Train 678300

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Ma main tripote le briquet dans la poche de mon anorak. Mon genou tressaute. Assis sur le banc gelé du quai neuf, mon regard n'arrive pas à rester calme. Rapide, il ne reste sur un objet que quelques secondes avant de s'en détacher, lassé et perturbé. Le bout de mes baskets trouées, les rails du train, la valise rouge de la dame à quelques mètres, l'horloge verte et noire qui indique l'heure, tout m'ennuie. N'a aucune importance.

– Tu peux arrêter s'teplait ?

Wendy rouspète. Assise à côté de moi, mon corps en mouvement constant semble l'énerver. Je l'ignore, ne m'arrête pas pour autant et gobe un m&m's rouge du paquet qu'elle tient entre ses doigts. Le chocolat bleu crisse sous mes dents et le chocolat me colle aux dents.

Voie 9, le train numéro 678300 en provenance d'Arbaless entre en gare, veuillez vous éloigner de la bordure du quai.

La voix SNCF annonce l'arrivée imminente du train. Mon père, alors assis à nos côtés, se redresse hâtivement, jette son mégot dans la poubelle et fourre ses mains dans ses poches de jean. Il ne tient pas sur ses pieds. Impatient, il sautille presque.

Au loin, le train apparaît. Il se rapproche et nous dépasse bruyamment jusqu'à s'arrêter dans un bruit aiguë.

Coup de sifflet. Les portes s'ouvrent : des voyageurs rentrent et sortent des wagons. Les gens m'étouffent. Le mouvement de foule m'oppresse alors même que je reste assis, les mains dans les poches et le dos voûté. Les bruits des valises qui roulent sur le goudron m'assaillent.

– Bouge Natsu !

Je me lève et suis le petit corps de ma sœur qui transcende la huée. Les voyageurs parlent forts, font des gestes brusques. Et au milieu de ce gigantesque brouhaha, je vois la valise verte d'Erza. L'horrible valise que ma grand-mère lui avait offerte, pour Noël.

Puis je vois son visage, ses yeux brillants et noirs comme ceux de ma mère, et son nez long comme celui de mon père. Je redécouvre ses traits, m'y ré-habitue après un trop long moment d'absence. Mes pas se stoppent.

Comme pris par une sorte de nostalgie, je reste pétrifié, les baskets clouées au sol.

– Tu as fait bon voyage ?

Mon père l'embrasse, prend directement sa valise sous son bras et serre chaleureusement la main de Jellal. Heureux, son impatience dicte sa conduite.

– Très.

Je croise le regard de ma grande sœur pendant que Wendy lui saute au cou. Elle bascule presque à terre sous son poids pourtant léger. Comme un spectateur, j'observe la scène se jouer devant mes yeux fatigués, sans même vouloir en être acteur.

A ce moment-là, je ne saurai dire pourquoi mais une distance se créée entre ma famille et moi. Je me trouve loin d'eux.

Ça fait combien de temps, que je n'ai pas vu ses cheveux ? Ses yeux pleins de vie ? Ses bracelets en argent, qui tintent à chacun de ses gestes ?

Envie subite de pleurer. Aucune explication. Juste le cœur serré.

Erza s'approche finalement de moi, enroule ses bras autour de mon cou et cale son menton sur mon épaule. Son odeur est un mélange de nostalgie, d'amour et de cannelle.

– Tu m'as manqué. Me souffle-t-elle à l'oreille.

Presque embarrassé, ma main tapote délicatement et maladroitement son dos. Ma gorge nouée ne peut que laisser passer une voix faible et presque éteinte :

– Salut Erz.


Le visage en gros plan de Cobra accapare la moitié de l'écran, sur l'autre moitié, c'est Lucy qui apparaît. Leurs images restent floues et pixelisées, leurs voix parfois brouillées se chevauchent quand ils parlent. Connexion de merde.

TrémolosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant