Chapitre 7. Avancer à reculons.

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« Le carrosse du passé ne nous conduit nulle part. » Maxime Gorki

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Abritée sous le préau de l'immeuble, je regarde la rue. La pluie dégringole depuis le petit matin, doublée d'un vent violent qui m'oblige à m'emmitoufler dans ma veste. Le ciel lâche ses milliers de filets d'eau, peu soucieux d'importuner ceux qui ne supportent pas les temps maussades. Me concernant, j'adore cette météo capricieuse. Elle apporte du volume à mes boucles et semble laver l'air de ses pêchés, comme pour lui donner une nouvelle chance avant le beau temps.

Repartir de zéro pour qu'après les larmes, revienne la chaleur d'un sourire.

Vêtue d'un imperméable jaune qui rappelle ceux des Bretons, Solange, notre concierge et propriétaire, fait son entrée dans la cour. Elle dégage sa capuche de sa tête et s'empresse de recoiffer ses courts cheveux rouges.

— Eh beh ! Quel temps de chiotte, soupire-t-elle en secouant son parapluie pour le débarrasser de ses gouttes.

J'acquiesce, sans pour autant valider son mécontentement.

— T'as prévu de sortir, trésor ? s'enquiert-elle, grimaçante. Je t'aurais bien déposée, mais cette satanée bagnole est encore chez le mécano. Elle m'a lâchée hier. J'avais dit à mon frère qu'elle couinait dans les virages, il a pas voulu me croire, bah r'garde le tableau !

Elle continue de baragouiner tout en chassant les feuilles mortes qui jonchent les dalles avec son balai. Solange est la mascotte de notre immeuble, en plus d'être connue comme le loup blanc dans Calfort. Meneuse de revue à la retraite, elle ne rechigne jamais à nous raconter l'époque glorieuse durant laquelle elle était la tête d'affiche de nombreux cabarets. Gaston, son mari, a longtemps été sous les soins de ma mère quand cette dernière était encore aide-soignante.

— Tu reviens d'où ?

— De la maison de retraite, déclare-t-elle comme une évidence. Mais j'y retourne en fin d'après-midi. On est mercredi, ton frère vient jouer pour les petits vieux, ça va swinguer ! Mon Gaston ne louperait ça pour rien au monde.

J'esquisse un sourire attendri rien que d'imaginer la scène.

— Et toi, tu vas où, bichette ?

— Voir maman.

Solange repose son balai contre la porte du cagibi et s'avance vers moi.

— Oh... Je suis allée lui rendre visite, hier, dit-elle. Elle est plus aussi causante qu'avant, mais je pense que ça lui a fait plaisir de papoter un peu avec moi. Bon, tu me connais, j'ai fait la conversation pour deux !

Elle rit et enclenche son briquet pour allumer la cigarette qu'elle tient entre ses fines lèvres maquillées. Aussitôt, elle balaye la fumée avec sa main, comme pour m'épargner des dommages de son vice.

— Ouais. Ça dépend des jours. Parfois, elle débite comme un moulin à paroles et parfois, c'est le silence radio, réponds-je dans un haussement d'épaules.

Toutes les matinées qui précèdent mes visites sont en proie au stress. J'ignore comment je vais trouver ma mère, si elle va daigner m'écouter, prendre soin d'elle ou parler d'autre chose que de ses histoires tragiques. C'est sûrement pour cette raison que je suis encore là, au milieu de la cour, à défaut d'être en chemin.

— Au fait, pendant que je te tiens, s'écrit ma concierge en m'agrippant le poignet. Vous fumez dans l'appartement ? Les nouveaux se sont plaints d'une odeur de cannabis dans le couloir.

— Hein ? Ah non impossible... Sauf si... Je fais souvent brûler de l'encens ou des branches de sauge, mais...

— Ah bah cherche pas ! rit-elle. Ces idiots sont même pas foutus de faire la différence entre de la sauge et de la Marie-Jeanne. Je savais bien qu'ils étaient pas futés. Continue donc de brûler tes plantes, va. Mais fais gaffe au détecteur de fumée.

Ici et maintenant (SOUS CONTRAT D'ÉDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant