Chapitre 17

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  Au matin Dris se réveille dans les bras du duc qui dort encore. Ses longs cils blonds créent une ombre douce sur ses pommettes avec le soleil qui leur parvient de la fenêtre où les rideaux blancs l’éblouissent tant la lumière est forte.
Elle se blottit contre lui et caresse son ventre musclé en essayant de ne pas le réveiller. Celui-ci monte et descend au rythme de sa respiration lente et régulière. Elle se rend alors compte qu’ils sont encore nus, que leurs vêtements traînent de partout dans la chambre et que les domestiques ne vont pas tarder à venir leur apporter leur petit-déjeuner.
Elle se colle à son oreille et chuchote:
-Léo? Sors de tes doux rêves, ta femme attend…
Elle rit en voyant le duc esquisser un sourire et avant qu’elle ne puisse réagir il la pousse sur le côté et se penche sur elle, joignant ses lèvres aux siennes, amusé. Elle observe son mari. Un Hodgkin décoiffé, une première pour elle. Mais ses cheveux sont d’un blond encore plus lumineux ainsi délaissés et ils reflètent le soleil.
-Tu dois manger, Dris, si tu ne veux pas mourir au bout de trois jours de vie conjugale.
Elle hausse un sourcil en longeant du doigt l’une des épaules de son mari.
-Parce que tu comptes garder ce rythme?
En réponse il l’embrasse puis la mordille à la clavicule.
-Tu crois que je veux? Moi? Le taquine t-elle.
Il lèche son cou, lui volant un frisson.
-Devrai-je en douter?
-Bon, tu as gagné, j’accepte ce supplice.
Il plonge le nez dans son cou et on toque à la porte. Il met quelques secondes pour réagir, emplissant ses poumons de l’odeur de cannelle de la peau de Drismalia. Puis il quitte le lit, enfile son pantalon et se dirige à la porte alors que la duchesse remonte la couverture jusqu’à son menton.
-Jeanne, entrez je vous en prie.
La domestique entre avec un petit chariot chargé de plateaux, les joues roses, elle a été impressionnée par le duc, encore une fois.
-Madame, salue-t-elle Dris. Je reviens dans un quart d’heure, ou un peu plus si vous le désirez. Il va falloir que je change les draps…
La duchesse sourit aimablement puis elle s’installe sur le lit de sorte à pouvoir accueillir le petit-déjeuner sur ses genoux.
Au bout de quelques minutes elle se lève et, le drap blanc enroulé autour de son corps, elle va jusqu’à son armoire, celle sur laquelle Léo s’est appuyé la veille. Les gravures sont ravissantes, des entrelacs aux courbes douces réant des nuances ravissantes dans le bois. Elle les frôle de la main puis elle l’ouvre. Sa garde-robe l’émerveille, des couleurs sombres, des teintes profondes dont l’une lui rappelle précisément le bleu obscur des yeux du duc, elle saisit le ceintre et sourit à son mari qui la regarde avec intensité.
En toute intimité, il l’aide à enfiler le corset, jupons, robe et bas. Bien que cela soit le travail des domestiques, chaque instant leur semble être important à partager, ensemble.
-Cette couleur est faite pour vous madame! s’exclame Jeanne en rentrant de nouveau. Votre frère vous attend au salon, si je puis me permettre.
-Je ne suis pas coiffée, ni maquillée…
-Oh pardon!
La domestique se presse de l’emmener jusqu’à la coiffeuse et la peigne lentement comme si des gestes brusques pouvaient les abîmer.
-Qu’est-ce que je vous fais aujourd’hui?
-Une tresse suffira, merci.
Elle hausse un sourcil et regarde la duchesse dans le miroir. Elle ne dit rien et la laisse s’en aller tandis qu’elle s’occupe de nettoyer la chambre.

-Erich!
Dris se jette presque dans ses bras ignorant les règles de bienséance en présence de public. Elle salue sa femme avec un grand sourire puis Léo les salue à son tour.
-Dris, dit son frère, nous allons partir pour rentrer chez nous.
Sa mine est triste et Dris perd son sourire.
-Pourquoi ne resteriez-vous pas un peu plus longtemps? Quelques jours de plus seulement?
-Cela aurait été avec plaisir, mais j’ai des obligations et si je veux rester un comte respectable je dois m’en tenir à celles-ci.
-Vous reviendrez chez nous?
-Evidemment! Plus personne ne peut nous en empêcher, n’est-ce pas?
Ils se sourient aimablement et elle ressent la bienveillance de son frère.
-J’ai été heureuse de te revoir Erich, dit-elle en le serrant une dernière fois dans ses bras.
-Moi de même chère soeur. Ecris-moi des lettres, je répondrais dans les plus brefs délais.
Les deux couples avancent jusqu’à la grande porte, dehors les attend une voiture d’où les enfants ne tardent à sortir en les voyant arriver. Ils disent au revoir à Dris et son mari puis ils disparaissent dans le véhicule. Elle en a très envie mais elle ne pleure pas, elle les regarde s’éloigner en ne pensant à rien. Léo passe une main dans son dos pour la rassurer, ressentant son malaise. Elle lui sourit puis ils retournent à l’intérieur, sans un mot.

Le beau temps de la journée se dégrade rapidement. A midi le ciel est déjà envahi de nuages gris ou noirs, en début d’après-midi la pluie commence à tomber mais Dris n’est pas de l’avis de s’enfermer à l’intérieur en attendant que les heures ou les jours ne passent.
-Léo, je t’en prie! Ce n’est qu’une petite averse.
-Dans le nord les petites pluies se transforment très vite en orage.
Il est assis à son bureau, très similaire à celui qu’il avait au château. Il est en train d’écrire une lettre, ou peut-être une recette… peu importe, elle l’ignore. Elle fait le tour de la table et se glisse sur ses genoux.
-Ce n’est pas très pratique pour écrire, se plaint-il avec peu de conviction.
-Monsieur Hodgkin, vous semblez oublier que j’ai tous les atouts pour vous faire changer d’avis.
Elle déboutonne le col de sa chemise et fait glisser ses lèvres sur sa peau douce.
-Je ne viendrai pas. Nous sortirons quand il fera beau. Ou que la pluie ne tombera pas en tous cas. C’est mieux pour vous, madame Hodgkin.
-J’aime tout autant me promener sous la pluie, vous n’avez peut-être pas ma sensibilité pour ce genre de choses mais croyez-moi sur parole, ce temps me ravit autant que le soleil.
Elle mord sa mâchoire, promène ses doigts dans ses cheveux et lui murmure à l’oreille:
-Viens, je ne veux pas aller dehors toute seule. J’aimerai me promener avec toi en ville, sous le soleil, sous la pluie ou sous la neige. Je veux que les femmes de cette ville voient que tu es enfin à quelqu’un et que ce quelqu’un, c’est moi.
Il sourit et la repousse jusqu’à la mettre debout, il se lève et dit:
-Tu sembles savoir comment marchander avec moi on dirait. Tu me promets de rendre jalouses des femmes, que demander de mieux? Allons-y alors.
Elle sourit et lui embrasse la paume de la main avant de s’échapper. Elle sait qu’elle l’avait convaincu bien avant de s’asseoir sur ses genoux, mais ils semblent apprécier autant l’un que l’autre ces petits jeux de séduction qu’ils peuvent maintenant avoir en toute légalité.
-Je vais chercher un manteau et un parapluie. Pas de promenade à cheval aujourd’hui, nous y allons en voiture!

En ville les gens se pressent dans la rue, les parapluies ont tous été sortis pour ce jour pluvieux.
-Où veux-tu aller? Demande Léo en l’invitant à descendre du véhicule.
-Je ne sais pas, fais-moi visiter! Je voudrais connaître ta ville natale aussi bien que toi.
-C’est une petite ville.
-Justement, la tâche ne sera pas trop dure. Cela te demandera peu de temps.
Elle lui prend le bras et marche avec fierté devant le visage intrigué des gens. Ils traversent une rue et il lui explique:
-Ici, c’est la grande place. C’est à éviter si tu ne veux pas être poursuivie par les vendeurs de journaux.
La place est décorée de parterres de fleurs, deux ponts se joignent en ce point, à l’opposé l’un de l’autre, enjambant la rivière qui entoure cette partie de la ville.
-C’est dommage, je trouve cela ravissant.
Les pavés blancs sont abîmés mais bien entretenus. Ils se retournent et tombent nez à nez avec une femme à la peau extrêmement pâle, aux cheveux jaunes, un blond très marqué et aux yeux très sombres. Elle a un sourire étrange qui agrandit ses lèvres blanches. Elle est assez belle pour que Dris puisse en ressentir de la jalousie. La femme penche la tête sur le côté et s’exclame:
-Léonard Hodgkin! De retour à Norring? Pincez-moi, je rêve! Elle jette un coup d’oeil à Drismalia et continue. Voyons Léonard, tu ne nous présentes pas?
Les yeux de Léo noircissent et Dris se cramponne à son bras, cette femme s’est permise de le tutoyer, sans aucune gêne.
-Dris, je te présente mademoiselle Emma Iver, comtesse de Norring. Emma, voici ma femme, Drismalia Hodgkin.
Le sourire d’Emma se fragilise et Dris sourit.
-Enchantée.
-Ta femme? Il me semblait avoir compris que tu n’en voulais pas. Tu as refusé ma main lorsque mes parents te l’ont proposé, on était pourtant proches de ta famille. Qu’a t-elle de plus celle-la?
-Mon amour sans doute?
Emma explose de rire. Rire cristallin et perçant qui ne manque pas d’attirer quelques secondes l’attention des passants. Elle pose un doigt sur le torse du duc et se rapproche de lui.
-Voyons Léo, nous savons bien tous les deux que c’est impossible. Le sait-elle?
C’en est assez pour Drismalia. Elle intervient en attrapant la main de la comtesse et en se positionnant entre elle et son mari. La femme écarquille les yeux et regarde attentivement le point où leurs peaux entrent en contact, ses yeux s’obscurcissent et elle se paralyse, la duchesse comprend alors à qui elle a affaire. Elle s’approche assez pour que son visage ne soit qu’à quelques centimètres du sien et articule:
-Il est à moi et je suis à lui. Léo m’a choisie car, comme vous pouvez le constater, je suis spéciale et il m’aime pour ce que je suis. Le fait que vous soyez un démon ne m’impressionne pas, je vis avec l’un des vôtres. Sachez que même chez une femme comme vous la jalousie est un vilain défaut. Je suis celle qui prendra soin de lui pour le restant de sa vie et il va falloir l’accepter ainsi. Est-ce clair?
L’autre acquiesce puis chuchote:
-Mais que vous est-il arrivé?
Dris sourit avec un rictus malsain en s’écartant d’Emma.
-J’ai été heureuse de vous rencontrer mademoiselle Iver. Je vous souhaite une bonne journée.
Puis elle tourne les talons et recommence la visite au bras de son mari.

-Comment as-tu su qu’elle est un démon? Demande Léo, intrigué.
-Cela ne passe pas inaperçu pour quelqu’un qui côtoie un démon tous les jours. Vos yeux qui deviennent noirs dès qu’il y a de l’orage dans l’air, ce n’est pas très discret…
Il ricane doucement puis ils continuent de se promener tranquillement.
Au bout d’un moment, ils arrivent devant un magasin de chapeaux. Léo lui presse la main en se dirigeant vers l'entrée.
-Attends-moi là, je reviens, je vais saluer un ami.
Elle hoche la tête et le duc entre en poussant la porte qui fait s’entrechoquer des cylindres métaliques au-dessus de celle-ci.
Eïtar apparaît derrière le comptoir et sourit en voyant son ami venir lui rendre visite.
-Léo, quelle surprise! Tu as un service à me demander?
Le grand blond sourit et secoue la tête.
-Non, je passais par là, je me suis dis qu’il fallait que je passe te voir temps que je suis ici.
-Ce n’est pas souvent que tu viens en ville, c’est vrai.
Il se penche pour regarder derrière Léo, à travers la vitrine, il aperçoit Dris qui attend sagement, un parapluie à la main.
-Je vois à quoi est du ton changement. Pourquoi ne l’invites-tu pas à entrer?
-Elle vient de rencontrer Emma Iver, elle a eu sa dose de démons sarcastiques pour la journée. Je préfère lui éviter une nouvelle rencontre étrange.
-Emma? Mais elle devait être à Moslyn tout cette semaine.
-Ah oui? Pourquoi?
-Je ne sais pas, il y avait une sorte de réunion de démons là-bas. Elle était venue me voir pour que j’aille à Moslyn avec elle.
-Je n’ai rien reçu.
-Tu as bien de la chance. Cela devait être d’un ennui total. La moitié des démons qui vont à ce genre de réunions ne savent pas parler dans un langage correct.

Dris attend depuis quelques minutes devant le magasin. Elle ne sait pas combien de temps elle va devoir encore attendre, mais Léo lui manque déjà. Elle décide de suivre la rue pour détailler les vitrines sans trop s’éloigner. Elle s’arrête devant l’une d’elles, intriguée par un collier. Une chaîne avec une horloge en pendentif. Elle se penche puis, tout se passe en une fraction de seconde.
Dans le reflet de la vitre elle voit un homme monstrueux apparaître derrière elle. Un homme? Non, un démon hideux. Elle n’a pas le temps de hurler qu’il la saisit par la taille et, aussi rapide que l’éclair, il l’emmène dans une ruelle à un pâté de maison plus loin. Elle se débat comme une furie, mais sans effet. C’est peine perdue, elle le sait.
Il court dans toutes les ruelles abandonnées, l’ayant jeté sur son épaule comme un poid mort, elle ne peut rien faire, hormis hurler. Plus il avance plus il fait sombre. Elle a du mal à respirer à cause de la pression de l’épaule du monstre sur ses côtes. Elle a peur. Peur de ne jamais revenir au manoir, peur de ce que ces choses lui veulent, peur de ne jamais revoir Léo.
-Laissez-moi… Qu’est-ce que…
Il s’arrête, la plaque contre le mur et l’étrangle. Il est immonde, ses yeux noirs ne semblent même pas la regarder, elle suffoque. Elle tente d’appliquer l’une des leçons qu’elle a apprise avec Léo, elle lève sa jambe et attrape le petit couteau dans sa bottine. Elle donne un coup de lame à son visage, consciente qu’elle ne peut pas le tuer de cette manière. Il recule d’un pas, lui donnant quelques secondes de liberté. Elle se met alors à courir, paniquée. Elle n’est pas capable de lutter contre lui, elle le sait, mais elle veut tout tenter pour échapper à l'emprise de ce monstre. Mais c'est peine perdue. Il la rattrape en quelques secondes, la tirant sauvagement par les cheveux. La pluie tombe sur son visage et elle pousse un nouveau hurlement, espérant que quelqu’un lui vienne en aide, mais personne ne vient.
-Tais-toi. Je t’emmène. Si tu veux, tu vas dormir.
-D… Dormir?
Il sourit, attrape sa tête, la met face au mur et lui cogne violemment le front contre la façade froide du bâtiment. Elle s’évanouit sur le coup alors que du sang chaud coule sur son visage et vient se mêler à ses larmes et aux gouttes de pluie.

Léo se retourne, ressentant une absence. Dris n’est plus devant la vitrine.
-Nom de… Depuis quand n’est-elle plus là devant?
-Je ne sais pas, je n’ai pas fait attention.
Le duc sort et revient quelques secondes plus tard, les poings et la mâchoire serrés.
-Elle a disparu.
-Comment le sais-tu?
-Premièrement car elle est prudente et elle ne s’éloigne jamais de plus de quelques pas. Ensuite, je ne ressens pas sa présence qui est pourtant bien simple à repérer. Comment ai-je pu ne rien sentir?
Eïtar sort de derrière son comptoir et saisit son manteau.
-Que fais-tu? Demande Léo.
-Je vais t’aider à la chercher. J’ai cru comprendre que vous aviez des ennuis avec les démons. Si ce sont eux qui l’ont kidnappée, tu vas avoir besoin de moi.
-Si ce que tu dis est vrai, c’est tout comme du suicide Eïtar, et je ne peux pas te laisser faire ça pour ma femme.
-Je suis un démon Léo, même avec un bras en moins je pourrai toujours me battre. Cela fait longtemps qu’il ne s’est rien passé d’intéressant dans ce pays alors, ne m’empêche pas de venir ou je vais t’en vouloir.
-Très bien. Tu aurais une idée de là où les démons logent en ce moment à Norring? Cela fait bien longtemps que je n’ai plus mis les pieds ici.
-Mieux que ça, je sais exactement où ils se cachent. On n’a plus qu’à espérer que ta femme soit là-bas elle aussi et que nous n’arrivions pas trop tard.

-Sérieusement? Dans une crypte? Un cimetière? C’est original de la part de démons.
-Personne ne vient jamais ici, ils ont joué aux plus malins.
Eïtar et Léonard se tiennent devant la porte en bois et métal de la crypte.
-C’est vraiment sinistre.
-Réfléchis, nous sommes des démons, si nous devons choisir un endroit pour dormir ou même vivre quand on a une tête comme eux, il vaut mieux que ce soit loin des humains normaux.
-C’est le genre de problèmes que je n’ai jamais eu, se réjouit le duc avec un sourire fier.
-Tu as peut-être une belle gueule mais ta femme risque d’être beaucoup moins belle si tu ne te dépêches pas. Ouvre-moi ça!
Le duc reprend son sérieux et tire sèchement sur les poignées des deux battants qui scellent la crypte. Ils s’engouffrent à l’intérieur sans attendre, conscients du danger qui les guette s’ils posent un pied dans l’édifice.

Sa tête la fait atrocement souffrir et elle a l’impression que ses membres ne fonctionnent plus. Lorsqu’elle fronce les sourcils et qu’elle tente d’ouvrir les yeux, elle sent sa peau se tirer et comprend que le sang a séché sur son front et tout le long de son visage. Ses épaules et ses poignets lui lancent des signaux de douleurs et son dos semble s’étirer de plus en plus. Suite à des efforts surhumains, elle parvient enfin à ouvrir les yeux et regarder autour d’elle. Finalement, elle aurait préféré rester dans le noir complet.
La première chose qu’elle voit, ce sont ses pieds, flottant à quelques centimètres du sol. Ses pieds nus, gelés. En levant la tête elle ressent une douleur fulgurante dans la nuque et ses omoplates. Ses mains sont nouées par une sangle de cuir qui, elle-même, est attachée à une chaîne épaisse liée à un anneau en métal qui rejoint le plafond. Et devant elle une dizaine de démons sont assis autour, et certains au-dessus, de trois tombes en pierres grises qui sont disposées dans l’espace obscur.
L’un d’eux la regarde ouvrir les yeux avec une curiosité qui fini par la mettre mal à l’aise au plus profond de son être.
-L’humaine. Elle se réveille, dit-il de sa voix caverneuse.
Un autre se lève et s’approche, marchant sur ses jambes disproportionnées.
-Va chercher Emma.
Le premier obéit, sans opposer aucune résistance. Emma? Iver? Qu’est-ce qu’elle pourrait bien faire ici?
En effet, c’est elle qui arrive, marchant sensuellement et peu pressée. Elle prend même le temps de caresser le visage de l’une des deux statues d’anges à l’entrée.
-Drismalia Hodgkin. Cela fait si longtemps, dit-elle avec un rire d’actrice.
-Qu’est-ce que… vous voulez?
Parler dans cette position est un défi qu’elle a du mal à relever. Elle sent qu’elle va défaillir si elle reste encore longtemps comme ça.
-Ecoute ma chérie. Il ne s’agit pas vraiment de moi en fait.
Elle s’approche d’elle avec détermination, toujours coiffée de son parfait chignon blond et vêtue d’une robe à tournure beige et marron.
-Nous allons considérer que je suis dans le même cas que tous ces… idiots là.
Elle désigne tous les autres démons d’un geste de la main. Elle pourlèche ses lèvres blanches et continue sur le même air désinvolte:
-Chacun d’entre nous a des raisons de faire ce que nous faisons. Elles sont toutes un peu… semblables. Mais nous ne sommes pas nombreux à pouvoir l’exprimer comme je le fais. Comme tu as pu le remarquer, il y en a certains qui ont un sérieux problème de... communication. D’où le fait que j’ai été choisie pour parler avec toi.
-C’est une conversation… à sens unique me semble t-il.
-Détrompe-toi. Je vais te poser quelques questions. Tu vas répondre par oui ou par non, sinon, vu à la vitesse à laquelle tu t’exprimes nous n’aurons jamais terminé. Si tu refuses de coopérer, tu seras punie. N’est-ce pas simple?
Son sourire convaincu la fait frissonner d’horreur. Elle prend énormément de plaisir à la voir pendue par les bras de cette manière.
-Fais-moi descendre… et je répondrai.
-J’ai dis oui ou non! s’exclame t-elle soudain. Toi! Hurle t-elle en désignant un démon. Punis la à chaque fois que je te le demanderai.
Son sourire de dents pointues donne des sueurs froides à Dris et lorsqu’il sort une dague presque aussi longue que sa main démesurée du fourreau attaché à sa ceinture, elle se sent trembler un peu plus. Emma lui fait un signe de tête et le démon appuie la pointe de son arme blanche sur ses côtes gauches. Il l’enfonce doucement, traçant une ligne qui déchire à la fois le tissu de sa robe, l’épaisseur de son corset et légèrement sa chair alors qu’elle gémit de douleur. La chaleur du sang qui s’échappe de la plaie ne la rassure pas.
-Drismalia. Tu aimes le duc Hodgkin, n’est-ce pas?
Elle avale sa salive pour répondre:
-Oui.
-As-tu aimé un autre homme dans ta misérable vie?
-Non…
-Ne devais-tu pas en épouser un autre?
-Non.
-Tu mens.
-N… non.
La comtesse souffle un bon coup puis reprend:
-Très bien. J’ai peut-être mal formulé ma question. Je recommence, écoute bien. Un autre homme t’avait fait sa proposition?
-Oui…
-Donc tu n’aimais pas cet homme?
-Non… je ne l’aimais pas.
-Nous parlons bien, toutes les deux, du prince d’Howl?
-Oui… mais… comment le savez-vous?
-C’est moi qui pose les questions, susurre t-elle.
Le démon lui inflige un second coup de couteau, bien moins délicat, dans le ventre. Dris ne peut se retenir de pousser un cri. Cette fois-ci la lame va en profondeur et il l’enfonce presque jusqu’à la garde. Elle se met à tousser en crachant du sang tandis que le métal brûle sa chair. Des perles de sueur et des larmes coulent sur son visage, elle va s’évanouir, et peut-être bien mourir.
-Ecoute duchesse. Je t’ai dit qu’on avait chacun ses raisons. Les démons font cela car on leur a promis souffrance, douleur et terreur. C’est leur nectar de vie alors… ils acceptent. Les autres c’est plutôt par esprit de vengeance car, vois-tu, j’aimais Léo, mais il ne m’aimait pas. Pourtant, deux démons ensemble, c’est parfait comme vie. Mais non, il avait dit qu’il ne se marierait jamais.
-Quel est… le rapport avec Eagle? Chuchote Dris.
Le couteau du démon se pose dur ses côtes droites et laisse sur son sillage une nouvelle morsure d’acier qui achève la duchesse qui hurle à la mort.
-Voyons chérie. Je viens de te dire pourquoi. Nous, ce sont les chagrins d’amour qui nous animent.
-Emma! s’écrie une voix que Dris connaît bien. Ecarte-toi d’elle!
Léo entre, accompagné d’Eïtar. Sur son visage on peut voir l’horreur mais elle disparaît aussitôt. Hodgkin ne montre jamais sa faiblesse.
Ils approchent dans l’obscurité du lieu à pas prudents. Eïtar lève les mains en l’air et déclare:
-Emma, laisse-la tranquille! Cette fille est plus fragile que nous et sans défense. Tu es peut-être un démon mais ce n’est pas une raison pour s’en prendre à des innocents.
-Innocente? Répète t-elle en levant un sourcil jaune. Cette fille, comme tu dis, est loin d’être fragile et innocente. Je ne suis pas idiote, je l’ai touchée et j’ai senti, tout comme vous, la douleur et le crime qui rongent son âme. Oserais-tu me dire que je me trompe?
Les deux hommes se regardent puis reviennent sur la comtesse.
-Non, tu as raison. Mais elle n'en reste pas mins humaine. Que veux-tu d'elle Emma?
Elle se tourne vers eux et, de sa gracieuse démarche, elle s’approche d’eux, ne s’arrêtant qu’à quelques mètres. Elle s’accoude à l’une des tombes et observe ses ongles comme si ce détail était important en cet instant.
-Ce que je veux, je vais te le dire Léo.
Elle lève ses yeux sombres sur lui, il sait ce qu’elle va dire, il s’en doute car il sent la haine et la vengeance la torturer.
-Je veux que tu payes pour m’avoir rejetée. Je veux que tu regrettes d’avoir épousé cette… fille, au lieu de m’avoir choisie moi.
Le sourire en coin du duc fait sourire Dris qui recommence à tousser et cracher du sang. Il répond en regardant sa femme dans les yeux, tentant d’ignorer sa chair blessée et son corps à demi-nu.
-Je crains que je ne puisse regretter cela Emma. Même sous la torture.
Elle lève les yeux au ciel et fait un geste de la main, les démons s’arment tous les uns après les autres de leurs couteaux.
-Bien. Il y a tout un tas d’autres façons de séparer un couple un peu trop amoureux.
Hodgkin recule d’un pas en voyant les démons s’approcher d’eux. Il remue ses cheveux blonds avant de jeter un oeil à Eïtar, celui-ci hoche la tête pour signifier qu’il accepte de se battre.
Drimalia les observe se mettre en place pour un combat à deux contre dix. C’est de la folie, elle n’a jamais vu Léo se battre, elle ne l’a vu qu’en colère et c’était déjà assez effrayant, mais de là à tuer tous ces démons qui sont aussi résistants que des tâches sur un linge blanc… elle ignore s’ils ont une chance ou non de l’emporter.
Eïtar envoie le premier coup et Léo le suit de près. Il sait se battre c’est certain, mais il ne s’est que rarement battu contre des démons. Léo donne un coup de poing dans le premier démon qui s’oppose à lui, dans les biceps, le faisant échapper son arme qu’il saisit au vol, il bondit en hurlant, se soulevant à un bon mètre du sol, retombant les genoux en premier, la dague levée au dessus de sa tête. Il la brandit à deux mains, faisant tomber le démon en arrière par la force de ses jambes sur son torse. Il enfonce la longueur de la lame complète dans le crâne du monstre, faisant jaillir du sang du trou causé par celle-ci et par ses yeux qui doivent pleurer pour la première fois.
Dris est impressionnée par sa ferveur, il lui semble si puissant qu’elle ressent de la fierté à ne plus savoir quoi en faire. Lorsqu’il lève ses yeux sur elle avec le sang qui a tâché son beau visage, elle se sent aimée, et en souriant à son époux, elle s’évanouit, ne supportant plus la douleur que tout son corps lui fait ressentir. La souffrance est telle qu’elle a l’impression de brûler et geler en même temps.
Léo la voit fermer les yeux, avec tout ce sang sur son ventre, elle meurt à petit feu. Il le sent à la chaleur de son corps, elle est en train de se refroidir comme un cadavre.
Il se fait agresser par un démon qui ne le rate pas. Son couteau transperce sa manche de chemise et entaille sa peau. Le duc contre-attaque, il fait un pas de côté puis contourne le démon aussi rapidement que possible, à partir du moment où le monstre comprendra son intention sa rapidité ne lui sera plus d'aucune utilité. Une fois derrière lui, il passe ses bras autour de ses épaules et le tire en arrière, le faisant basculer. Une fois au sol il grimpe sur son dos, tire sur sa tête à deux mains comme s’il la dévissait pour la séparer de ses épaules. Les os craquent, le démon cesse de se débattre puis, Léo tire un dernier coup sec, déchirant les tissus de sa chair qui résistaient encore et il lance la tête décapitée aux pieds d’Emma qui ne bouge pas, bien qu’elle commence à paniquer à l’idée d’être la prochaine sur la liste.
Elle prend alors la fuite tandis que deux autres démons s’attaquent au duc. Il esquive un coup mais ne peut éviter le second qui l’atteint à l’épaule. Il pousse un râle alors que la lame se retire pour venir frapper à nouveau. Il saisit le poignet du démon et le tord dans son dos. Il attrape son pistolet jusque là coincé dans son dos, charge, pointe le canon sur la tempe de la créature et appuie sur la gâchette. La balle ressort, créant un trou béant à faire vomir les âmes sensibles tant cette image est écoeurante. Il charge de nouveau et tire en pleine tête du suivant. Il vole le couteau du dernier cadavre et lance la lame en direction du dernier démon. Elle se plante entre ses yeux. Le monstre louche sur celle-ci avant de s’écrouler.
Eïtar en a lui aussi fini avec ses adversaires. Il jette un coup d’oeil à Léo puis ils s’attardent un court instant à la contemplation de tous les corps sans vie et couverts de sang qui gisent au sol. Ils s’assurent qu’ils sont tous morts en les décapitant tous. Ils ne tarderont pas à partir en poussière mais Léo n’en a rien à faire. Ce qui l’importe, c’est Drismalia, il sait que la vie est en train de lui échapper.
-Dris! Bon sang!
Il court jusqu’à elle, jusq'à son corps inanimé, son visage est pâle, ses cheveux couverts de sueur et d’un peu de sang. Il se mord les lèvres alors qu’Eïtar détache les liens qui entravent ses poignets et Léo cueille le corps de sa femme dans ses bras. Elle est légère et il la porte facilement jusqu’à l’extérieur.
-Il nous faut un cheval!
-Attends-moi ici!
Le démon s’en va en courant à une vitesse folle. Le duc caresse le visage de la duchesse des lèvres.
-Reste avec moi. Reste avec moi.
Elle ouvre les yeux, la douleur l’assaille de nouveau mais elle a beaucoup moins mal aux bras, elle comprend lorsque sa vision redevient presque nette et qu’elle rencontre le regard de Léo qui la serre dans ses bras.
-Dris, rendors-toi, cela te fera du bien. Mais surtout, ne meurs pas. Ne me laisse pas seul, tu entends?
Il fronce les sourcils, en colère contre lui-même de l’avoir laissée attendre sans protection. Tout cela est de sa faute. Une larme coule sur sa joue et tombe sur la pommette de la jeune femme. Elle tremble et peine à prononcer ces mots de sa voix faible:
-Léo… je t’aime.
-Je t’aime aussi Dris. Ne me quitte pas.
Elle ferme les yeux pour de bon, c’est à cet instant qu’Eïtar revient sur un cheval au galop, traînant une seconde monture par la longe.
-Dépêche-toi, tu n’as plus beaucoup de temps.
Léo hisse Dris sur la selle du cheval et monte derrière, enroulant son bras autour de sa taille, se couvrant du sang qui imbibe sa robe. Ils partent au galop et gagnent le manoir en peu de temps.
Ils descendent du cheval et le duc se presse de porter Dris, inerte, à l’intérieur. À l’entrée ils recontrent Jeanne qui pousse un cri:
-Mon dieu! Que s’est-il passé?
-Peu importe, préparez-nous des bandes humides, des coupelles d’eau, des draps, une paire de ciseaux et tout le nécessaire pour les soins. Apportez les nous dans mon bureau, et vite!
-J’appelle un médecin?
-Non. Elle ne peut rêver meilleur médecin que moi avec ma chimie, si je n’y arrive pas… c’est que nul autre n’aurait pu le faire.

Le réconfort de l'âme tourmentéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant