Les dernières pensées d'un mort.

Down town, le 19 mai.

Si vous lisez ce journal, cela signifie que nous sommes certainement le 21 mai.
Je suis maintenant passé vers l'autre monde. Et mon enveloppe charnelle, délaissée au milieu du jardin, accrochée à un manguier a sans doute commencée à subir les supplices atroces que la vie réserve à ses déserteurs..

Ma pensée première en ces écrits est à l'endroit de tout ce qui ont éprouvé un honnête attachement vis-à-vis de moi, famille et amis.
Dès à présent, et par mon entière responsabilité, vous devrez revêtir durant un long moment le voile de l'abject et du répréhensible. J'accepterais donc volontiers la place qui m'est réservée devant la barre, si par une quelconque alchimie, je pouvais assister à l'audience. Je crains hélas, que cela ne soit possible !

Afin de faire parler le mort devant vos yeux stupéfaits, je redige préalablement ce document, afin d'expliciter les circonstances qui m'ont mené à cet abandon de la vie. J'espère, cela-t-il vous soulagera de la culpabilité, et vous délivrera de la tourmente.

Mon ultime intention est de prouver à tous ceux qui auront vent de cette histoire pour le moins roquembolesque, que rien ne vaut la liberté, quelqu'en soit l'issue.

Je me meurs donc en ce jour, plus vivant et d'autant plus enthousiaste que jamais auparavant, à la simple idée de ce grand voyage que je m'apprête à entamer.

À ma mère, je dirais bien "je t'aime", histoire de le dire au moins une fois, ne serait-ce que par ecrit.
À mes proches et amis, je dirais "au plaisir d'une prochaine rencontre", sachant bien que l'amour entre les hommes n'existe point.

Tôt dans la matinée, j'ai enlacée la corde qui me servira de véhicule. J'ai bien assez pensé ma décision, et mon choix de m'installer seule à la campagne il y a de cela 21 jours, ne servait nul autre dessein que celui qui prendra forme aujourd'hui.

Je me suis concocté ce plat de spaghetti à la viande hachée dont je raffolais tant dès ma petite enfance, et je l'arrose avec du vin blanc. Ainsi, si je dois garder un souvenir de mon ancienne vie, ce sera celui-ci.

J'ai eu quelques frayeurs au sujet du vent qui présageait un orage, mais bon Dieu, le vent se calma.
Je m'attèle donc à l'énoncé de mes dernières volontés, au bout desquelles vous saurez exactement quoi faire.

Le premier de mes souhaits est celui d'avoir les cendres de ce corps, dispersées au sommet d'une falaise.

Le deuxième de mes souhaits, aussi bizarre que cela puisse-t-il paraître, est celui de ne faire l'objet d'aucune cérémonie funeste. Sinon, une fête à laquelle les gens festoiraient et s'empifreraient de mets divers.
Si mon âme peut vivre de derniers instants auprès de vous avant le grand départ, autant mieux qu'ils soient joyeux.

Le troisième et ultime souhait, le plus important me semble-t-il, est celui de ne voir ce recueil exploré dans son intégralité qu'après avoir respecté scrupuleusement mes deux précédentes volontés.
Pour l'heure, vous devrez vous contenter de ce bout de papier, qui fait office de page de couverture de ma piètre réalisation.

La portée du message qui, selon moi est de la plus haute importance, dépendra du respect des conditions édictées ci-dessus.

Merci, et bon courage.

CM.