𝙲𝚎𝚛𝚝𝚒𝚝𝚞𝚍𝚎 𝚒𝚗𝚌𝚎𝚛𝚝𝚊𝚒𝚗𝚎

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"Je pense qu'on va avoir une petite discussion..."

      C'est la phrase que Jungkook n'entendait pas lorsqu'il rentrait chez lui à des heures ou l'on n'osait plus regarder les chiffres que pointaient les aiguilles de l'horloge dans la cuisine. Il gravit les escaliers qui le séparaient de sa chambre et pénétra dans cet espace clos, dont la couleur des murs étaient un mystère pour qui n'avait jamais vu la pièce avant qu'il en tapisse les murs avec des livres dénichés dans des brocantes pour un prix ridiculement bas. La plupart étaient écornés, une partie sentait le grenier et l'humidité, dans d'autres, il avait retrouvé des tickets de métro ou de caisse. Il s'installa à son bureau, fit glisser le sac de son épaule aux pieds de celui-ci, qui s'écrasa dans un son de plastique s'entrechoquant. 

      Après plusieurs dizaines de minutes, le stylo-bille qu'il tenait entre ses doigts cessa de griffonner des mots dans un ordre insensé, avant de les barrer d'une ligne bleue et se dirigea, inconsciemment, vers la marge de sa feuille. Il y gribouilla un carré, les côtés étaient tracés par traits discontinus, comme des griffes. Il lâcha rageusement le bout de plastique, rassembla les fiches éparpillées sur la planche de bois brune, toutes plus vides les unes que les autres. Il lui était impossible de se concentrer.

~•~

      Il ébouriffait ses cheveux détrempés à l'aide d'une serviette, lorsqu'il se figea. Comme si la personne invisible qui tenait la télécommande pour contrôler ses moindres faits et gestes, venait d'appuyer sur la touche comportant deux bâtons parallèles. Il abaissa le tissu fait d'éponge et plissa les yeux. Sa respiration resta en suspens.

      Dans le reflet, l'espace d'un millième de secondes, il lui avait paru voir deux lueurs orangées brûlantes sur le carrelage à motifs marins derrière lui.

       Il fit volte-face et lâcha un long soupir. Son imagination lui jouait des tours. Il rencontra de nouveau son regard dans la glace. Un dialogue invisible prenait place en lui. Ses prunelles étaient soulignées de violet tirant vers le noir. Sa peau si pâle qu'on aurait pu le confondre avec un fantôme, contrastait avec le rose qui recouvrait ses pommettes. Il étira ses lèvres et les écarta. Le résultat apparut comme une grimace. Alors, il se sentit stupide, et son expression neutre refit place. 

"Chassez le naturel, et il revient au galop".

      En bas, une porte claqua. Un scénario se forma en un temps éclair dans son esprit. Ce qu'il avait cru voir n'était que le reflet des phares du débris de métal de son frère. C'était absurde et il se sentit honteux.

Il enfila son pull par dessus les épaules, repoussa ses lunettes sur le bout de son nez.

Chaque problème a une solution. Certaine sont plus simple que d'autres.

      Il pouvait presque revoir son air malin tandis que sa voix résonnait encore contre les parois de sa boîte crânienne.

Il avait cru qu'une bonne douche lui rafraîchirait les idées, c'était peine perdue.

Il sortit, espérant, par la même occasion, l'en faire sortir.

Son frère se tenait accoudé à la rampe de l'escalier.

— Ça fait un moment que je t'ai pas vu toi dis-donc. On vit pourtant sous le même toit.

Un léger rire s'échappa d'entre ses lèvres, mais l'illiade sans émotions qu'ils échangèrent brisa quelque chose en lui. C'était comme avancer et reculer simultanément. C'était incompatible.

— Je plaisante. Finit-il sans en avoir l'air. Tu dois avoir beaucoup de boulot en ce moment.

Jungkook hocha vivement la tête. Les mots restèrent bloqués en travers de sa gorge.
Il avala sa salive bruyamment.

— Allez, ne reste donc pas debout pour ton vieux frère, va te coucher.

Il lui indiqua la direction de sa chambre d'un signe de tête.

— T'es pas si vieux que ça. Réussit-il à articuler à mi-voix.

La situation le mettait mal à l'aise, le quitter était comme un poids ôté de ses frêles épaules.

      Son frère avait toujours été son modèle, d'aussi loin qu'il s'en souvenait. Tête de ploton, sortant peu, très obéissant. Lui aussi, parfois, rentrait tard. Mais pas pour les mêmes raisons. 

      Tout avait basculé lorsque ses parents avaient découvert pourquoi les bouteilles de leur cave se vidaient mystérieusement et en un temps de record. Ce soir là, le Jungkook de dix ans n'avait pas compris pourquoi il avait dû aller au lit alors que son émission du soir n'était pas terminée. Pourquoi lui et pas son frère. Ce qui ne lui était arrivé que la fois où il avait cassé le vase que sa marraine avait offert à sa mère, alors que cette dernière répétait sans cesse qu'elle le détestait.  

     L'image qu'il avait laissé de lui dans son esprit était ancrée à jamais. Le front luisant, le souffle court, claudiquant dans le couloir, manquant de chanceler à n'importe quel instant. Pour la première fois, il l'avait vu faible.  Les reproches qui se voulaient discrets avaient pénétré le parpaing, accompagnés du silence de son aîné face à ceux-ci. Certainement le plus bruyant de tous.

       Fixant le plafond d'un blanc éclatant dont l'odeur de peinture émanait encore, il n'avait su s'endormir cette nuit là.

      Ce soir là, Jungkook était à nouveau incapable de fermer l'oeil. Ce même plafond face à lui, jauni par les années. Le vent faisait chanter les suspensions de la bâtisse. Les heures se succédaient et il lui paraîssait que chacune d'elles alourdissaient un peu plus son coeur. Ses réflexions se noircissaient au même rythme que le ciel.
      Lorsque le Soleil commença à se lever, et que le chant des oiseaux se mélangea pêle-mêle a ses pensées sans queue ni tête. Une dernière réflexion vint s'ajouter aux autres.

"Après tout, je n'ai plus rien à perdre."

Celle-ci semblait en avoir encore moins que les autres.

𝐍𝐮𝐦𝐢𝐧𝐨𝐮𝐬 [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant