Hadrien & Antinoüs

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La Lune, ronde, brillante, gouvernait le ciel nocturne, faisant de l'ombre aux étoiles de sa pâle lumière.

Le jeune homme avait ses yeux posés sur l'astre, et les baissa pour observer les petites vagues d'eau de l'impluvium causées par la légère brise.

En pleine journée, la villa était plus qu'animée, entre les esclaves et affranchis de l'administration qui couraient partout dans le but de garder une organisation inébranlable, ceux qui travaillaient tout simplement dans la domesticité, et les visiteurs innombrables.

Cependant, à cette heure-ci de la nuit, les lieux étaient étrangement vides et calmes. Il n'allait pas s'en plaindre, il appréciait ce silence.

Il était si plongé dans ses pensées qu'il n'avait même pas entendu les pas légers s'approcher de lui.

- Antinoüs, mon adoré, qu'as-tu?

Celui-ci fixait l'eau, inlassablement. Les pétales de rose pourpres qui flottaient à sa surface juraient avec le marbre blanc du bassin.

- Rien... je pensais seulement.

- Penser! C'est bien l'heure te penser. Reviens donc te coucher, car je me suis inquiété en ne te sentant plus auprès de moi, et demain tu auras tout le temps de penser. Et pourquoi rester ici? Je trouve cette cour macabre dans l'obscurité de la nuit. Tu aurais mieux fait d'aller admirer les jardins, quoique l'air devient frais.

Il ne répondit rien, du moins pas immédiatement. Il appréciait cette cour intérieure. Elle menait à tout, que ce soit aux jardins, à la ville, ou à toutes les pièces du palais. Pour lui, il n'y avait pas meilleur endroit où penser à ses sentiments que le cœur d'une immense villa.

- En vérité, j'ai fait de mauvais rêves, avoua-t-il en se relevant d'une lenteur paresseuse que son corps d'éphèbe rendit gracieuse.

- De mauvais rêves? Par Jupiter, mon tendre amour... s'inquiéta Hadrien en allant quérir ses mains. Ce ne sont rien d'autre que des rêves, des illusions de l'esprit, tu le sais bien. N'y pense plus.

- Ces illusions-là ont terriblement affecté mon esprit et mon cœur. Je n'étais pas effrayé, mais perdu, et il faisait si sombre que j'ai cru un instant me retrouver au milieu du royaume des Enfers...

- Je t'en prie, reviens de coucher, et je te promets par le Dieu des Dieux que je te protégerai. Je jure que quiconque te touchera périra de ma lame...!

- Et ternir ta réputation comme le Sénat a jadis dégradé celles de Néron et Caligula? Rit nerveusement Antinoüs.

- Crois-tu sincèrement que mon amour pour toi ne vaut pas mille humiliations? Je renoncerais à mes magistratures et à mes richesses, et me ferais esclave pour ton propre bonheur.

- C'est bien trop... bien trop ridicule, aussi. Qu'ai-je de si unique pour arriver à attendrir ainsi un si grand homme d'état et d'esprit?

- Ta beauté et ta grâce, mon amour, qu'Apollon lui-même ne peut que jalouser, lui sourit Hadrien en posant une main sur sa joue douce et en la caressant de son pouce. Mais pas que. Ton esprit est remarquable, pour l'esclave que tu fus, et tu apprends et réfléchis si vite et si bien que tu aurais été le meilleur élève de Platon. Que suis-je, moi, à la tête de cet empire terrestre, comparé au dieu que tu es? Et qu'est cette beauté comparée à l'immense amour que mon pauvre cœur porte à ton égard...?

- Je t'aime... Je t'aime tant, moi aussi, souffla le jeune homme en posant sa main sur la sienne, les yeux baisses d'une légère gêne.

- Antinoüs... le plus beau de tous les Grecs... par les dieux, que ne serais-je pas capable de faire pour ton sourire. Je te ramèrais tout l'or du monde, je ferais quémander tous les savoirs...

- Je le sais, sourit le jeune homme. Tu me l'as déjà tant répété.

Hadrien laissa échapper un soupir, et jeta un œil au couloir qui menait à leur chambre.

- Quoi qu'il en soit, ne restons pas ici. Retournons nous coucher. Tu pourrais tomber malade, et ce serait terrible.

Il garda sa main dans la sienne, et le mena hors du péristyle. Antinoüs le suivit en silence, le corps légèrement refroidi.

Une fois dans leur chambre, il n'attendirent pas pour s'installer à nouveau dans leur lit, se réchauffant dans une forte étreinte. Antinoüs, qui était pourtant le plus silencieux des deux, fut le premier à reprendre la parole.

- Je suis sincèrement désolé que mon cauchemar t'ai inquiété de la sorte...

- Mais de quoi t'excuses-tu, par Neptune? Il est tout à fait normal que je m'enquière de la sérénité de l'autre moitié de mon âme...

Il ne voulait pas évoquer à nouveau ses mauvais rêves, alors tout en se blotissant contre lui, il dévia sur un autre sujet.

- Et toi, tu ne me parles jamais de tes états d'âme. Pourtant je te vois parfois en colère, ou désespéré.

- C'est à cause de manigances de sénateurs, ou d'incompétences de magistrats. Rien qui ne t'intéresserait.

- Je pensais pourtant que tous les magistrats étaient des hommes sages...

- Il y a des sots partout, même chez les hommes les plus importants. Souviens-toi que Lucius, qui fut esclave et affranchi par le grand César, et que le grand Auguste fit procurateur des Gaules, fut décrit comme ayant l'avarice d'un barbare et la prétention d'un romain. Ces traits sont toujours d'actualité chez certains de nos contemporains, car l'homme a autant de vertus que de vices. Sauf toi, mon beau grec, car tu es un dieu personnifié, et que les dieux sont parfaits...

À ces mots, il se redressa pour déposer un doux et simple baiser sur ses lèvres. Il n'en avait que faire d'hommes des anciens temps, ou de ses compliments aveugles. Il lui répéta qu'il l'aimait, et cacha son visage dans le creux de son cou.

Il n'avait pourtant aucune raison de faire de si sombres rêves, lorsque son cœur était si comblé.

Les émois d'AphroditeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant