5. Flash sur la ville

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Brykloon était une grande ville moyenne traversée comme beaucoup de villes, grandes ou moyennes, par un fleuve.

Le quartier d'Ivero était situé sur la rive gauche de Brykloon. C'était le dernier quartier populaire à ne pas avoir totalement cédé à la gentrification, phénomène auquel avaient participé ses parents bien avant qu'il ne devienne un sujet de société ou une habitude. Rues larges, petits immeubles de deux étages maximum, jardins arrières, escaliers côté rue, le coin était très séduisant. Mais, ici le grignotage de mètres carrés par les populations aisées et exilées de leur rive droite prenait son temps.

Les parents d'Ivero s'étaient installés dans le quartier à un moment de leur vie où ils ne roulaient pas sur l'or. L'opportunité d'un loyer à bas prix avait été leur seule motivation. Elle l'était toujours. Mais quelque chose était arrivé : ils étaient tombés amoureux de leur quartier. Les voisins, tous les gens, la nonchalance de la vie, les amitiés qui se nouaient vite et à jamais. Même si bizarrement, ils ne rencontrèrent jamais Lampert.

Ils avaient pu avec l'accord du propriétaire refaire leur appartement à neuf, et même l'agrandir en échange de quelques loyers offerts et l'annexion d'un studio mitoyen. C'était tout bénéfice pour le propriétaire qui pensait profits. Quand ils partiraient, il allait tripler le montant du loyer puisque ses deux appartements miteux avaient été transformés en petite pépite : un beau T3 avec vue sur le parc.

Sauf que 17 ans après ils n'étaient toujours pas partis.

Lampert, lui, y installa sa librairie dans les années 80. Il avait fait fi des avertissements des rabat-joie qui le prévenaient du risque qu'il prenait en voulant vendre des livres dans ce coin. Ils avaient tort. Sa librairie était l'une des librairies les plus fréquentées de Brykloon et l'une des rares à être encore ouverte après quarante ans d'activité.

Un matin, alors que Lampert et Ivero rejoignaient la librairie, en pleine discussion sur la question de savoir s'il fallait ou non refuser de voir les adaptations cinématographiques des livres que l'on avait adorés, un flash immense irradia le ciel, un drôle de son claqua dans les airs.

Par réflexe, les deux garçons, jeune et vieux, rentrèrent la tête et se couvrirent les yeux. L'un avec ses mains, l'autre avec son bras, le nez coincé à l'intérieur du coude. Cela dura une demi-seconde.

Au moment de rouvrir les yeux, Ivero et Lampert ne purent rien distinguer de net. Des taches blanches dansaient devant leurs yeux. Les deux compères se tinrent par le bras pour essayer d'avancer, gauche comme des bébés qui venaient d'apprendre à marcher. Ivero hurla. Pas encore très stable sur ses jambes, il ne se mit pas à courir dans tous les sens mais il aurait pu tant sa panique était grande :

— Punaise, Lampert, une explosion nucléaire ! C'est horrible ! On va mourir maintenant ! Au secours ! Au secours !

Lampert, sourire aux lèvres, les yeux brillants autant d'éblouissement que d'émerveillement répondit

— Ah non, non, non ! Ça, c'est la forêt qui a pété.

— Ça, c'est la forêt qui a pété ?!!

Lampert, entendant sa propre phrase dans la bouche d'Ivero, se rendit compte de l'incongruité de sa réponse. Il ressentit le besoin de se justifier.

— Bon, enfin oui, c'est ce qu'on disait quand on était gosses avec mes copains. Un gros gaz de forêt. Tu n'as aucune imagination, ou bien ?

Ivero ouvrit la bouche puis se ravisa. Lampert soupira, satisfait :

— Cela faisait des lustres que cela n'était pas arrivé. Je crois que je devais avoir ton âge la dernière fois que cela c'est produit. Et tu verras, c'est tellement anecdotique, que cela ne fera pas cinq lignes dans notre feuille de chou locale.

NENA & LA FORÊT MUETTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant