7. Le début du reste du monde

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Nena quitta la grotte, le ventre vide.

Aux aguets, elle avait dormi par courts intervalles. Elle avait tenté de se ressaisir en se concentrant sur son départ, mais l'anxiété gagnait toujours.

Elle marchait maintenant l'esprit cotonneux, les yeux ensablés de fatigue. Les sensations de l'horrible nuit qu'elle venait de passer lui collaient à la peau.

Autant que le sel des larmes qu'elle avait versées.

Elle descendait du plateau des grottes en s'accrochant aux bretelles de son sac à dos comme une naufragée à sa bouée.

Elle avait gravé dans le bois qu'elle n'avait pas peur. Mais c'était faux. Elle était terrifiée. Elle allait quitter la Forêt Muette pour la première fois de sa vie.

Si elle n'avait aucune idée de ce qui l'attendait, elle avait la certitude, si elle échouait, qu'elle ne reverrait plus jamais ses parents. L'Ombre,  versatile et revancharde, pouvait aussi décider - finalement - de tuer ses parents avant son retour.

Nena se remit à pleurer et dès les premiers sanglot ressentit de la rage : de quel droit s'en prend-on cruellement aux gens de cette façon ?

Cette poussée de colère la remit d'aplomb. Elle ne devait pas tomber. Elle ne devait pas renoncer.

Les limites de la forêt approchaient. Elle pénétra la vallée des eucalyptus arc-en-ciel. Cette vallée pouvait se montrer sournoise. Les eucalyptus se chamaillaient les couleurs et la fluorescence : de longues pelures d'écorce jaune, verte, rose et bleue habillaient chaque tronc. Leur beauté cachait les pièges les plus pernicieux. Sous le tapis d'écorces et de feuilles mortes se dissimulaient de profondes crevasses. Si elle tombait, c'était fini.

Les yeux rivés au sol, Nena progressait méthodiquement en écartant avec une branche ce qui pouvait dissimuler un piège. Bientôt, un trou béant apparut. Elle se mit à genou, se pencha au-dessus de la crevasse. En se redressant, elle vit Safe couchée au pied d'un arbre. Nena fit valser sa branche de droite à gauche et de gauche à droite afin que, sous l'effet de l'air et de la force, toutes les écorces se soulèvent et dévoilent les crevasses. En quelques secondes et un savant zigzag, Nena se retrouva près de l'arbre, mais la brebis avait à nouveau disparu. Nena se frotta le front de dépit, attrapa sa gourde et but. L'eau fraîche lui clarifierait peut-être les idées. Quand elle redressa la tête, elle aperçut Safe à cinq ou six troncs. Elle recommença. Elle fit danser la branche comme un long sabre, un chemin se révéla et elle atteignit l'arbre où se trouvait la brebis. Ainsi Nena put emprunter la voie tracée par son amie. Elle n'eut pas le temps de la questionner. Pourquoi avait-elle soudain disparu ? Elle ne tenta même pas de lui parler. La brebis, de son côté, n'essaya rien d'équivalent.

De façon tacite, parce qu'elles craignaient que l'Ombre ne les entende, elles agirent à l'identique. 

Sorties de la vallée des eucalyptus arc-en-ciel, Nena, fébrile et hésitante, câlina Safe. Longtemps. Libérée de l'étreinte, Safe la poussa de son énorme tête. Encore et encore. Nena s'éloigna le cœur serré.

Elle traversa une clairière entourée de charmes. Plus elle approchait de la route, plus le lac, sa maison des bois, sa vie s'éloignaient.

Arrivée dans la zone la plus dense de la forêt, celle qui la protégeait réellement du monde alentour, Nena perdit beaucoup de temps à parer le mouvement des branches qui se trouvaient au niveau de son visage.

Mètre après mètre, elle dut faire preuve d'une extrême agilité. Elle fut contrainte aux pires contorsions pour traverser un tunnel de hêtres tortillards centenaires qui faisaient disparaître le sentier. Ce tunnel de bois emmêlés, effrayant, contribuait à donner à la forêt cet air maléfique où rien ne finissait très bien.

NENA & LA FORÊT MUETTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant