NENA & LA FORÊT MUETTE

Seuls (Prologue)

PROLOGUE

Seuls.
Ils l'avaient souhaité.

En prévision des jours où le monde se retrouverait sens dessus dessous.

Pour les jours où les habitants de la planète, rendus sans foi ni loi, tueraient pour sauver un peu de nourriture, pour dormir dans un endroit sûr.

Pour les jours où rester vivant quelques heures de plus jusqu'au lendemain deviendrait le but ultime d'une journée.

Pour l'instant précis où personne ne se soucierait plus de personne.

Ian et Zélie Fagote redoutaient la fin du monde, l'apocalypse, le retour d'un virus foudroyant ou d'un cataclysme dévastateur qui réduirait la planète en tas de cendre sur lequel, s'ils avaient la chance de tenir, ils devraient se tenir aux aguets pour sauver leur peau, celle de leur fille.

Ian et Zélie Fagote étaient des Preppers, ceux qui se préparaient à la survie.

Ils étaient seuls dans cette forêt. Ils l'avaient souhaité.
Ils attendaient le chaos.

Dans une précédente vie, Ian et Zélie Fagote étaient de gentilles personnes. Des Parisiens lambda.

Ils possédaient chacun un métier. Ils avaient suivi des études longues mais pas trop.

Ils s'étaient rencontrés chez des amis communs. Ils avaient ri la moitié de la nuit. Ils s'étaient donné rendez-vous pour un café le lendemain. Au moment de se quitter, chacun savait qu'il était déjà tombé amoureux de l'autre. C'était quelques mois après leurs arrivées respectives à Paris.

Ian Fagote venait d'entrer à l'Institut National des Métiers d'Art pour devenir bottier.

Zélie, installée dans la capitale depuis quelques jours, allait intégrer une école réputée d'Arts appliqués.

Au lendemain de la fin de leur première année, un beau jour de printemps, ils se marièrent à la mairie du 10ème arrondissement à deux rues du studio dans lequel vivait Ian Fagote.

Les années d'études passèrent comme un rêve. Diplômés, ils déménagèrent dans un deux-pièces à peine un peu plus spacieux que le 18 m2 de Ian.

Le nouvel appartement leur offrait pourtant un espace assez grand pour leurs attentes. Leurs projets restaient modestes. Ils se souhaitaient peu chose : se sentir heureux, comme au premier jour.

Ian et Zélie Fagote se retrouvaient le soir et les week-ends. Ils prenaient soin de laisser les soucis de la journée dans une zone hors de portée jusqu'au moment de reprendre le chemin du travail. Mais la vie active les obligea à courir toujours un peu plus. Après les clients, les métros, les secondes. Leurs carnets de commandes et les agendas se remplissaient. Mais les heures de pointe restaient identiques.

Le temps bloquait à jamais sur l'échelle universelle des 24 heures. Sans s'en rendre compte, ils s'épuisaient. Ils se croisaient de moins en moins le soir, de moins en moins les week-ends.

Quand ils en prirent conscience, ils mirent tout sur le dos de la Ville. Paris. Paris les étouffait, Paris les rinçait puis les essoraient 100 tours minute.

À Paris, tout coûtait trop cher, tout leur paraissait trop petit ou trop exagéré, ils ne pouvaient profiter de rien. Paris devenait moche, insupportable. Ils ne distinguaient plus que deux catégories de personnes : les grincheuses et les autres, toutes mesquines. Il n'y avait pour eux, aucune nuance possible entre les deux. Ils étaient des Parisiens frustrés, obligés de se satisfaire de petits appartements, petits loisirs, petites amitiés, petits espoirs.