3. À nos écailles de prédateur ࿐ ࿔

935 97 8
                                    

Le soir-même, Naïade se prépare. Elle se prépare comme les ballerines lors d'un opéra. Elle ne met pas de maquillage. La poudre blanche ne tombe pas sur ses genoux, ses lèvres ne sont pas peintent en rouge, non. Pas besoin. Elle, va enlever son costume. Elle ne pas cacher sa vérité. Elle ne pas se vêtir de tulle. Elle va se devêtir. Elle va habiller sa nudité.

Le ciel est sombre. Le voile du monde s'est déposé sur le firmament. Les élèves rêvent. Dans les cachots et les tours. Ils font des cauchemars ou des songes délicieux. Parfois ils rêvent du vide. Ils oublient si vite, quelle est la couleur des ténèbres. Ils en oublient les formes et les silhouettes.

Naïade n'oublie jamais. Dès qu'elle sort de l'eau, tout les matins. Elle abandonne un berceau, un foyer, une chair et un corps qu'elle aime et qu'elle aspire à respecter. À entretenir. Deux jambes ce n'est qu'un trop lourd fardeau. Ses collants blancs ce sont des épreuves. Ses chaussures en cuir, des obstacles. Elle ne veut pas s'y habituer, jamais. Et pourtant elle le fait tout les jours dans l'espoir de replonger dans la nuit. Dans le lac. La froideur de la noirceur. Délicieuse. Vaporeuse. Qui sussure des poèmes.

Une main se pose sur son épaule. C'est Tom. C'est toujours Tom. C'est le seul qui s'approche sans frissonner.

- Tu m'as l'air nerveuse, Naïade.

- Nerveuse ? Je suis impatiente, Tom.

- Impatiente, comment ?

- Comme un déluge, un maëlstrom, un ouragan.

Tom sourit. Un vrai sourire. Un sourire où on se dit. Oui, il change. Oui, il va remonter. Oui, il va se draper de la lueur de la lune. En faire une cape. Trouver un chemin. Un chemin aussi sûr que les écailles qui courent sous sa peau. Le long de la sienne, aussi.

Mais, Tom est si loin dans les profondeurs. Tom a oublié la surface. Il a abandonné les astres et les étoiles. Ce qu'il cherche c'est comment toucher le fond. Le sable. Le froid. La mort. Puis remonter. Prouver au monde qu'il peut survivre à ce que jamais personne n'a fait avant lui.

Survivre. Danser dans les ombres avec une Sirène. Obtenir un baiser immortel. Une âme en morceaux. Les mêmes morceaux de comètes tout là-haut qui ne peut plus atteindre. Parce que c'est trop tard. Son innocence a réussi à nager et l'a abandonné parmi les bans de requins marteaux.

Maintenant il ne peut faire qu'une chose.

Apprendre la danse. La danse des prédateurs. Ceux aux mâchoires d'acier. Aux centaines de crocs acérés. Au chant divin et menteur. Dans ses plaines immaculées, salées, immergées. Ses terres promises aux esseulés que personne n'a encore exploré.

Naïade froide comme la glace, passe ses doigts palmés de pastel sur les joues creuses. Les joues de Tom qui n'ont jamais assez pleurer. Qui n'ont jamais assez profité d'être un enfant. Mal aimé. Attristé. Négligé. Un cœur pur qu'on a laissé aux fouets des inconstants, d'autres, déjà malmenés. Eux, qui n'ont pas eu la force de s'en occuper.

Pauvre cœur. Pauvre culpabilité.

Tom glisse ses longs doigts destinés maintenant au sang, dans les cheveux de la Sirène qui recule peu à peu vers le verre magique. Il garde la mèche brune jusqu'à ce qu'elle le quitte. Comme tout ce qu'il a toujours connu. Ses yeux noirs sont plongés dans le jade vertical de Naïade. Comme un fils qui lève sa main vers le fantôme de sa mère.

Naïade recule. Elle chantonne la même mélodie. De piano, d'harpe, d'ode de son peuple qui attire les forts vers un pouvoir poli, lisse, infini.

Doucement, Naïade passe à travers le verre. Transparent et fragile comme la vie. Qui peut-être si terne, si opaque, si tâché, si empli de tristesse si on ne s'en occupe pas.

Tom le regard ancré dans la Sirène vit ses étoffes s'évanouir. Ses jambes se nouer comme les rubans des cadeaux d'anniversaire qu'il n'a jamais connu. Elles se consolident et créées une queue immense. Opaline. Émeraude. Rubis. Des voiles de mousseline en écailles. Comme les plus belles nageoires des carpes. Brillantes comme la lune qu'il s'est condamné à oublier.

Les écailles laiteuses de Naïade recouvrent son corps voluptueux, maigre à la fois. Ses cheveux forment une auréole de déchu autour d'elle. Si belle. Si puissante.

Naïade s'approche doucement. Elle nage comme une déesse. Un courant marin. La courbe nacrée d'un coquillage. Elle est effrayante et magnifique. Ses lèvres forment un cœur, comme un sifflement. Un chant d'une tristesse à déchirer l'âme comme un meurtre rempli le lac et la Salle commune. Naïade tend la main vers lui. Une main de neige, de sang, d'algues et de pierres précieuses. Aux ongles d'ivoire capable de transpercer la chair d'un être aimé.

- Si parfaite, tu es ce que je veux accomplir. Un dieu dans les ténèbres. Qui se déplace comme s'il s'agit de son foyer. Un serpent d'eau.

Naïade répond mais il ne voit que des bulles. Des souvenirs échappés qu'il ne pourra jamais rattraper. Jamais connaître.

Tom s'approche aussi de la vitre. Il la touche du bout de sa main réptilienne. Naïade voit presque le noir de ses iris prendre une teinte bordeau. Comme le vin que Tom, dans les petits bonheurs, s'est promis de ne jamais goûter.

Deux monstres.
Pour l'un, une créature de perfection. À désirer. À jalouser.
Pour l'autre, une proie, un petit garçon dans une peau trop grande pour lui, la tristesse et la colère personnifiée.

Comment le maître des destins peut penser à les réunir ? Jamais on n'a vu d'aussi mélancoliques âmes, brisées comme de la porcelaine, une tasse dans l'océan, se ressembler autant, au point de s'unir comme des soeurs.

Jamais vu. Étrange mot. Jamais. Étrange comme lui. Et elle.

𝕾INGSONG NAÏADE ━゙TOM RIDDLE ✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant