Les dégâts dans le château furent pris en charge dès le lendemain de la tempête. Pour la nuit, Drismalia n’a pas été seule. Léo a fait poster deux gardes à sa porte et pour respecter son intimité, il l’a laissée dormir seule dans sa chambre à lui, non sans avoir eu une petite appréhension sur la suite des évènements. Il n’a pas dormi de la nuit, guettant chacun des ressentis de la jeune femme pour s’assurer qu’il n’arriverait pas trop tard cette fois-ci.
Ce petit manège dure depuis plusieurs mois maintenant. Les gardes font des rondes, Léo et Dris ne se voient que très rarement pour éviter de provoquer encore plus les démons. Les heures s’écoulent avec une infinie lenteur, elle craint pour sa propre vie chaque jour et elle se tient prête pour un assaut, armée en tout temps de son couteau et de son pistolet dont le chargeur plein est vérifié chaque matin.
Léo de son côté tente de mener l’enquête sur la personne qui aurait bien pu donner ces ordres au démon ce soir de tempête. Il espère trouver des réponses à ses questions au plus vite. Pourquoi s’en prendre à elle? Jusqu’où compte aller cette personne? Ce n’est pas évident de trouver celui qui en veut à Dris dans ses connaissances. Peu sont ceux qui ne lui veulent pas de mal. A part ses domestiques et le prince d’Howl, elle n’a pas d’amis.
Mais il y a plus important que tout cela. Leur mariage approche à grands pas. Un mois seulement avant que n’ait lieu la cérémonie. Cela fait presque six mois depuis leurs retrouvailles, le jour du meurtre du comte Burnett. Leurs baisers ne lui suffisent plus, surtout que depuis l’incident de la tempête ils ne se voient que quelques minutes par jour.
La chaleur de son corps, sa peau douce, ses mains dans ses cheveux blonds lui manquent. Jamais une femme ne lui a plu autant et devoir attendre ce jour où il pourra enfin s’étendre à ses côtés dans un lit commun devient un véritable supplice. Il la désire de plus en plus et il ne peut l’embrasser ou la toucher qu’au détour d’un couloir, ils ne vont même plus en ville ensemble. Trop dangereux.
Les disputes entre Dris et Blissida sont de plus en plus fréquentes, elle ne se supportent pas et voir le visage de sa soeur est, pour la comtesse, un rappel douloureux de son passé. Dans un mois elle partira pour Norring avec Léo, elle s’en réjouit, même si ce changement la bouleverse aussi. Mais ils savent tous les deux qu’ils ne pourront pas se cacher éternellement et qu’il vont devoir passer à l’action rapidement, la vie dans ces conditions n’est plus possible, pour l’un comme pour l’autre.
-Tu sais te battre?
-Je sais me servir d’un couteau et d’une arme à feu.
Drismalia et Léonard sont dans un couloir du château. Il fait nuit et la demeure est plongée dans le noir et le silence.
-Je ne sais pas si cela va être suffisant.
-Que veux-tu que je fasse contre un démon de toutes façons? Ils sont bien trop forts, tu l’as dis toi-même.
-Mais ils ne sont pas aussi malins que nous. Si tu les surprends il perdent leurs repères. Ils ont beau pouvoir penser, ils n’ont pas les idées dans l’ordre. Tout ce que tu dois savoir c’est que pour tuer un démon, il n’y a que le feu, la décapitation ou une balle dans la tête. Toucher leur coeur ne sert à rien, ils seraient toujours capables de courir même sans celui-ci.
Dris grimace.
-C’est répugnant.
-Tu t’attendais à quoi? Les démons sont des monstres.
Elle marche vers lui avec un sourire vicieux.
-Alors tu es un monstre plutôt réussi.
Il lui offre le même sourire en regardant ses mains se promener sur son torse.
-Heureux que cela te plaise.
Il retrouve ensuite son sérieux.
-Il faut que tu apprennes à te défendre.
-C’est un peu tard pour y penser, non?
-Je te fais confiance pour apprendre rapidement. Je pensais trouver le coupable bien plus tôt mais il se cache bien. Et travailler avec des démons, ce n’est pas comme avec des humains. Cela ne sert à rien de les torturer pour leur faire avouer le nom de celui qui les dirige. Ils ne craignent rien.
-Cette histoire m’inquiète de plus en plus.
-Nous avons un mois avant de partir. Tu te sens capable d’y arriver?
-T’ai-je déjà refusé quelque chose?
Elle l’embrasse sur la joue puis elle regagne sa chambre. Il secoue la tête en ricanant, cette fille est vraiment surprenante.
Leurs cours commencent dés le lendemain. Pour l’exercice Jeanne lui a conçu un pantalon en toile marron pour lui faciliter ses déplacements, une chemise blanche et un corset noir accompagnant la tenue. Léo la voit arriver dans la matinée et est surpris de la voir ainsi vêtue. Tout se passe dans le bureau du chimiste, il est vaste et on ne le dérange jamais.
-Tu arrives à être élégante même habillée de la sorte.
Elle sourit.
-Merci. J’ai l’impression de retourner en enfance… quand je jouais avec mon frère. Je ne pensais pas recommencer un jour. Erich était un très bon professeur, même si ce n’était qu’un jeu.
-Erich Keegan? C’est son nom?
Elle acquiesce.
-Il me manque terriblement, si tu savais.
-Je suis certain que tu le reverras.
-Je le souhaite en tous cas.
Il s’avance jusqu’à elle.
-Alors… commençons. J’ai constaté que tu savais viser avec ton arme, il faudra seulement que tu apprennes à réagir plus vite et tirer de plus en plus loin. Ils se déplacent à une grande vitesse, comme tu as pu le remarquer.
-Oui.
-Ne laisse jamais tomber une arme, ils sont capables de s’en servir contre toi.
-Ils n’ont pas de point faible? A part leur... idiotie?
-Si, ils… ne supportent pas les miroirs.
Elle hausse les sourcils.
-Les miroirs? Toi aussi tu les crains?
Il regarde ses pieds, gêné.
-Oui c’est… compliqué. Si un démon se regarde dans un miroir il réalise qui il est et il peut en devenir fou. Ils gardent une conscience humaine alors, découvrir que tu es un monstre ou le constater, cela est difficile. Leur côté humain ressurgit et cette partie de leur personnalité est effrayée par l’image qu’ils renvoient. Ils regrettent parfois tout ce qu’ils ont fait et se donnent la mort.
-Mais tu n’es pas un démon comme les autres. Pourquoi ne peux-tu pas te regarder? Je ne comprends pas. Tu as déjà conscience d’être en partie démon, tu sais ce que tu fais et pourquoi tu le fais…
-Mais quand je me regarde, j’arrive à me dégoûter. C’est encore pire quand je me regarde dans les yeux. C’est comme si la souffrance que j’ai absorbée faisait effet inverse sur mon être.
-Je… je ne savais pas.
Un court silence prend place puis Léo fait rouler ses épaules, fait craquer les jointures de ses doigts et son cou puis se lèche les lèvres.
-Nous commençons?
Il saute deux fois sur place, et la leçon débute.
-Mademoiselle, c’est terrible! Vous êtes toute abîmée! C’est encore votre soeur?
Jeanne l’entraîne jusqu’à la salle de bain où Dris prend place devant la baignoire remplie d’eau chaude.
-Non Jeanne. Je t’ai déjà expliqué pourquoi je reviens tous les jours dans cet état.
-Le duc devrait être plus sage avec vous. Je comprends que vous devez apprendre à vous battre mais, votre mariage est dans une semaine et vous ne pouvez pas aller à une cérémonie dans cet état. Vous devez vous ménager à partir de maintenant.
-D’accord, répond la comtesse en riant.
-Promettez-moi, insiste la domestique.
-Promis.
Elle a quelques bleus sur le ventre, des ecchymoses sur les bras et les jambes, les pieds rougis par ses coups de pieds et les jointures de ses doigts abîmées. Elle a quelques plaies au niveau de ses phalanges mais la douleur n’est pas insoutenable. Elle est fière de ses courbatures. Elle s’est améliorée, elle a même atteint un bon niveau, même si elle ne sent pas le changement. Plus son niveau augmente, moins Léo se laisse faire, ce qui lui donne la vague impression de ne pas avancer du tout.
Leurs exercices se déroulent en secret, ce qui est plus prudent étant donné que Blissida ne pourrait pas garder cela pour elle et le dirait à tout son entourage pour humilier Dris. Une femme qui se bat, quelle honte.
Durant les combats leur proximité remplace le manque qu’ils ont ressenti ces derniers mois par une envie toujours plus forte l’un pour l’autre.
Les derniers jours semblent s’écouler avec une lenteur exagérée. Les journées sont longues, le soleil réchauffe l’atmosphère tôt dans la matinée jusqu’à tard le soir. C’est la fin du printemps, ils sont toujours vivants et après-demain, ils se marient.
Ils sont en route pour Norring où le manoir a été préparé pour leur arrivée. Jeanne vient avec eux, Léo a discuté avec le roi pour qu’il lui cède la domestique. Dris fait donc la route dans un petit carrosse avec le duc et celle-ci.
Léo observe sa promise à l’approche du duché. Il la contemple s’émerveiller devant le paysage qui change. Deux jours complets de route et l’extérieur est comme métamorphosé. Les forêts sont constituées de beaucoup de connifères. L’odeur des pins est remplacée par celles des sapins, le ciel est plus nuageux et la température nettement plus fraîche. Les routes sont plus escarpées et Léo lui explique qu’ici, la plupart des gens montent à cheval plutôt que d’emprunter les voitures comme transport, lui avouant posséder lui-même plusieurs chevaux pour ses propres déplacements.
En apercevant le manoir Dris ressent un pincement dans le ventre. Cette ravissante bâtisse sera bientôt à elle, et elle la partagera avec l’homme qui est assis en face d’elle. L’intérieur doit être lumineux car il y a de nombreuses fenêtres. Les façades sont blanches et recouvertes parfois par un peu de lierre et d’autres plantes fleuries.
-C’est magnifique, murmure Dris.
-Et vous n’avez pas encore vu les jardins, dit-il avec un sourire fier.
Elle le regarde, ses yeux brillent d’une lueur dont elle ne comprend pas le sens. Il se vouvoient lorsqu’ils sont en présence de quelqu’un d’autre, même si Jeanne les connait assez pour ne pas être surprise par leur comportement décalé.
La vue sur la première façade est dégagée. Elle remarque que les marches qui mènent à l’entrée sont en roches noires assez bien polies. Elles contrastent avec le reste du bâtiment, c'est ravissant.
Ils s’arrêtent dans la cour et sont accueillis par une dizaine de servants et domestiques qui prennent en charge leurs affaires. Le carosse du roi suit de près et nombreux sont ceux qui sont impressionnés en voyant le visage royal. Blissida est exécrable et donne des ordres dans tous les sens.
Léo offre sa main à Dris pour l’aider à descendre de leur voiture. Les servants encore présents restent bouche bée en l’apercevant et la saluent avec beaucoup de respect. Léonard ne la lâche pas de toute la visite de son humble demeure ce qui semble perturber le personnel encore plus.
Elle n’est pas surprise par la décoration intérieure. Tout est un peu obscur et la lumière déversée par les fenêtres rend l’atmosphère mystérieuse. Le salon comporte une grande cheminée où brûle un feu de bois. Il est vrai que malgré le soleil qui perce à travers les nuages, la maison ne semble pas beaucoup se réchauffer. Faire remonter la température dans un manoir aussi grand, qui fut inhabité pendant une longue période, demande du temps. Tant mieux, elle préfère ne pas étouffer et ne pas rester enfermée dans une maison où la chaleur est trop ambiante, comme ses deux étés à Howl.
Au premier étage il y a les chambres des domestiques et des invités, ils passent donc directement au second. Il l’attire jusqu’à une porte, à droite du couloir, il ouvre et elle découvre une chambre sobre et sans fioritures.
-Ta chambre pour ce soir. C’était celle de ma mère.
Elle l’observe et demande après s’être raclé la gorge:
-Tu m’as parlé de ton père mais jamais d’elle…
Il lui sourit et s’appuie, le dos contre le chambranle de la porte, les mains dans les poches de son pantalon et répond tandis qu’elle entre en marche arrière dans la pièce pour continuer de l’observer.
-Je ne t’en ai pas parlé car je ne sais rien sur elle. Elle est morte avant mes trois ans. Je sais juste qu’elle était malade et qu’elle faisait chambre à part avec mon père.
-Oh…
-Continuons.
-Oui, avec plaisir.
Elle le suit dans le couloir. Ils vont quelques mètres plus loin, il ouvre une seconde porte, à double battant en bois massif cette fois.
-Et voici notre chambre. Celle que l’on partagera dès demain.
Elle se crispe à cette pensée et son sang ne fait qu’un tour. Elle approche et fait un pas dans la chambre mais il la retient par le bras.
-Non, tu attendras demain pour en voir plus.
Elle fait une moue boudeuse alors qu’il referme la porte et tourne une clé qui semble être en or dans la serrure.
-Comment cela va se passer demain? Demande t-elle curieuse.
-Le matin, les invités arrivent. Nous allons à l’église dans la matinée…
-L’église? Mais je croyais que…
-C’est un moment dans les mariages où la joie est trop intense et quand il y a trop de joie, j’ai envie de…
-Tuer?
-Oui. Et c’est pour cela que d’habitude ce n’est pas une bonne idée pour moi d’assister à cette partie de la cérémonie.
-En quoi est-ce différent cette fois-ci?
-D’une, c’est moi qui me marie. Ma joie sera bien supérieure à la leur et j’en serai d’autant plus joyeux. Puis, deuxièmement, il y aura toi, et quand tu es là mes pulsions se calment.
Elle se mord la lèvre inférieure, elle aime quand il s’adresse à elle de cette façon. Elle colle son front à son torse et passe ses bras autour de sa taille pour le serrer dans ses bras. Il lui caresse les cheveux et respire l’odeur de sa crinière noire. Elle a conscience de ne jamais lui avoir dit qu’elle l’aimait, elle n’a jamais prononcé ces mots à qui que ce soit. Alors que lui ne cesse de lui dire de quelque manière que ce soit ce qu’il ressent pour elle. Elle a envie de lui dire, à chaque fois qu’il la regarde, qu’il la touche, mais elle ne parvient pas à formuler ces quelques mots. Elle espère pouvoir lui dire le plus tôt possible pour être digne de lui. C’est un démon, il l’aime donc assez pour avoir été capable de lui avouer ses sentiments, elle doit donc être capable d’en faire autant. Il lui faut seulement un peu plus de temps.
La soirée se déroule dans la joie et la bonne humeur. Jeanne a été invitée par Dris à manger avec eux pour le dîner et, malgré les protestations de Blissida, la domestique est assise à la grande table avec eux et rit avec la comtesse. Léo regarde cette jeune femme, assise à l’autre extrémité de la table. Elle est ravissante, quand un sourire s’affiche sur son visage et qu’elle rit, cette bouche ouverte, de lèvres rouges et pulpeuses, ses yeux bleus qui ne sont plus autant ternis par la fatigue et la douleur et, même si son coeur et sa tête sont de moins en moins envahis par la haine et la tristesse, que la joie la pénètre peu à peu, il se sent l’aimer toujours un peu plus. Cette femme à la peau blanche et aux cheveux noirs, il l’aime à chaque instant et dès le lendemain, elle sera sa femme. Elle lui appartiendra et il lui appartiendra à son tour. Même si il sait qu’il est déjà à elle, qu’elle est déjà maîtresse de son coeur et de son âme.
-Vous allez réussir à dormir avec ce froid? Demande Jeanne.
-J’ai bien peur que ce ne soit pas le froid qui m’empêche de dormir, rétorque Dris.
La domestique rit doucement.
-Oui, c’est vrai. Comment vous sentez-vous?
-Stressée, je dois l’avouer, marmonne t-elle.
-C’est normal mademoiselle. Mais je suis heureuse pour vous.
-Merci Jeanne.
Les deux femmes se pressent les mains dans un geste amical et la domestique se lève pour lui apporter une autre couverture.
-J’espère que vous réussirez tout de même à vous reposer. La nuit de demain sera bien plus longue.
Dris se sent rougir et soupire intensément. Après un sourire, la domestique se retire, laissant la comtesse Keegan essayer de s’endormir pour sa dernière nuit de jeune fille.
![](https://img.wattpad.com/cover/227212795-288-k740425.jpg)
VOUS LISEZ
Le réconfort de l'âme tourmentée
عاطفيةDrismalia est une fille de comte, maltraitée, dévalorisée par sa famille, un jour elle rencontre un duc qui est aussi un chimiste étrange qui a un sombre secret et qui l'aidera à accomplir sa vengeance.