Il en avait entendu une de trop. Les doigts crispés sur la manette de la console, au bord de la crise d'épilepsie, Lemmy se mit à hurler :
— Pitié Ivero ! Tu peux la fermer deux secondes ?
— Bien sûr que je peux, tiens : Si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la montagne, si vous n'aimez pas la ville, allez vous faire foutre !
— Sincèrement, tu es insupportable, je ne sais pas ce que... Ah ! Mais attend ! Mais oui ! C'est ça ! Tes parents viennent de partir et tu galères. Punaise, suis long à la détente ! C'est ça, tu rames, le gros bébé à sa maman.
— Absolument pas ! Je suis l'enfant délaissé le plus heureux du monde.
— Mouais, je te trouve un peu nerveux pour te laisser me faire croire ça. Si tu savais comme on voudrait être à ta place avec les frérots. Ce ne sont pas mes parents qui partiraient en voyage en me laissant seul. Lemmy regarda sa montre pour vérifier l'heure... Par exemple, là, tu vois, je sais qu'ils sont déjà à l'agonie. Il est tard. Je dois y aller.
— Seul, c'est relatif quand même.
Ivero parlait dos à la pièce, le front collé à la fenêtre. Son souffle avait dessiné un rond de buée sur la vitre qu'il entreprit d'effacer aussitôt mais le regretta à voix haute.
— Merde, ça va faire une trace dégueulasse.
— C'est quoi dégueulasse ?
Lemmy essayait d'imiter l'héroïne d'À bout de Souffle, le film qui obsédait Ivero. Piqué dans son orgueil, Ivero se jeta sur lui, lui passa un bras autour du cou, l'immobilisa et avec sa main libre, le poing fermé, lui frictionna le haut du crâne.
— C'est ta gueule de crouton à l'ail, mec ! Tu ne l'auras pas perdu. C'est toi le dégueulasse, le gros dégueu même, à te moquer de mon film préféré.
Lemmy tenta tant bien que mal de se dégager, et avec une pointe de dédain dans la voix, recadra son tortionnaire.
— Oh, ça va ! C'est ton préféré parce que tu viens juste de le voir. Demain, tu en verras un autre et la Nouvelle Vague se sera déjà fracassée sur le récif de ton inconstance.
— Petit impertinent ! Allez, lâche cette manette et rentre chez ta mère, va. Laisse les grands en paix avec tes gamineries. Ceux qui n'ont pas besoin de leur papa et de leur maman pour vivre te congédient.
— Ok, de toute façon, je n'avançais plus dans le jeu et t'es chiant comme la pluie. On se voit demain à 10.
Ivero hocha la tête et raccompagna Lemmy jusqu'à la porte d'entrée. Après une esquisse de bise, il lui tourna le dos et se dirigea vers la fenêtre sans attendre que la porte se referme.
Le vibreur de son téléphone chatouilla sa fesse droite et il sursauta. Il glissa sa main dans la poche arrière de son jean, tira le téléphone comme s'il dégainait une arme à feu et décrocha, agacé.
— Chéri, c'est maman. Je voulais te parler une dernière fois avant le décollage. Je t'ai laissé tous les numéros d'urgence. C'est juste ce soir, on est d'accord ? Tu vas voir Lampert dès demain. Pas de mauvais tour, promis ?
— Oui promis et re promis. Toujours et encore. Juste le premier soir, c'est juré.
— Bien et tu n'oublies pas de te faire réchauffer la part de lasagnes, puis tu te couches de bonne heure.
— ...
— Chéri ? Tu es là ?
— Oui maman.
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NENA & LA FORÊT MUETTE
Teen FictionIl était une fois une forêt surnommée la Forêt Muette. Seules trois personnes y vivaient. Nena et ses parents. Protégée par sa très mauvaise réputation, cette forêt offrait à la petite famille le rempart contre le monde qu'ils n'auraient pu trouver...