Prologue.

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« Il n'est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage. » Périclès.

— Oh, euh... Bonjour, Marie-Ange. Léon est ici ?

La quarantenaire arque un sourcil, surprise de l'état de panique dans lequel se trouve Alba Moretti, la cadette de cette petite famille italienne qui a rénové l'ancien moulin du bout de la rue pour se construire un havre de paix. En apparence seulement. Car si les habitants du quartier ont eu vent des éclats de colère provenant de la maison, Marie-Ange Marchal, elle, a été la témoin directe de l'orage.

Cette adolescente, elle l'a prise sous son aile lorsque ses parents ont signé les papiers d'un divorce soudain, conduisant Bianca, l'épouse et la mère aimante que rien ne pouvait anéantir, jusqu'à la dépression. Submergée par une certaine mélancolie, Marie-Ange revoit ce jour où elle a recueilli les enfants Moretti chez elle pour leur éviter le foyer. Six années durant lesquelles elle a mis un point d'honneur à les élever comme ses propres progénitures. La cicatrice qu'a causée leur départ de sa famille d'accueil est encore vive, endolorie par les doux souvenirs qu'elle ne peut s'empêcher de se remémorer.

— Chérie, est-ce que tout va bien ?

— Oui.

Un mensonge à peine dissimulé, de ceux qu'on prononce dans l'espoir que l'interlocuteur cerne la détresse qui s'y cache.

— Tu sais que tu peux tout me dire, trésor.

— Je voudrais... voir Léon. S'il te plaît.

Contrainte de répondre aux attentes de celle qu'elle considère comme sa fille, Marie-Ange fait un pas en arrière et attrape la rambarde des escaliers.

— Léon, il y a quelqu'un pour toi ! s'écrie la psychanalyste.

Après avoir dévalé les marches, son plus jeune fils apparait dans le couloir de l'entrée, immédiatement alerté par l'allure de son amie d'enfance.

— Alba ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

Une hésitation. Un sanglot étouffé au fond de la gorge, un cri du cœur mis en sourdine. Se sachant de trop, Marie-Ange presse l'épaule de son cadet et rejoint la cuisine pour reprendre le flambage au cognac de son tournedos.

— Je... j'en sais rien.

— Viens.

Léon capture la main de la jeune femme et l'entraîne jusqu'au fond du jardin, là où aucune oreille ne pourra surprendre ses confessions. Haut perché, le soleil filtre à travers les épais nuages qui s'étendent au-dessus de leur tête. Le vent souffle ses caprices dans les boucles d'Alba, mais elle ne s'en soucie guère, elle qui habituellement, tient à dompter sa chevelure. Lasse, elle s'assied sur le hamac, en étant pourtant peu certaine de sa solidité.

— Ma mère... C'est une catastrophe, avoue-t-elle enfin. On arrive plus à gérer et depuis que papa a trouvé une copine, il s'inquiète moins pour elle... pour nous.

— Gabriel sait que t'es là ?

— Non. Il est resté avec elle. Moi, je peux plus. C'est trop dur.

Prise de sanglots, l'adolescente cache son visage dans ses paumes, trop pudique pour dévoiler sa fragilité à son ami, mais trop faible pour la museler. Léon s'installe à côté d'elle et passe un bras par-dessus son épaule.

— Je sais, répond-il en la serrant contre lui. Je sais, Alba.

Elle relève la tête et s'autorise à s'égarer dans les yeux bleus du meilleur ami de son frère. Celui qui a embelli ses journées lorsqu'elle n'était qu'une petite fille abattue. Celui qui n'a jamais prononcé le mot « divorce », qui n'a jamais évoqué son placement, ni toutes les misères qui s'accumulaient dans sa vie d'enfant. Celui qui, d'une certaine façon, lui a permis d'y croire encore.

Ici et maintenant (SOUS CONTRAT D'ÉDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant