Chapitre 6

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Je ne peux pas suivre la partition. Et pour une fois, ça n'a rien à voir avec mes compétences inexistantes en solfège. Pour une fois, je réfléchis. Je comprends. Et en fait, j'espère être juste ignorant et avoir tort. C'est trop étrange.

Je suis amoureux.

Non, non, je me trompe, je suis juste trop sensible. Peut-être que c'est juste parce que ça me fait bizarre d'avoir un ami. Pourtant, c'est totalement différent de ce que je ressens pour Suzie. J'aimerais me dire que c'est faux, que c'est parce que je n'y connais rien. Mais je n'y crois pas vraiment. Je suis amoureux d'un garçon à qui j'ai adressé la parole seulement hier. Ou avant-hier, je ne sais plus. Je crois que je me suis tellement peu imaginé tomber amoureux que le fait que ce soit un garçon m'est plus acceptable que le fait même d'aimer quelqu'un.

Voilà ce qu'il se passe quand je suis perturbé, je fais des phrases incohérentes.

- Oh, Andrew ? Il va falloir qu'on refasse un peu de solfège parce que c'est catastrophique,là. Et tu m'écoute quand je te parle, Fait Julia en levant les yeux au ciel.

- Ou...oui, pardon, je me suis juste perdu...

- Poses ta guitare.

- Hein ?

Je repose doucement les pieds sur terre tandis que ma prof m'arrache mon instrument et le range.

- Qu'est ce qui t'arrive, Andrew ?

- Je ne vois pas de quoi...

- Ne te moques pas de moi ! D'habitude tu es certes assez nul en solfège -elle est très honnête- mais tu sais jouer au moins les dix premières mesures, tu l'as fait la semaine dernière. Qu'est ce que tu as ?

Julia est perspicace. Elle me fixe avec un demi-sourire presque entier mais légèrement tourné vers le bas. Il n'y a qu'elle qui sait faire ça. Et sa sympathie fait que, en plus d'être ma professeure, elle est aussi un peu mon amie (j'ai une amie de 21 ans, qu'est ce que tu vas faire, hein ?). En plus d'être gentille et perspicace, Julia est belle. Très belle, même. Elle a de beaux cheveux noirs bouclés, qui s'arrêtent sur ses épaules, une peau brune qui ressemble à du chocolat fondu, et en plus, elle a une odeur de poussière sucrée. En fait, si j'aimais les filles, je serais sans doute amoureux d'elle et de ses yeux gris pétillants.

Sa voix claire me sort de mes pensées.

- Andrew, je suis pas censée te poser ce genre de question, mais est-ce que tout va bien pour toi ?

C'est dans ce genre de moments que Julia cesse d'être ma professeure de guitare pour devenir mon amie. Dès qu'elle prend cette voix, j'ai l'impression de pouvoir tout lui dire. Je peux, en fait.

- Heu oui... Non, fin oui mais non... en fait, je crois que j'aime quelqu'un...

Ces mots me font bizarre dans la poitrine, mais une fois que je l'ai dit à voix haute, je me sens un peu mieux. Mon amie soupire.

- Je pense pas être en mesure de t'aider, alors...

Je la questionne du regard. A son âge, elle a déjà du être amoureuse, non ? Mais devant mon air perdu, elle me fait un sourire -entier, cette fois- et me designe un drap accroché au mur. Voyant que je ne réagi pas devant le tissu vert et gris, elle me demande:

- Tu sais ce que c'est, ça ?

Je secoue la tête, curieux. Julia a toujours des trucs intéressants à raconter, alors j'ai hâte de l'écouter.

- Bon, commence-t-elle, en temps normal, je ne parle pas de ça à mes élèves, mais toi, tu es un peu mon ami, non ?

Et elle me fait un clin d'œil. Ça, ça me fait vraiment plaisir. J'acquiesce.

- Ça, continue la brune, ça veut dire que je suis aromantique. Je suppose que ça ne te dit rien ?

Encore une fois, je lui indique que non.

- Eh bien, pour faire très simple, je ne tombe pas amoureuse.

Étonné, j'essaie de voir si elle se moque de moi. Mais elle semble très sérieuse, et je me vois obligé de la croire.

- Mais... Ça ne te fait pas... C'est pas un peu bizarre ?

Julia hausse les épaules en riant.

- Jusque là, ça m'a jamais posé de problème. C'est juste... Normal, pour moi. Et toi, ça te fait quoi d'être amoureux ?

En fait, à la voir, ça n'a pas l'air triste où quoi... Julia paraît presque toujours heureuse.

- Je... Je sais pas, c'est juste qu'il est...

Je m'arrête, incertain. Mon amie me lance un sourire espiègle.

- "il"?

Un peu gêné, je baisse les yeux. Oui, il.

- C'est que... Oui... C'est... Un mec, je souffle.

Julia me regarde, toute souriante, et remarque ma gêne.

- Eh, c'est rien tu sais, je m'en fous de ça, Lance-t-elle.

Puis, après avoir regardé sa montre, elle ajoute:

- Merde, t'es en retard ! Heu, dépêche, ta guitare est déjà rangée, allez, à la semaine prochaine !

Et je me retrouve devant la porte, en face de ma mère.

- Ah, Andrew. Tu es super en retard, tu sais.

Je monte dans la voiture, encore émerveillé par ma discussion avec Julia, et sursaute. Je n'ai pas le temps de réfléchir trente secondes. Océane est assise à l'arrière.

- Océ ? Qu'est ce que ?

Ma mère me dit qu'elle m'expliquera quand je serai monté. La rouquine a l'air un peu perdue.

- Son père est un immonde co... Commence Maman.

La sixième grimace. Maman se mord la lèvre et se corrige:

- Une personne pas très gentille, pas vrai Océ ?

Océane acquiesce. Elle n'a pas l'air très bien, ce que je comprend parfaitement.

- Il m'a tapé sur les nerfs, en tout cas.

Je lève les yeux aux ciel.

- Et tu as kidnappé sa fille pour ça ?

Ma mère a l'air outrée, mais sérieusement, il y des fois où je ne le comprend pas.

- Je ne l'ai pas kidnappé, j'ai empêché ce conn... Ce... Ce méchant de lui faire du mal.

Alors que je m'apprête à répliquer que certes, le père d'Océ est dangereux mais qu'on ferait mieux de passer par une voie légale, la rouquine me coupe la parole.

- Mais Andrew, je veux rester avec toi...

Elle a les larmes aux yeux, et il m'est juste impossible de résister à cette voix. Elle me fait littéralement fondre. Je suppose que c'est ce qu'on ressent pour une petite sœur. Je me retourne pour lui sourire. Moi aussi, je veux rester avec elle.

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