Résilience

II.Dure réalité

Samuel

-Bonjour Samuel, dites-moi comment vous sentez-vous tout d'abord ? S'empresse de me demander Madame Lima avant même de nous asseoir. Elle m'accueille tout sourire. Ma psychiatre a réussi à me caser un rendez-vous entre deux patients ce matin à 11h. Des mois que je ne l'avais plus consulté. Ne me sentant pas mieux.

Elle a vraiment l'air contente de me voir. Ce qui n'est pas mon cas. Même si elle demeure une personne sympathique et agréable, je sais qu'elle ne peut plus rien pour moi. Je perds mon temps et je ne suis pas d'humeur à faire la parlote. Je n'en ai pas la force.

Elle transpire la joie de vivre. On le voit dans ses pupilles dilatées à leur maximum et à son sourire solaire. C'est indéniable. Son port de tête est parfait. Elle rayonne littéralement. Alors que moi avec mon teint blême, mes cheveux mi-longs lâchés qui cache mon visage et ma maigreur que je tente de dissimuler sous mon survêtement large me renvoie à une autodestruction certaine.

Et dire que j'étais comme ça avant. Il n'y a pas si longtemps pourtant et ce grâce à celui qui n'est jamais loin de moi. Mon Eddy.

Oui, c'est ça. Elle doit être amoureuse. Ah l'amour... L'amour vous porte et vous transporte. On dit que l'amour peut tout guérir. Alors pourquoi il ne l'a pas fait pour moi ?

Assis face à face, elle, est sur le fauteuil et moi sur le divan. Je ne m'y sens pas à l'aise. Bien qu'il soit très confortable. Je suis bien trop en proie à mon éternelle culpabilité et mon mal-être constant qui m'épuisent. J'ai honte de mon corps aussi. Mais ça, vous l'aviez deviné, n'est-ce pas ? C'est le triste lot de bon nombre de victimes de viol malheureusement.

Eddy m'attend dans la salle d'attente. Il est aussi épuisé et à fleur de peau que moi mais tente à tout prix de me le cacher. Ce mec est une perle. Hélas, il y a bien longtemps que je ne le mérite plus. J'ai essayé en vain de le quitter. A défaut, de le libérer en lui assénant de me larguer puisque je ne suis plus celui qu'il a connu. Autant physiquement que psychiquement. Mais rien y fait, il reste là. Triste est de constater que nous sommes devenus deux âmes en peine aimantées. Étrange car si lui est la plume, moi je suis bien l'enclume qui ne fait que l'enfoncer chaque jour. Il devrait s'envoler loin de moi.

Mais quelque part, égoïstement, je suis content parce qu'il est tout pour moi. Néanmoins, partager toute cette souffrance finira par l'anéantir lui aussi et je m'y refuse. Je l'aime mon Édouard. Le toucher, l'embrasser, le serrer tout contre moi me manquent mais je n'y arrive pas. J'en suis incapable. J'ai tenté de maintes fois de le faire et à chaque fois la douleur vive et lancinante du souvenir de leurs mains bien trop nombreuses et vicieuses sur moi revient. Mon corps s'embrase alors de l'intérieur et j'étouffe littéralement. Une sensation au combien agréable m'est réduit à du pur dégoût à présent.

Comment trouver la force de continuer à espérer aller mieux un jour face à ce constat amère ?

S'il peut encore toucher mes cheveux, c'est probablement dû au faite que c'est la seule partie de mon corps qu'ils n'ont pas souillés. C'est con hein.

-Bonjour Docteur Lima... Je ne reconnais même plus ma voix tant elle a perdu en volume et en intensité. Comme mes muscles d'ailleurs. Je ne compte plus les kilos perdus. De toute façon, j'évite de me regarder et je fuis tous les miroirs. Difficile de continuer à s'alimenter quand l'appétit disparaît et que ni les odeurs ni les goûts ne parviennent à charmer vos papilles.

Nadia Lima est devenue ma psychiatre depuis que j'ai été agressé. Je ne voulais pas d'homme pour s'occuper de ma souffrance psychologique. Eddy m'a donc trouver cette psychiatre spécialisée dans les traumatismes suite aux agressions sexuelles. C'est un bon psychiatre et je lui fais confiance. Mais rien n'a fonctionné avec moi jusqu'à maintenant. J'ai même la terrible sensation que je décline. Je crois que tout mon être a atteint ses limites d'endurance au mal-être humain.