Chapitre 6

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  Seize heures. Elle est assise sous le saule pleureur. Ses cheveux noirs sont détachés, brillants sous la lumière du jour. Elle est seule au manoir et elle profite de ces quelques heures pour lire tranquillement. Elle entend le galop de deux chevaux, elle les voit de loin arriver sur le chemin qui mène chez elle. Elle se lève, son livre dans une main, ses jupons dans l’autre et elle descend la colline en courant. Elle arrive à temps pour réceptionner les trois litres commandés. Elle donne quatre pièces d’argent au livreur et elle rentre les bouteilles, les cache dans sa chambre, bien à l’abri des regards.
En rentrant la veille, tard le soir, suite à ce qui s’était passé au bal, sa cousine débordante de jalousie lui avait arraché une poignée de cheveux, sa mère giflée et son père corrigée à coups de bâton, comme à son habitude, lui disant qu’elle avait été idiote et qu’il la corrigerait encore pour ce qu’elle avait osé faire. Elle avait bel et bien pris sa décision et toutes les dispositions nécessaires pour mettre son plan à exécution. Elle avait mis tout l’argent dont elle aurait besoin dans des malles avec de la nourriture, des vêtements, des bijoux, des accessoires. Elle n’oublierait rien, mais elle doit attendre. Pour vivre loin et seule sans avoir de problèmes sur les routes elle doit attendre sa majorité, encore six mois, six mois seulement et elle sera libre.

Le soir venu, ses parents rentrent avec Elda. Elle a rencontré son futur mari, un comte, comme sa soeur. Elle n’a pas eu le choix, le duc n’avait définitivement pas envie de se marier avec elle. Le mariage sera donc un an plus tard, elle aura seize ans et sera en bonne santé pour enfanter.
Drismalia se fait corriger de nouveau pour son erreur de la veille et elle met encore longtemps à cicatriser. Le duc devrait revoir sa recette, ses onguents ne sont pas encore assez efficaces pour elle. Elle pleure chaque jour de douleur, elle redoute la prochaine punition comme la peste. Elisa s’occupe d’elle comme si la jeune fille était son propre enfant. Elle a peur pour elle, mais elle ne se doute pas un instant de ce que Dris est en train de préparer.

Léo se fait appeler dans la nuit. On toque à sa porte en furie, il se lève, enfile un pantalon et va ouvrir. Blissida se tient devant lui, elle détaille son torse nu avant de dire d’une voix tremblante :
-Le… roi est mort.
Il sourit.
-Vive le roi. Faites sonner les cloches, vous allez subir votre seconde cérémonie en compagnie de votre mari. Être sacrés roi et reine d’Avery.
Elle acquiesce avec hésitation et toujours tremblante, elle s’en va en courant. La nuit n’est pas finie mais les cloches résonnent et la ville s’éveille, pleurant son roi décédé et célébrant le nouveau roi.
En arrivant dans la chambre du roi, l’odeur du cadavre récent dérange un peu l’atmosphère, le pus de la jambe du défunt sent la mort et son visage crispé prouve qu’il a souffert avant que la mort ne le guérisse. A la surprise générale, la reine s’est donné la mort pour le rejoindre. Elle est étalée sur les draps couverts de sang, aux côtés de son mari.
Pete ne pleure pas, il a une mine grave mais il ne semble éprouver aucune tristesse. Depuis le temps qu’il attend ça, il ne peut être que satisfait que ce jour soit arrivé si tôt après son mariage.
Le prince lui fait signe, il le suit dans le couloir.
-Vous avez fait ce que vous pouviez pour le sauver.
-Je suis désolé de n’avoir été meilleur chimiste.
-Je ne vous en tient pas rigueur. Avez-vous fait le remède que je vous ai demandé pour ma femme ?
-Oui, je vous l’apporte tout de suite. Votre femme devrait avec cela vous donner beaucoup de fils.
-Très bien, n’est-ce pas ce qu’un roi désire le plus ?
Son père et même sa mère sont morts, et il pense déjà à ses héritiers. Que va devenir Avery avec cet homme au pouvoir ?

Un peu plus tard la cérémonie de couronnement se déroule devant les sujets les plus importants de la cour. Le roi et la reine portent tous deux leurs plus beaux attraits, et la couronne royale leur sied parfaitement, bien qu’un peu grande sur la tête du roi. Blissida est lumineuse et son sourire n’est point dissimulé.
Le duc sourit en pensant à son duché qu’il va sans doute rejoindre puisque le nouveau roi n’aura bientôt plus besoin de lui. Mais avant de partir, il doit éliminer l’intégralité de la guilde de Paia.

Quatre mois se sont écoulés depuis le mariage de Blissida et une visite assez inattendue leur est rendue un matin, en plein hiver. La neige recouvre les plaines et la cour, le saule pleureur semble mort en haut de sa colline, il est gelé et de s’asseoir là-haut contre son pied manque terriblement à Drismalia.
La voiture qui est arrivée tôt ce matin était le transport de deux hommes du château, un garde et un comptable, vêtus drôlement. Dris descend au salon, vêtue de sa robe bleue ciel. Elle salue les nouveaux venus qui la regardent avec insistance, ils détournent les yeux lorsqu’ils se rendent compte qu’ils la jaugent un peu trop. Elle se demande pourquoi le roi a fait venir ces deux hommes là pour annoncer la nouvelle. Le comte, la comtesse et Elda sont assis et attendent qu’ils se décident à parler. Le comptable prend la parole en lissant sa moustache blanche :
-Le roi nous a fait venir aussitôt qu’il a su la merveilleuse nouvelle. Madame, monsieur, votre fille, la reine Blissida est enceinte.
Sa mère pousse un cri de surprise et se met à sangloter dans les bras de son mari, celui-ci demande :
-Depuis quand ?
-Les femmes qui s’occupent d’elle supposent qu’elle en est à son troisième mois, voire peut-être le quatrième. Mais il faut que je vous avertisse. La raison pour laquelle il n’a pas envoyé de lettre mais a fait venir des coursiers est qu’il y a une anomalie.
-Qu’y a-t-il ? La grossesse se passe mal ? Demande Elda, curieuse.
-Eh bien… on suppose aussi qu’elle attend des jumeaux, les femmes qui l’auscultent en sont presque certaines.
Un silence s’abat sur la pièce. La joie sur le visage de la comtesse est remplacée par l’effroi.
-Elle va mourir ? C’est ça ?
Elle se jette au cou du comptable et le secoue dans tous les sens.
-Arrêtez madame ! s’exclame le garde. Ce n’est pas encore sûr, il y a des chances pour que tout aille bien. Le duc est un chimiste renommé, il a tous les produits nécessaires pour réduire les douleurs et les risques pour votre fille. La reine est en sécurité. Mais les bébés… des jumeaux pour une première grossesse madame, ce n’est pas facile pour la mère… Bientôt nous saurons si ce sont vraiment deux enfants qu’elle porte, nous vous ferons parvenir les nouvelles par courrier.
Tout le monde se lève, ils se serrent la main et ils partent alors que le comte les remercie et que la comtesse ne se remet pas de ses émotions.
Drismalia est surprise. Le roi et sa soeur n’ont pas perdu de temps. Savoir que sa soeur souffre un peu la ravit, elle n’a jamais su ce qu’était la douleur, et elle a cette envie soudaine de la savoir subir de la souffrance. Ses parents auraient-ils fait d’elle un monstre pour qu’elle ressente cela à cet instant ?
En quelques mois la haine de la jeune fille a pris une place encore plus importante dans son coeur, et elle jubile à l’idée que bientôt, elle prendra sa liberté, de force.

Léonard se promène en ville, il marche sans vraiment savoir où il va. A un croisement entre deux ruelles il se fait tirer par le bras, se faisant attirer dans un recoin sombre, il se défend avec rapidité, il donne un coup de poing dans le bras de son agresseur, lui tordant le poignet puis il le plaque contre le mur.
-Attends ! Ne fais pas ça !
Il le reconnait immédiatement. C’est l’un des démons de son père, il le considère presque comme un frère et il y a un mois il a sollicité son aide pour attraper la guilde de Paia.
-Tu es fou de m’agresser comme ça ! J’aurai pu te tuer, tu le sais !
Il le relâche, le faisant regagner le sol de ses pieds qui ne touchaient plus terre.
-J’ai les informations que tu voulais.
Les yeux verts du garçon pétillent, comme si il avait inventé la vie.
-Qu’est-ce que tu as ? Et comment tu savais que j’allais passer par là ?
-Je ne le savais pas. Écoute, les six membres qu’il reste à cette guilde, ce sont tous des hommes avec des titres. Il y en a deux qui sont de Moslyn.
-Comment as-tu su ?
-J’ai fait comme toi, j’en ai interrogé un.
-Il ne sont plus que cinq alors ?
-Non, je l’ai gardé en vie, tu avais bien dis que ton roi voulait en avoir un pour une exécution publique pour “montrer l’exemple” n’est-ce pas ?
-Où est-il ?
Le démon lui montre le fond de la ruelle où un corps inerte est allongé, un sac sur la tête.
-Très bien, le roi sera heureux de l’apprendre.
-Quatre d’entre eux sont de Paia, celui que j’ai attrapé est d’ici.
-Bon sang, je ne pourrai jamais rentrer chez moi.
-Tu ne rates rien, en ce moment chez toi cela doit être le désert glacé. Puis ici, on t’appelle duc de Moslyn, c’est plus attrayant.
-Je ne suis pas d’ici, le duc de Norring me va parfaitement.
-Le jour où tout Avery saura qu’un démon nordique s’est infiltré au palais et s’est fait ami avec le roi, je veux être là pour voir ça.
-Mon ami, je crois que je suis moins impatient que toi. Puis je ne suis pas très bon démon, je ne suis pas fini, autant dire que tous nos frères sont plus inhumains que moi, même toi.
-Tu n’as aucune pitié pour tuer, femmes ou hommes nulle différence pour toi. Pour moi tu es un démon et je suis fier de t’accompagner dans ta conquête.
-C’est vrai. Mais je ne fais la conquête de rien du tout.
Le démon pose une main amicale sur l’épaule d’Hodgkin.
-Avec le peu de sang démoniaque que tu as, un jour ton côté noir pourrait bien disparaître, profites-en en attendant.
Léo soupira, c’est vrai, l’effet, bien que long pouvait ne pas être infini, et le poison pourrait se dissiper. Ainsi ses pensées changeraient, il espérait sincèrement que ce jour ne vienne jamais.

Le printemps est là. La neige fond petit à petit, des feuilles poussent sur les arbres, des fleurs, du soleil. Tout revit, mais pas Drismalia. Le temps lui dure, elle a l’impression que les minutes sont des heures, les jours des mois. Son anniversaire sera fêté dans un mois et demi.
Ils ont reçu des nouvelles de Blissida, elle attend bien des jumeaux et ils vont devoir attendre l’accouchement pour savoir si ce sont des garçons. Dris se demande comment ils vont faire pour l’héritage du trône avec deux bébés nés le même jour à la même heure. Mais ce n’est pas son problème, que sa soeur se débrouille avec le roi pour ces histoires.
Un jour elle apprend que le baron Burnett, avec sa richesse, s’est acheté un titre de comte et est parti habiter à Moslyn, profitant de la mort du comte de la capitale pour racheter ses biens, n’ayant aucune famille.
Burnett est un homme répugnant et elle est définitivement heureuse de ne pas avoir été obligée de l’épouser. Il profite du décès d’un homme pour posséder tout ce qu’il pouvait avoir de son vivant.
Mais tout cela n’est rien en comparaison d’Elda qui pleure chaque jour en imaginant son mariage avec un homme qui la désire pour son visage, son corps alors qu’il n’attire pas du tout la jeune fille.
Drismalia regrette presque de ne pas pouvoir avouer à sa cousine ce qu’elle compte faire, celle-ci serait peut-être moins désespérée et profiterai autrement qu’en pleurant du temps qu’il lui reste.

Les heures défilent…
Les jours…
Les semaines…
Et voilà, le jour est arrivé, enfin.

Le jour est ravissant sur la capitale, la foule est réunie autour de l’estrade qui est occupée par le boureau. Ayant été torturé pendant des semaines, voire des mois, l’exécution de l’homme capturé par le démon est arrivé. Il se fait traîner par des chaînes à ses poignets, il n’a plus d’oreilles ni d’ongles, il a quelques dents arrachées et des coupures sur le corps. Léo avait assisté à quelques séances de torture mais l’homme n’ayant pas plus parlé que ce qu’il avait fait auparavant, cela avait été rapidement ennuyant.
Le roi est là lui aussi, observant la scène du balcon de justice. Il a déjà prononcé la sentence, et la tête coupée semble le bon choix.
Un homme arrive sur l’estrade, juste après le condamné, avec un parchemin qu’il déplie et lit à voix haute :
-L’homme ici présent est accusé d’avoir trahi et conspiré contre le roi. Il a aussi blasphèmé et juré fidelité au mal. Ayant refusé de coopérer, la torture et la peine de mort ont été décidées par notre seigneur et la sentence est irrévocable. Le condamné souhaite t-il dire des derniers mots ?
Il crache par terre et s’écrie :
-Que tous ici brûlent en enfer d’avoir voulu voir sur le trône un satané fils de chien et sa putain engrossée ! Que le malheur et la famine vous frappent, que vous sachiez pour quelle cause des hommes d’honneur se sont battus !
Léonard jette un oeil au roi et sa femme, Blissida a sursauté et est choquée, posant une main sur son ventre rond. L’insulte ne lui a pas plu.
Le bourreau s’avance vers l’homme et le jette contre le rondin qui servira d’appui à sa tête. Il le positionne correctement puis attend le signal du roi qui lui autorise à couper cette tête. Deux coups sont nécessaires pour la trancher complètement.
Plus que cinq hommes.

-Joyeux anniversaire mademoiselle Drismalia ! s’écrie Elise en entrant dans la chambre.
Elle tire les rideaux, repousse les volets pour laisser pénétrer la fraîcheur de cette belle matinée. Dismalia s’étire.
-Quelle heure est-il ?
-Dix heures mademoiselle ! Vous avez beaucoup dormi !
Elle dépose sur son lit un plateau chargé de viennoiseries, un bol de lait chaud, du jus de fruit et des fruits frais.
-Merci Elise, cela me fait vraiment plaisir !
Elle écarte les bras et fait signe à sa domestique de se blottir contre elle. Ce qu’elle fait après une courte hésitation.
-Elise ? Dit-elle en la repoussant gentiment. Tu pourras faire quelque chose pour moi ?
-Bien sûr, tout ce que vous voulez, aujourd’hui est votre journée !
-Chaque jour est ma journée avec toi Elise.
La domestique affiche alors un sourire tendre.
-Dites-moi ce qui vous ferait plaisir ?
-Cette après-midi, vers seize heures, j’aimerai que tu partes en ville m’acheter une robe, pour que je me souvienne de ce jour. Il n’y a pas beaucoup d’occasions dont j’aimerai me souvenir, alors, au moins celle-ci.
-Oh oui ! Avec plaisir ! Vous viendrez avec moi ?
-Non, je veux que tu choisisses ce que tu veux, je te fais confiance. Tu prendras des chaussures qui iront avec, d’accord ?
Drismalia voit dans les yeux de sa domestique que cette sortie lui fait vraiment plaisir. Cela la rassure qu’elle ne se pose pas plus de questions sur ses intentions. Si elle lui avait dit, Elise aurait sans doute essayé de la raisonner. Mais c’est inutile, elle a bien eu le temps d’y réfléchir et sa décision est prise.

Après le petit-déjeuner, elle se lève de son lit et les domestiques l’habillent. Elle lui mettent une ravissante robe dans un violet clair qui s’approche de l’indigo. On lui tresse les cheveux sur l’épaule gauche, elles la nouent avec un ruban assorti à sa robe puis y plantent quelques barettes parées de perles nacrées.
Drismalia se regarde dans le miroir, elle se trouve ravissante, sa robe est magnifique et ses cheveux noirs sont soyeux.
Elle est prête.
Elle descend au salon et sur la table il y a un gâteau d’anniversaire de plusieurs étages. Les domestiques sont toutes là, sourires aux lèvres. Elles applaudissent la jeune fille. Dris cherche des yeux sa famille, mais elle ne trouve personne.
Elise est là, la jeune fille l’interroge :
-Où sont mes parents ? Et ma cousine ?
La mine triste qu’affiche la domestique fend le coeur de Drismalia, elle comprend alors qu’elle aurait dû s’attendre au pire.
-Mademoiselle… la comtesse est sortie voir des amies pour prendre le thé. Elle a exprimé le souhait que tout soit nettoyé avant son retour, ce soir. Votre père a emmené Elda en ville pour qu’elle choisisse une tenue, demain elle a un autre rendez-vous avec son futur époux, ils reviennent en début d’après-midi.
Des larmes coulent sur ses joues, contre sa volonté. Elle ne comprend pas pourquoi elle est triste alors qu’elle va fêter son anniversaire sans subir ni railleries ni maltraitances de la part de sa famille. Peut-être espérait-elle simplement que, pour une fois tout se passe bien.
Elise la serre dans ses bras, lui caressant le dos d’une façon rassurante. La jeune fille change d’avis. Finalement elle devrait les prévenir de ce qu’elle prévoit de faire pour que toutes ces femmes puissent refaire leur vie. Dris s’écarte de nouveau et avec un ton grave, elle annonce :
-Mesdames, je veux qu’avant seize heures il n’y en ait plus aucune de vous dans les couloirs de ce manoir. Je vous libère de vos fonctions et je vous ordonne de partir chercher de nouveaux maîtres à servir. Me suis-je bien faite comprendre ? Vous pouvez même prendre ce que vous voulez, argent ou bibelots.
L’une d’elle s’exclame :
-Que se passe t-il ?
-Faites moi confiance. Oubliez seulement que je vous ai demandé ceci si on vous le demande. Prenez de l’argent et partez.

Quatorze heures, la maison est vide, elles ont pris des voitures, parfois seules, d’autres en groupes. Dris les a toutes embrassées avant de les laisser partir. Mais la voilà seule, même Elise est partie, à contrecoeur. Elle va dans sa chambre et retire les trois litres d’huile de leur cachette. Il y a un mot laissé par le duc :
“Seule une étincelle suffit, l’eau ne saurait en venir à bout, les fumées sont toxiques.”
Elle débouche la première bouteille et applique le mini entonoir dessus. Permettant à la jeune fille de ne faire couler qu’un petit filet de liquide et de ne pas en renverser. Ce duc aura donc pensé à tout.
Elle fait couler le liquide lentement sur son lit et se déplace dans la pièce pour que le feu se propage rapidement et efficacement. Elle sort dans le couloir et ne cesse de verser ce liquide incolore et inodore. Elle entre dans la chambre d’Elda et continue, n’oubliant pas d’en mettre près des fenêtres pour que leur accès soit impossible. La chambre de ses parents, puis quelques pièces inoccupées. Puis une fois la bouteille vide elle la brisa sur le sol de sa propre chambre pour éliminer les preuves au maximum. Ne sait-on jamais qui viendrait jeter un oeil une fois tout cela terminé. Il ne fallait pas que l’on reconnaisse là les produits du duc. Le salon, les cuisines, les salles de réceptions, et à contrecoeur, même la bibliothèque. L’entrée, les meubles…
Le liquide a imprégné le sol et les murs, toutes les ouvertures ont été aspergées d’huile pour empêcher toutes tentatives de fuite.
Elle va ensuite s’asseoir au salon pour déguster une dernière part de gâteau.
Elle a décidé d’où elle allait se réfugier, et la route allait être longue, autant reprendre des forces maintenant car, dans deux heures, une voiture viendra la chercher au bout du chemin, chargée de toutes ses affaires. Tout est prêt et, le prince d’Howl est au courant de son arrivée dans quatre jours, il l’attend avec impatience.

Seize heures. Elda et son père arrivent. Ils sont étonnés du silence qui reigne dans la maison et Dris les rassure en leur disant que les domestiques sont allés en ville pour ses courses personnelles. Le comte annonce :
-Nous allons dans le bureau, préparer la journée de demain. Occupe-toi de remettre de l’ordre dans le salon avant que ta mère ne revienne.
-Oui père.
Elda passe devant et lui tire une mèche de cheveux avant de dire :
-Obéis espèce d’idiote, va nettoyer.
-Bien sûr Elda. Comment vas ton futur époux ? A t-il rajeuni entre temps ?
La jeune fille fronce les sourcils et crache :
-Tu n’épouseras jamais d’homme, tu ne sauras jamais comme c’est compliqué.
-Il est vrai. Je n’épouserai pas de vieil homme sénile c’est certain. Mais en parlant d’homme, tu sais que le jour du mariage de Blissida c’est le duc qui m’a sauvé de votre piège ? Il savait que c’était toi la fautive, je ne lui ai rien dit, mais il a étonnement deviné. Tu as toi-même ruiné tes dernières chances de l’épouser…
Giffle retentissante.
-Tais-toi ! Hurle t-elle. Va t-en ! Je ne veux plus te revoir !
Dris sourit doucement malgré le feu qui se propage  dans sa joue, puis elle tourne les talons.
Dans la cuisine elle trouve le paquet d’allumettes, elle sort et inspire profondément avant d’en craquer une. Elle observe la maison, repense à tous ces moments passés à l’intérieur, elle ne trouve pas de moment heureux dans sa mémoire, si ce n’est les conversations avec Elise. Elle regarde la petite flamme qu’elle tient entre ses doigts, elle inspire, l’odeur du souffre emplit ses narines.
Elle jette cette si petite brindille enflammée sur le pas de la porte et en quelques secondes, les flammes sont remontées jusqu’à l’étage et aux fenêtres, comme des bras, le feu tente de s’échapper, léchant la façade et la noircissant de suie.
Tandis qu’elle entend les premiers cris, Drismalia s’en va en courant, remonte la colline. Elle entend son nom, il semblerait que sa cousine l’appelle à l’aide. Elle se pose tellement de questions, plus insensées les unes que les autres. Elle se retourne, une main posée contre le tronc du saule. Elle reprend son souffle puis son esprit s’égare.
Elle lève le menton, la fierté l’innonde toute entière. L’horreur qu’elle vient de commettre semble lui donner des ailes. Malheureusement, sa mère devait être là elle aussi, à l’intérieur, mais elle ne pouvait pas attendre son retour.
Elle tombe à genoux, elle s’occupera du reste de sa famille plus tard, elle a le temps maintenant.
Elle inspire, expire, comme bercée par les craquements sinistres qui ont lieu dans le manoir. Elle sourit et est parcourue d’un frisson tant le réconfort lui offre un bien-être qu’elle n’a pas l’habitude de ressentir. Elle sent les fumées remonter jusqu’à elle. Elles sont toxiques mais peu importe, elle va bientôt partir.
Elle regarde le ciel où s’étend un nuage noir, dit au revoir à l’arbre, à cette maison qu’elle aurait souhaité ne jamais connaître puis elle rit. Peut-être nerveusement, mais elle ressent surtout la liberté et cela lui fait plaisir, même si elle a encore mal, là où les plaies commencent tout juste à cicatriser, dans son coeur.

A dix-sept heures le soleil est en train de se coucher, elle attend près de la route et tandis qu’elle monte à bord du véhicule, une voiture passe, tirée par deux chevaux pressés.
C’est sa mère, elle ne la voit pas mais Dris la voit bien, elle presse le cocher et elle ne veut plus être dans les parages lorsque la comtesse verra le désastre.
La voilà en route, ces six mois ont été longs mais ils valaient le coup d’attendre. A dix-huit ans, elle n’était ni mariée, ni promise, mais elle était libre. Et cela était le meilleur cadeau d’anniversaire qu’elle n’ait jamais reçu.

Le réconfort de l'âme tourmentéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant