La fille du bus

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Ses yeux s'attardent un millième de secondes sur mon visage et sans une once de considération pour ma question, ses orbes caramels viennent s'intéresser aux passagers qui rentrent à l'avant du bus. Mon cœur se comprime légèrement. Aïe. J'ai l'impression d'avoir été invisible, de ne juste pas exister.
C'est de loin le plus gros vent qu'on ne m'a jamais mis.

Un autre coup d'œil jeté vers elle et je réalise que des écouteurs pendent à ses oreilles, derrière ses cheveux. Elle ne m'a pas entendu.

Devant mon regard - sûrement trop insistant - elle enlève son écouteur :

– Tu m'as parlé ?

Je n'arrive pas à me faire une idée sur sa voix parce qu'elle chuchote, c'est dommage, j'aurais bien aimé l'entendre. Je l'imagine douce, comme ses traits du visage.

Je finis par répondre comme un con, un truc du genre le mec qui perd tout ses moyens devant une nana :

– Non, non, j'voulais juste...Puis j'ai abandonné. Nan laisse tomber.

Son haussement d'épaule me fait bien comprendre que j'ai raté ma chance de lui parler. Tant pis. De toute façon, je descend dans quelques mètres. Pour passer le temps, je ne peux pas m'empêcher de craquer mes doigts, un peu nerveusement, un sorte de tic que j'ai développé étant de nature hyper stressé.

Je descend à l'arrêt de mon quartier
« Dragon Cry ». Une fois sur le trottoir, j'ai un regard pour le bus bleu qui part au loin, comme l'espoir que j'ai de revoir cette fille.
J'avise la fumée noire qui s'échappe du pot d'échappement du véhicule. 
Cobra avait raison : ce bus est une vraie merde.

Je détourne le regard et rentre chez moi, la musique au volume maximum rythmant mes pas. Je garde mon skate sous le bras, dans cette rue le trottoir aussi est une vraie merde.

J'ouvre la porte de ma maison, le moral à zéro. Je vire mes chaussures de mes pieds avant de poser sans une once de délicatesse le sachet en plastique blanc sur le plan de travail. Mon père est devant la télévision, affalé sur le canapé; une bière en main.

– Tu n'étais pas en cours cette après-midi ?

Je me sens légèrement coupable de lui mettre sur le dos toutes mes absences. Aujourd'hui j'ai séché la physique. Et tout est oublié, parce que la physique c'est une torture psychologique.

J'invente un piètre et innocent mensonge : un mal de tête persistant. Puis monte dans ma chambre avant de m'étaler sur mon lit, lessivé.

J'ai à peine le temps de fermer mes yeux, que mon téléphone sonne. Sa sonnerie me semble plus stridente que d'habitude, elle résonne dans mes tympans. Et ça me fait grincer des dents. Je m'empresse de répondre pour stopper ce supplice.

– Natsu ?

Soupir. Je regrette déjà d'avoir répondu. Je reconnais très bien la voix à travers le combiné, c'est Loki, le genre de mec qui craint grave et qui te prend la tête vraiment vite.

– Ouais.

Je réponds quand même, plus par politesse que par envie. Derrière sa voix grave, un fond de musique et des voix familières s'éteignent peu à peu.

– Tu peux venir à la maison ce soir, s'tu veux, j'organise une petite resoi.

Loki, il organise presque trop souvent des soirées, parfois ça fait du bien, parfois ça fait chier. Pourtant ce soir, alors que je manque de m'endormir debout, j'ai envie de m'amuser. De voir du monde.

– Natsu, Wendy, à table ! La voix de mon père résonne dans toute la maison.

Sa réplique a le don de me ramener à la réalité, et je considère quelques secondes de plus sa proposition : demain il y a cours. L'etat émotionnel de mon père me crie qu'il dira « non ». Mais j'ai envie d'y aller, de prendre l'air et de me saouler jusqu'à la mort. Je finis par répondre affirmativement et raccroche rapidement.


Je descend les escaliers et avant de m'assoir autour de la table déjà dressée, je baisse le volume de la radio. Tout me donne mal à la tête ce soir. Mon père s'approche avec le plat fumant de pâtes carbonaras brûlantes et le dépose sur le sous-plat. Alors qu'il abandonne le torchon sur le dossier de sa chaise, il me demande :

– Elle est où ta soeur?

Je me sers un verre d'eau.

– J'en sais rien. Repondé-je en haussant des épaules.

Wendy il faut toujours qu'elle vienne après les autres. Se fasse désirer. C'est comme ça, on ne pourra jamais rien y changer. Il soupire, pose ses lunettes de vue sur la table avant de se frotter l'arête du nez. Il paraît vieux depuis que ma mère est partie. Cette vision me fend le cœur.

– Va la chercher s'il te plaît.

Je peste mais j'y vais, à contre cœur. Je ne prend pas la peine de toquer à la porte de sa chambre et l'ouvre en grand. Le lieu est toujours aussi bordélique. Ses guirlandes violettes sont allumées, le reste de la pièce est sombre. Ma petite soeur est couchée à plat ventre sur son lit, en gloussant devant son téléphone. Je la regarde, légèrement blasé.

– On mange.

Elle lâche cinq secondes du regard son smartphone, juste le temps de me lancer un sale regard avant de vivement se remettre à tapoter sur son écran.

– Oui ben deux secondes quoi. Râle-t-elle.

Je soupire et redescend dans la salle à manger. Avant que mon père ne dise quoi que ce soit, je lui dit qu'elle arrive.

Le silence autour de nous est pesant. Depuis quelques semaines déjà. Je me sers une bonne portion de pâtes et Wendy décide enfin de pointer le bout de son nez.

C'est le bruit de nos fourchettes contre les assiettes et celui de la radio presque éteinte qui s'impose autour de nous.

– P'pa, j'ai tournoi ce week-end, à Hajurion.

Il revient sur Terre. Ses yeux se plantent dans les miens, sa main passe derrière sa nuque, nerveuse. J'appréhende sa réponse. J'ai envie qu'il y vienne, à ce match.

– Quelqu'un peux vous emmener?

Mon regard déçu se pose sur les lardons restants dans mon assiette et en les triturant du bout de ma fourchette, je réponds (la boule au ventre) :

– La mère de Cobra j'crois.

Soulagement pour mon père. Sûr. Le bruit d'une notification se fait entendre et Wendy a un sourire en regardant son écran.

– Ok tant mieux, je travaille.

Je réprime la réplique sanglante que je rêve de lui cracher à la figure. J'ai terriblement envie qu'il vienne à ce match, après tout, c'est le quart de finale du tournoi qu'on a attendu toute l'année. Avant, il venait tout le temps, n'en ratait presque aucun, était un supporter, me motivait. Le basket était une passion commune qu'on aimait partager entre nous, qui nous a fait rire, même parfois pleurer. Mais voilà, maintenant, il préfère se tuer au travail.

– Vous jouez contre qui ? Questionne Wendy avant d'enfouir sa fourchette garnie dans sa bouche.

Un silence passe. Lourd de sens.

– Crocus.



Le repas ne s'est pas éternisé. On peut penser que les repas sont insignifiants mais finalement, je trouve qu'ils reflètent assez bien une situation familiale.

Je décide d'attendre. Quelques minutes avant que mon père ne rentre dans sa chambre. Je traîne sur les réseaux sociaux.

Le parquet craque dans la pièce d'à côté, j'enfile immédiatement ma veste en cuir vieille de quatre ans (même si la matière est de moins en moins agréable je l'adore.) et sors le plus discrètement possible de ma chambre.

Quelques mètres plus tard, j'ouvre discrètement la porte d'entrée et le vent qui claque sur ma peau me fait sourire. Des petits frissons se posent sur ma peau et je la ressens enfin, la liberté.

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Dans ce chapitre pas vraiment d'indices sur la mystérieuse fille du bus...des hypothèses ?

J'espère que le chapitre vous a plu !

TrémolosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant