"𝙰𝚟𝚊𝚗𝚝 𝚖ê𝚖𝚎 𝚍𝚎 𝚟𝚒𝚟𝚛𝚎, 𝚝'𝚎𝚜 𝚍é𝚓à 𝚖𝚘𝚛𝚝"

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~ I don't mean to be rude
those things in myself
that I see in you ~


Il était là. Enfin, être là est une bien grande chose. Il était là physiquement oui, mais ses pensées se dirigeaient toutes vers le manuscrit ouvert devant lui.

Dehors, la cloche sonna sept fois à intervalles réguliers. Il ne la remarqua pas.

Dans cette grande pièce à l'odeur de renfermé, seul une lueur se faisait encore apercevoir. Celle de sa lampe, comme à chaque fois.

Les mains placées de chaque côtés de son visage juvénile, agrippant ses cheveux de jais. La bouche légèrement entrouverte. Ses yeux couraient sur, dans, à travers les lignes. Les pages se succédaient à un rythme saccadé. Produisant un bruit de feuille pliée, si caractéristique que, rien qu'en l'entendant, on pouvait sentir la matière des fibres sous nos doigts.

      Mais cet élan fut interrompu brusquement. En l'espace de quelques secondes, l'ouvrage délivrant timidement son histoire, arborait maintenant fièrement sa couverture que le jeune homme connaissait maintenant aussi bien que son propre prénom. Et ce malgré les longs doigts couverts de bagues plus imposantes les unes que les autres, ouverts en travers de celui-ci, sculptés en des métacarpes apparentes. Il détailla le poignet, orné de deux bracelets. L'un semblant être fait de fils bleus entremêlés, l'autre auquel pendait un cadenas miniature. Il suivit ensuite la manche, terminée par l'ourlet d'une chemise blanche à carreaux, laissant place à un pull rouge carmin qui lui rappelait celle de l'hémoglobine coagulée. Il ne put aller plus loin, son attention happée par un regard brûlant. Ses iris étaient d'un or rouille pareils à deux flammes.

       Ses fines lèvres s'étirèrent et ses yeux en amandes prirent la forme de deux demies lunes. Il lui tendit la main, la même qui couvrait quelques instants auparavant son "précieux", l'invitant à la serrer.

      Le concerné la fixa comme si c'était la chose la plus écoeurante au monde. Le petit loquet se balançait lentement de gauche à droite telle une pendule. Puis, son attention dériva sur le cahier posé sur le bureau qui lui faisait face. Le même cahier, la même étiquette, le même prénom.

-- Bon je m'attendais pas à ce que tu sois très bavard, mais je te pensais plus poli que ça. Sa main se posa sur le bois rempli de trous, aussi terne que vieilli. Son expression redevint neutre. Je m'appelle Taehyung. Je te le dis même si je suppose que tu le sais déjà.

Jungkook arqua un sourcil.

-- Disons que tu pourrais être plus discret. T'avais les yeux aussi ronds que deux billes et tu fixais mon carnet alors... Enfin bref. Il baissa la tête vers le livre et y tapota son index.

-- Henry avait vraiment des idées bizarres,heureusement qu'ils l'ont mis hors d'état de nuire.

Piqué au vif, Jungkook oublia toutes ses habitudes, dès lors qu'il comprit qu'il était question de son livre.

-- Ses idées étaient tout fait intéressantes. Répliqua t'il vivement. C'est lui qui aurait dû se débarrasser d'eux !

Sa voix rocailleuse dû au peu d'usage qu'il en faisait, resta presque bloquée en travers de sa gorge.

-- Bon au moins ce point est vérifié.

-- Pardon ?

-- Au point où tu en es en dans le livre, Henry n'est pas encore mort. Ses sourcils se soulevèrent et il se mit de trois quart. Si je ne m'abuse bien sûr. Donc ce n'est pas la première fois que tu le lis.

      Il laissa un vide dans la conversation. Jungkook avala difficilement sa salive. Attendant de comprendre la couleur de leur conversation, se laissant porter, comme une rivière dans son lit, mais pouvant lui faire obstacle, parsemé de rochers.

-- Enfin, ce n'est pas le sujet. Quelle serait ta réaction si je te disais que ça faisait une semaine que je suis ici ?

Il produit un petit "hum" d'interrogation et inspecta sa main étrangement pâle.

       Jeon Jungkook se repassa en tête sa semaine. Tel un film. Seulement celui-ci était en noir et blanc, et les mêmes images se répétaient en boucle infinie. Si bien qu'il cligna des yeux plusieurs fois pour en sortir, comme d'un cauchemar, et les frotta jusqu'à en voir des étoiles. Mais aucune trace de ce Taehyung dans sa mémoire, mis à part celle de plus tôt dans la journée.

-- C'est exactement de ça que je veux parler. Il marqua une pause entre chacun de ses mots et pointa son index une fois de plus, mais cette fois-ci dans sa direction, comme un adulte grondant un enfant.

Taehyung replaça une mèche qui se baladait un peu trop près de son oeil à son goût.

-- Je t'ai étudié toute cette semaine. Mais ce n'est pas ton fort l'observation, même si tu es convaincu du contraire. Si je ne m'étais pas assis près de toi ce matin, tu aurais probablement ignoré mon existence encore longtemps. Mais là n'est pas le sujet.

Le sujet. Il resta suspendu à ses lèvres.

-- Ta vie ressemble honnêtement à une chanson placée sur "repeat". T'es une ombre. Un fantôme qui erre à travers ces âmes, avant même de vivre, t'es déjà mort.

      Sa voix suave associée à ses paroles touchèrent un coeur de pierre. Savoir si il l'avait sorti de son fort, d'une prison que lui même s'était créé au fil des années, sans en avoir la moindre idée. Ou s'il y avait juste dessiné un faille, à peine perceptible à l'oeil nu. Qui se cicatriserai aussi vite qu'elle était apparue. Seul le futur nous le dirait. S'il pouvait s'exprimer, bien entendu.

-- J'ai peut-être quelque chose à te proposer. Si t'es d'accord.

       La commissure de ses lèvre s'espaça, il déposa son doigt sur l'arrête ses lunettes. Taehyung s'empara de sa main et la soutint en l'air.

-- Je ne te demanderai pas de réponse aussi rapidement. Je me doute qu'elle sera négative si je le faisais.

      Les flambeaux plantés dans ses pupilles l'hypnotisaient. Mais il ne voulait pas rompre ce contact visuel. Bien qu'il lui semblait qu'il allait flancher, la désagréable impression que ses pensées étaient mises à nu. Il avait par la même occasion, la sensation qu'il en avait besoin en cet instant précis. Elle l'enveloppait d'une chaleur rassurante. Inexplicablement.

-- Une telle décision demande une certaine réflexion. Je ne suis pas sûr que tu sauras où me trouver, j'en suis certain. Ajouta t'il d'un air entendu.

      Il déposa délicatement ses phalanges gelées sur le livre, comme une feuille pourrait se déposer sur le sol déjà maculé d'une journée d'automne.

-- Et arrête de repousser cette fichue paire de lunettes sur ton nez. Chaque problème a sa solution. Pour certains elle est plus simple que d'autres. Ironisa t'il.

      Lorsque Jungkook revint à lui, de ce qui lui semblait être une illusion, d'une brèche dans le temps, il fixait toujours sa main. Sa lampe projetant une lueur blafarde était de nouveau la seule dans cette pièce.

𝐍𝐮𝐦𝐢𝐧𝐨𝐮𝐬 [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant