un regard lourd sur la silhouette recroquevillée de Crowley.«Les Cavaliers de l'Apocalypse sont invincibles s'ils sont représentés sur Terre. Donc Guerre ne pouvait être vaincue s'il y a un conflit armé. En plus, les tensions meurtrières venant des Enfers et du Ciel n'ont rien fait pour l'affaiblir ; ça la renforçait même. »

L'ex-antéchrist parcourut la pièce du regard, établissant un contact visuel avec chaque personne ; certaines qu'il connaissait depuis son enfance, d'autres qu'il avait appris à aimer dans le peu de temps qui leur était imparti.

« La seule chose qui nous reste à faire maintenant c'est de rester soudé. Je ne veux pas vous voir mourir. Je veux que personne ne meure mais je sais que c'est impossible... » Sa voix craqua sur la fin de la phrase, des larmes lui montant aux yeux et floutant sa vision. Les Eux se rapprochèrent de lui mais ne le prirent pas dans leurs bras. Ils ne le faisaient jamais. Ils se mettaient en cercle autour, se penchaient sur lui comme pour l'isoler du monde. C'était leur manière de réconforter leur ami et sur n'importe lequel d'entre eux cela fonctionnait. Savoir que quelqu'un est là pour nous soutenir peu importe la suite est souvent plus important qu'avoir un contact physique. Les autres personnes dans la pièce durent comprendre ce sentiment instinctivement car toutes se levèrent pour aller entourer Adam.

Crowley se leva lui aussi, des sillons de larmes encore visibles sur les joues. Le deuxième cercle de support se fit autour de lui et des Eux. Aziraphale brisa la règle de non-contact de ce support. Il posa ses 2 mains sur les épaules de Crowley et laissa tomber sa tête entre elles. Le contact entre eux était si sporadique qu'autant fit tourner la tête à Crowley qui sentit les larmes lui remonter aux yeux. Il n'avait jamais tant pleuré en si peu de temps.

Le Paradis a gagné. "Hourra ! Joie ! Quel bonheur !!" Du moins c'est ce que les AUTRES anges doivent penser. Aziraphale n'est pas de cet avis, il a tout perdu après tout : son meilleur ami, sa librairie, ses livres, et les petits plaisirs de la vie sur Terre. L'ange se souvenait encore des quelques conversations qu'il avait eues avec Crowley au cours des 11 dernières années au sujet de la Bataille Finale, et de quel camp gagnerait. Jamais encore il n'avait tant souhaité avoir tort. Il se retrouvait désormais destitué de son rang de Principauté pour ne devenir qu'un simple ange, le rang le plus proche de celui des humains, mal vu par la plupart des êtres célestes mais qui lui correspond parfaitement. En tant que simple ange, son rôle dans le Ciel s'est vu rabaissé, encore plus que d'habitude car même parmi les anges ceux-ci le traitaient comme un moins que rien, le surnom de "traître" le poursuivait absolument partout. Uriel, dans un élan d'on-ne-sait-quoi, l'avait fichu aux archives.

Il ne s'était même pas passé une heure depuis qu'ils étaient partis de la base militaire que Michael se présenta à la porte de la librairie, défonçant cette dernière fermée à clé. Tout le monde s'était caché, ne sachant vraiment que faire mais ne voulant être visibles de l'extérieur que ce soit par un ange ou un démon. Comme ce fut un archange qui rentra, Aziraphale sortit de derrière le bureau pour le distraire. Crowley et lui s'étaient mis d'accord pour ne pas aller se battre, et que s'ils y étaient forcés alors ils feraient le moins de dégâts possible. Cela leur paraissait donc normal de se jeter dans la gueule de leur propre camp quand celui-ci allait irrémédiablement venir, protégeant ainsi le petit échantillon d'humanité dissimulé dans la librairie. Une fois face à Michael, Aziraphale ne put maintenir le regard et tira machinalement sur son gilet. L'archange le jaugea du regard puis, soupirant, lui posa une main sur l'épaule avant de claquer des doigts pour les téléporter jusqu'au Hall du Ciel où tout un régiment l'attendait sur le pied de guerre.

« Je refuse de prendre part à cette guerre. » annonça la Principauté. Michael pinça des lèvres et reclaqua des doigts l'emmenant à présent dans un bâtiment uniformément gris, des milliers d'étagères peuplant l'endroit toutes débordantes de dossiers plus ou moins épais.

«Puisque tu refuses de te rendre utile avec une épée, alors nous n'avons aucune utilité pour un ange tel que toi. Tu vas rester ici et obéir à tout le monde. Tu es l'entité la plus basse de tout le Ciel. Tu es la honte des anges, sache-le. » Michael tourna les talons.

Au début, la Terre lui manquait énormément. Puis on lui avait donné un travail si énorme qu'il n'eut bientôt même plus le temps d'y penser ; la tâche qui lui incombait était de lister dans un premier temps tous les anges désincorporés, puis ceux morts.

30 ans.

Voilà le nombre d'années humaines qui s'étaient écoulées depuis la dernière fois qu'il avait vu Crowley, son cher démon. Ou vu n'importe qui comptant vraiment à ses yeux.

"Pourtant parfois nous avons passé des siècles entiers sans se voir." essaya de se rationaliser Aziraphale. Mais il savait bien que ça ne changerait rien, il avait déjà essayé de nombreuses fois depuis les premiers jours pour dire vrai, mais cela n'avait absolument pas apaisé son envie de voir le démon. «Oh, j'espère que ce cher Crowley n'a pas souffert... » L'ange marmonnait souvent cela en se tordant les mains, une faible représentation des nœuds que faisait son estomac, alors qu'il devait annoter à la main des détails sur les dossiers qu'il prenait sur une pile qui ne semblait ne jamais faiblir, peu importe le temps qu'il y consacrait.

Mon camp a gagné, je te l'avais ditOù les histoires vivent. Découvrez maintenant