Chapitre 6 (partie 1) Lâcher prise.

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« Ça se vit, l'anxiété. Ça vous rentre de partout, ça vous pénètre, et plus on se démène, plus ça fait mal. » Jean-François Somcynsky.

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Voilà plusieurs jours que je ne suis pas allée en cours et si jusqu'à ce matin, je ne ressentais pas une once de culpabilité, c'est maintenant le cas. J'ai passé ma journée à me balader dans les rues de Calfort, sans destination, juste pour me vider la tête. Nouvel échec cuisant. Tout me ramène à ma vie et à mes projets qui se volatilisent. Il serait peut-être temps de se reprendre en main... Oui, il faut absolument que j'envoie mon angoisse se faire voir, à défaut de lui laisser le champ libre pour me grignoter.

L'horloge de mon portable indique vingt-deux heures. Je lâche un soupir, sans trop savoir pourquoi, et m'acharne à effacer le mascara qui m'agrippe les cils.

— Albaraque à frites ? T'es où ?

— Dans la salle de bain !

Des pas précipités retentissent dans le couloir et font trembler les murs. Le visage penaud de Léon apparaît dans l'entrebâillement de la porte.

— Ils sont où, les autres ? demande-t-il.

— Gab est en haut, chez Romy, et Oscar est parti voir un ami.

— OK. Si tu me cherches, je suis devant la télé.

— Je te cherche pas.

Une fois mon visage débarrassé de fond de teint, je rejoins le salon. En passant outre le son de la télévision excessivement fort, je me rends auprès de la commode et m'empare de ma précieuse boîte en bois. Avec précaution, je pose le coffret sur la table de séjour pour en sortir mon oracle, ainsi que tout mon matériel censé me guider dans ma quête de réconfort. C'est fou, mais je me sens déjà un peu mieux, déchargée de toute cette pression qui pesait lourd sur mes épaules toute la sainte journée. Je m'installe, mets mes écouteurs et lance la playlist zen. Une lumière plus tamisée serait la bienvenue, mais j'ai peur que Léon vienne gâcher mon moment en protestant.

Après les retrouvailles avec mon père, j'ai besoin d'y voir un peu plus clair dans ma vie, même à une heure aussi tardive. Mon pouce roule contre la pierre du briquet et je colle la flamme sur l'encens. Dans une fine fumée, l'odeur de sauge blanche danse autour de moi et me permet d'aiguiser mes sens. Les conditions sont presque toutes réunies et propices à la spiritualité qui me soulage tant. Je pose le bâton de fumigation sur son support et étale les cartes à l'envers sur la table, en demi-cercle.

Les yeux clos, je laisse mes mains en suspens au-dessus du jeu, me concentrant sur la chaleur ressentie dans mes paumes et par mon instinct qui m'oblige à jeter mon dévolu sur telle ou telle carte. À l'aveugle, juste guidée par mon intuition, j'organise mon tirage et mets de l'ordre dans mes choix. Les notes de harpe qui se diffusent dans mes tympans m'aident à lâcher prise, à nager dans une spirale de bonnes ondes. Là, tout de suite, j'ai la sensation d'être ailleurs. Je suis dans un univers féérique où rien ne peut m'arriver. Un peu comme un paradis qui serait destiné aux âmes égarées, celles qui sont trop impressionnées par le soleil pour quitter l'ombre.

Lorsque je rouvre les paupières, je constate que, devant moi, les coudes en appui sur le dossier de la chaise d'en face, Léon m'observe.

— Tu te tires les cartes, alors ? s'enquiert-il.

— Bien vu, l'aveugle.

D'un air malicieux que je connais très bien, il se penche un peu plus vers moi.

— Hm. Et... est-ce qu'elles te disent que cette nuit, toi et moi, on va s'envoyer en l'air ?

Quel con.

Ici et maintenant (SOUS CONTRAT D'ÉDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant