Chapitre 8

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Je me nourrissais à peine, ne jouais plus de musique et ne dansais plus autour du feu. J'avais perdu le goût de vivre et celle que j'aimais. Un soir de pluie - et le mauvais temps était devenu souvent présent depuis le départ de Wendy -, alors que je déambulais comme un mort-vivant, je glissai dans une flaque de boue. Une rage monta en moi et mon chagrin dévastateur se révéla enfin. Je tapai de toutes mes forces dans la boue, cependant que la gadoue recouvrit bientôt mon visage et salit mes vêtements, mais plus rien de ce genre ne m'atteignait, je n'avais que faire de l'image que je renvoyais désormais. Je criais ma peine et mon amour perdu à tout jamais. J'aurais pu la rejoindre, mais je lui avais laissé la liberté de faire son propre choix, je m'étais fait la promesse de ne plus faire irruption dans sa vie. Je hurlais à présent, à m'en faire souffrir, j'avais l'impression que mes cordes vocales déraillaient, que j'allais perdre ma voix.

- Reviens-moi ! m'époumonai-je en même temps qu'un éclair zébra le ciel.

Je me mis à pleurer comme un misérable qui ne valait plus rien quand j'entendis un souffle de vent qui m'était familier. Je relevai la tête et aperçus mon ombre.

- Pourquoi ? demandai-je en sachant pertinemment qu'elle n'allait pas me répondre.

Pourtant, j'entendis une voix grave résonner en moi. Comme avec Clochette, mais elle était bien plus ténébreuse que le petit carillon.

- Tu es mon subconscient ? Alors est-ce que tu sais pourquoi ?

Pourquoi souffrais-je encore, pourquoi avais-je l'impression que mon cœur se fendait comme un roc, que mon âme se déchirait chaque fois que l'image de Wendy traversait mon esprit ?

L'Ombre me communiqua intérieurement une information capitale qui expliqua tout ce que je ressentais. Toutes ces métaphores que j'imaginais pour illustrer ma douleur était physique car en me nommant maître de cette île, je m'étais engagé à obtenir le pouvoir de la magie en visualisant ou en matérialisant toutes sortes de choses. Ce que j'éprouvais chaque jour était si puissant, si intense, que cette affliction était telle que mon cœur se brisait en plusieurs morceaux car si j'imaginais ou ressentais quelque chose d'aussi fort au Pays Imaginaire, je le vivais réellement. Ainsi, j'influençais l'humeur de chacun des Garçons Perdus et j'étais même responsable de cette météo désastreuse.

- Mais je ne peux pas cesser de l'aimer..., me lamentai-je avec désespoir. Quoi, tu me conseilles de retourner d'où je viens pour lui rendre visite ? Mais je me suis promis...

Je fis silence pour m'aider à réfléchir. Mais le torrent des gouttes d'eau qui s'écrasaient sur le sol me perturbaient trop, j'avais l'impression que mon cerveau allait exploser. Était-ce possible ? Après la révélation de l'Ombre, je pensais devenir fou. Je me relevai avec peine et courus jusqu'à ma cabane, bravant le vent qui faillit m'emporter tant j'avais mal. Une fois à l'abri, je m'assis sur mon lit de feuillages qui étaient devenus secs, d'un brun dégoûtant et d'un orange peu vif, pour y réfléchir. Peut-être avais-je encore une chance de la reconquérir et je ne l'avais pas saisi de peur d'être rejeté ? Mais si je ne tentais rien, j'étais sûr de ne rien obtenir de sa part. C'était alors décidé. Je partis sur le champ dans mon ancien monde la rejoindre. Quand je descendis de la cabane, la lune qui trônait le ciel parmi les étoiles scintillantes avait refait son apparition. Je la contemplai avec un sourire. Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu cette blancheur éblouissante.

Je la retrouvai une fois parti du Pays Imaginaire. Je n'avais pas proposé à Clochette de m'accompagner, certain de l'éventualité d'une crise de jalousie car elle était très possessive et capricieuse en plus de cela. Beaucoup de choses avaient encore changé ici. Décidemment, jamais je ne me remettrais des modifications constantes de ce monde. Heureusement, je parvins à m'orienter mais ne savant où chercher, je me posai là où j'avais percuté Wendy. Je regardai autour de moi et ne vis personne. Je me retournai donc pour approfondir mes recherches quand je heurtai quelqu'un.

L'histoire de Peter PanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant