2. Lisse est le pouvoir ࿐ ࿔

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Le temps passe, se déroule comme une algue qui ne cesse de grandir pour toucher la surface de l'océan. Silencieux, terrifiant et lisse. Lisse comme le pouvoir.

Naïade chantonne une triste berceuse. Elle fait mal, , au fond de son être. Elle transperce les os. Mélancolique au point de faire pleurer un adulte. Les adultes n'arrêtent pas de cacher leurs larmes, n'est-ce pas ? Le chagrin est fait pour les enfants et les âmes damnées, les coeurs qui ont enduré.

Naïade écrit une chanson.

L'encre de son stylo lui rappelle le sang qui s'échappe. Celui-là même qui fuit lorsqu'elle plante ses dents dans ses victimes. Que la chair pleure. Que les membres se débattent. Que les veines pulsent. Que les poumons cherchent à trouver l'air. Oui, cette douce clameur. Cette mort solitaire. Abandonnée de tous, dont les Sirènes sont les maîtresses.

- C'est une nouvelle musique ?

demande une voix calme, mesurée.

Tom est assis sur le même canapé qu'elle. Il est très tôt le matin. Un samedi. Le soleil pose ses délicats rayons sur les toits pointus. Les chapeaux de tuiles. Les pics d'ardoise. La neige tombe comme les planctons qui peuples le lac noir. Comme le sable qui chute dans l'oubli.

Tom voit qu'elle l'observe. Qu'elle le détaille. Qu'elle le dévore. Froide. Douce. Dangereuse. Il lève la tête. Il a ses yeux sombres comme la nuit. Comme la mer. Tom aime passer du temps avec elle. Elle le sent. Mais il lutte aussi. Étrangement, elle aussi. Mais ils finissent toujours ensemble. Dans la salle commune, dans le parc, près du lac. Toujours. Étrange mot. Toujours. Étrange comme elle. Comme Tom.

- Non, c'est un projet,

murmure-t-elle doucement.

- Pour qui ?

questionne-t-il, sa peau si fine, qu'elle laisse presque voir des écailles.

Elle le connaît bien maintenant. Tom est un pouvoir si lisse qu'à son âge, si jeune, s'en est ahurissant. Naïade replie ses jambes factices. Les coussins s'enfoncent dans le silence. Elle se demande : pourquoi Riddle si estimé, tout le monde l'a laissé tomber ? Pourquoi personne n'a remarqué sa chute ? Pourquoi personne ne l'a aidé à remonter ?

- Pour quelqu'un qui n'a jamais appris à nager.

La Sirène, ça ne la dérange. Elle fait partit du fond marin. Du noir. Des ombres et des ténèbres. Des Strangulots qui lui sussurent où se cachent les trésors. Ceux de la vie et de la mort. Ceux de la faim et du désir.

Naïade est dans son élément. Mais Tom ? Qui est-ce qui l'attend au fond de l'océan ? La mort, l'impossibilité de nager, de respirer, même s'il veut s'épargner. La survie. L'abandon. L'échec. Le commencement.

- Suis-je quelqu'un qui n'a jamais appris à nager, Naïade ?

- Tu coules, Tom, tu coules comme une pierre.

Naïade se demande encore après tout ces mois comment personne n'a pu voir déchoir l'innocence de Tom ? Pourquoi personne n'a envoyé une corde pour le ramener à la réalité ? Pourquoi l'a-t-on laissé se transformer en monstre dans les profondeurs, sans personne pour le calmer ?

Tom fronce à peine les sourcils. Même s'il comprend. Tom est intelligent. Tellement pleins de haine. Comme une Sirène qui ne cesse de crier famine. Jamais satisfait du destin. De la beauté. Du pouvoir. Jamais satisfait des petits plaisirs. De la chaleur d'une cheminée, de la tiédeur des sofas, des bonbons pralinés, des vins blanc et chocolat. Jamais satisfait. Toujours triste.

Naïade en plantant ses fentes de jade dans son regard, sait qu'il est trop tard. Trop tard pour le rattraper, trop tard pour le reconstruire. Trop tard pour lui faire aimer les plats dorés, les courses à vélos, le vol à dos de balais. Trop tard pour lui faire ressentir les papillons d'un bal, le souffle d'une valse. Un sourire. Un simple sourire.

Naïade ne sait pas sourire aussi. Pas parce qu'elle a oublié comment faire. Mais parce qu'une Sirène ne sourit pas. Elle chante. Elle fredonne. Elle attire et elle dévore. Mais pour Tom, il ne se rappelle plus de ce qu'est un sourire. Volontairement. Chaud. Sans condescendance, ni méfiance.

Et pourtant. Et pourtant Tom lui sourit maintenant. Ce n'est pas franc. C'est un mélange de grimace et de bonté. Comme si, il sent le destin lui tendre la main mais que finalement, il sait que c'est trop tard. Il a pas envie d'essayer. Le bonheur. La lumière. Pourtant avec Naïade, il veut tenter.

Goûter ce pouvoir lisse. Battu par les rivières, les fleuves et les lacs. Entretenu par la force des nageoires, les aiguilles de ses dents, sa peau froide. Froide comme un serpent. Comme lui.

- Dans ce cas, peux-tu m'aider à rejoindre la surface ?

demande-t-il en refermant son livre de botanique vert bouteille.

- La surface ? Qu'iras-tu faire à la surface, Tom ? Tu préfères les ténèbres,

murmure-t-elle ses yeux fixes.

- Peut-être que je suis encore trop aveugle et seul pour lire les ombres. Peut-être ai-je besoin de toi pour les déchiffrer ?

La Sirène coupe un vers de sa chanson. Repose son stylo. L'encre tâche et pleure contre le papier qu'il éclabousse. Plus Tom parle, plus les feuilles se remplissent. Plus sa chanson a du sens.

- Tu veux me voir danser ? Dans le noir ? En temps que Sirène ?

- Oui, comme ça aurais-je un jour la force de te rejoindre. La même force que toi qui marche sur terre. Sur le territoire du serpent. Le mien.

Et une bouteille d'éphémère se brise quelque part chez le maître des destins et elle libère les papillons des estomacs.

𝕾INGSONG NAÏADE ━゙TOM RIDDLE ✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant