2. L'Ombre à la voix douce

41 5 16
                                    

La première idée était de faire le chemin en sens inverse. De la grotte au lac. Les lèvres pincées, Nena marchait en tête du duo, décidée.

Depuis le plateau rocailleux, Safe et elle suivirent le déclin de l'unique sentier praticable. Droit comme s'il avait été tracé au cordeau, elles se retrouveraient dans la plaine forestière, près du lac, en un rien de temps. Autour d'elles, la population de conifères se tenait serrée, fière. Des gouttelettes glissaient le long des aiguilles de pin pour se jeter, non sans malice, sur le nez ou les paupières de Nena. Ça l'exaspérait.

La visibilité n'était pas des meilleures mais Nena appréciait la marche à ces heures matinales. Le paysage, à cette saison, dévoilait ses atours les plus mystérieux et ce n'était pas pour lui déplaire.

Un tapis de brume volatil s'accrochait à ses chevilles et s'entortillait autour de ses genoux. Safe, dont les pattes disparaissaient dans cette bouillasse brumeuse, donnait l'impression d'être montée sur coussins d'air. Elle ne marchait pas, elle glissait.

Perçant la brume de leur dos brisé, les jeunes buissons de sureaux, vaincus par la tempête, agonisaient couchés sur le chemin ce qui réveilla chez Nena un sentiment au goût amer. Safe l'avait traitée comme une enfant.

Elle ne contestait pas le fait qu'elle en était encore une, mais la brebis en s'amusant de sa naïveté instinctive, ne s'était pas montrée très sympa. Contrariée, elle serra plus fort les lèvres, ses sourcils se contractèrent et elle sentit des tiraillements lui électriser le front. La colère montait.

Safe, en retrait, l'observait. En conversation avec elle-même, la gamine gesticulait dans des mouvements de bras amples et opiniâtres. Par intervalles, elle s'en prenait aux branches ou donner des coups de pied aériens tous les deux pas. Comprenant ce qu'il était en train de se passer, Safe accéléra pour gagner quelques mètres. Elle contourna Nena pour lui barrer la route. Elle se mit à sautiller sur place. Elle rentra la tête et lui donna des petits coups légers. Nena, un instant interdite, soupira. Safe s'immobilisa et la regarda avec toute la tendresse dont elle était capable. Nena céda. Elle agrippa la laine humide et collante de la brebis et grimpa sur son dos.

Elles continuèrent en silence.

Bercée par la cadence chaloupée de l'ovidé, Nena retrouva son calme. L'excitation délétère fut pudiquement laissée de côté. Elles arrivèrent au lac accueillies par une lumière phosphorescente qui affleurait à la surface du lac. Nena retrouvait la féérie de la veille et se perdit à nouveau dans ses rêveries. Safe se secoua pour signifier à sa cavalière qu'elle pouvait descendre. Ce qu'elle fit en chuchotant un pardon timide, comme si depuis l'épisode de la grotte, elle n'osait plus ne serait-ce qu'entendre résonner sa voix sous sa boîte crânienne. Safe interpréta cette douceur comme de la rancœur et elle n'avait pas tout à fait tort.

— Oh, Nena ! Je t'en prie ! Nous pouvons nous parler !

— D'accord, mais s'il te plaît, plus de blagues, ne te moque plus de moi.

— C'était donc ça !

— Quoi  ça ? ... Ce n'était rien du tout ! Passons ... Nena prit une grande inspiration ... Bon, par où commencer ? Il a dû repasser par ici. Papa dit que les criminels retournent toujours sur le lieu du crime.

— Un criminel ? Tu vas vite en besognes, Beeeee ! Beeeee !

— Ha ! Ha ! Tu perds tes mots ma belle Safe !

— Non, j'agrémente de langage naturel, that's all !

— Et tu parles anglais !

— Obviously!

NENA & LA FORÊT MUETTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant