A toi à tout jamais

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           Comme elle est belle ! C'est la plus belle mariée jamais vu... On ne peut en détourner le regard ... Et cette aura qu'elle dégage ... ! Jamais, de toute sa carrière de prêtre, il n'avait eu l'occasion de voir une si belle mariée. Elle était belle dans sa robe de circonstance, cela allait sans dire mais ce n'est pas cette beauté physique qui éblouissait le père Matthieu. Ce qui rendait la mariée aussi magnifique était cette lumière qui semblait la suivre et la mener vers l'autel. Et cette atmosphère ... Comme si le temps était suspendu depuis son entrée dans l'église, les anges eux-mêmes ont préféré se taire et admirer, béats, ce moment parfait, cette être superbe et rayonnant.

Oui, Dieu qu'elle était belle ...

Et pourtant, ce n'était pas la première fois que le père Matthieu contemplait une si belle lueur. En une fraction de secondes, il se souvint. Il se souvint de cette mariée.

1972, à Neiva, dans la campagne colombienne, une petite église dans les hauteurs, un mois de mars, il y faisait encore frais en cette douce matinée, mais déjà le soleil montait et ses rayons chauffaient la peau à 22°C.
Le père Matthieu, de son nom de naissance Paolo, officiait pour la première fois. Et quelle première fois : un mariage ! Célébrer l'union de deux êtres devant le seigneur le rendait fou de joie. Donner sa bénédiction au nom de Dieu après avoir sondé le cœur et préparer l'âme de chacun des futurs époux, rien n'était plus beau que de les guider dans l'accomplissement de l'Œuvre de Dieu. Il était très fier de célébrer ce mariage mais aussi très nerveux car ce n'était pas n'importe quel mariage. C'était celui de sa jeune sœur, Juana. Elle avait 20 ans, le bel âge, et lui 25 ans, ordonné jeune prêtre depuis 6 mois. Juana aurait pu se marier l'an passé mais elle a préféré attendre que Paolo soit ordonné pour le célébrer. Lorsqu'elle le lui a demandé la première fois, Paolo, devenu prêtre, avait vivement refusé. Il craignait de ne pas être objectif et avait peur aussi d'entrer autant dans l'intimité de la foi et du cœur de sa sœur. Ils étaient proches depuis toujours certes, mais il n'a jamais voulu et poussé Juana à se confier. Il la laissait venir car il estimait que chacun avait le droit à son jardin secret. Et là, la marier, la confesser, la préparer, il se serait senti Paolo plus que père Matthieu face à Juana, et ce n'était juste, ni pour elle, ni pour son futur époux.

           Cependant, c'était mal connaître Juana. Elle était têtue et si elle avait décidé que ce serait son frère qui la marierait, Paolo savait que ce n'était qu'une question de temps pour qu'il cède.

Ce qu'il fit au bout de la troisième demande insistante de sa sœur :

-Pffff ... c'est d'accord, je célébrerais ton mariage, Juana...
- Ô merci, merci mon frère adoré ! dit-elle se jetant sur lui et entourant son cou de tous ses bras, de toutes ses forces tel un boa constrictor.

            Elle lui présenta l'heureux élu, José, un paysan de Neiva. Il avait 22 ans, un lopin de terre hérité de son oncle qui l'avait élevé à la mort de son père quand il avait 8 ans.
Des cheveux noirs, la peau mate, le regard passionné et les idées de cette jeunesse révolutionnaire, idées socialistes que partageaient également Juana.

         Bien que prêtre, Paolo comprenait ce mouvement, cette envie de changer le monde d'avant. Lui aussi avait eu 20 ans et, avant de devenir prêtre, il avait participé à des marches et des actions plus directes contre ce gouvernement qui ne faisait rien mis à part prendre, encore et encore aux plus démunis, aux paysans, à ceux qui honoraient la terre en la cultivant pour les leurs.

Mais l'Appel vint à lui et il choisit alors d'aider ses frères et son prochain à travers l'ecclésiat. Faire don de lui-même lui était apparu comme une évidence face à ce que son pays vivait.

Malheureusement, force était de constater que les répressions étaient de plus en plus dures. La dictature régnait et cela devenait difficile d'avoir des idées et de les prononcer à voix haute. José faisait partie des braves, de ceux qui ne voulaient plus se taire, il voulait défendre sa terre, sa patrie, sa famille, Juana.
Paolo admirait José pour sa volonté, sa ténacité mais il craignait pour sa sœur. Peut-être que le mariage et la perspective concrète de fonder une famille calmerait José et qu'il s'assagirait. En tout cas, c'est ce que pensait Paolo et la préparation serait un excellent moyen de savoir si ce changement s'amorçait. Il lui parlerait en tant que prêtre mais aussi en tant que beau-frère. La famille et l'amour des siens, il était certain que cela parlerait à José.

D'yeux que pour elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant