- Hunter -
On peut pas vraiment dire que la journée avait bien commencé. Je m'étais réveillé aux aurores, le cul encore bien calé dans le canapé du Boot's, entièrement habillé, et une gueule de bois de six pieds de long. La même que je me payais tous les matins depuis une semaine.
Un coup d'oeil autour de moi. Le foutoir. Évidemment. Des cendriers pleins à ras bord. Des pailles éparpillées sur les tables. Le carrelage puant et collant sous les pompes comme une immense étendue de goudron qu'a pris le chaud trop longtemps. Des cadavres de bières tapissant chaque mètre carré. Et au milieu de ce foutoir, mon pote Boyd, pionçant comme un loir, la tronche grande ouverte et les canines à l'air. Boyd avait été mon compagnon de chambrée quand j'avais intégré les Drunken Bastards. On avait tout partagé. La piaule, les corvées, la came, les filles... Alors forcément, je connaissais bien l'engin et je savais mieux que personne qu'un type comme ça, quand il pionce profondément, y'a pas moyen de lui faire fermer sa gueule. À une certaine époque, ça me dérangeait pas. Avec tout ce que je me mettais dans la tronche, le sommeil n'était jamais bien long à venir. Mais depuis la taule, j'avais développé un sixième sens la nuit, comme une putain de veilleuse. Le moindre bruit suspect, le moindre silence trop pesant et j'étais assis dans mon pieu, prêt à en découdre. La taule, ça a de quoi transformer le rythme d'un homme. Entre les bruits de portes, les gardiens qui gueulent, les matelas en béton, les pauvres types qui chialent à l'autre bout du couloir et ceux qui pètent un câble comme ça, d'un coup d'un seul, et qu'on vient chercher pour les balancer au trou. Dormir à l'ombre, c'était vraiment pas ce qui s'y faisait de mieux. Même s'il est de notoriété publique qu'il n'y a pourtant que ça à y foutre ! Y'a qu'une règle. Si t'y dors, c'est que t'es mort.
Depuis que j'étais sorti, mes insomnies avaient empiré. Comme si la chose était possible. Désormais, c'était l'espace qui provoquait mon angoisse. Les portes ouvertes. Le bruit quand il vient de loin. Le bordel dans la rue. Un sale cabot qui fait les poubelles...
Ce manque de sommeil jouait sur mon humeur, composant une saloperie de rythme quotidien façon montagnes russes, entre piques d'euphorie, principalement dues au trop-plein d'alcool et de drogues et une forme viscérale de nervosité qui me tirait sans cesse vers le bas. Tout ce qui était inattendu devenait une menace. Et il y avait plutôt intérêt à ce qu'on frappe à ma porte avant d'entrer, sous peine de se faire crucifier. Pendant les neuf années qu'avait duré ma peine, mes sens s'étaient affutés. Ma rage avait explosé et niveau physique, j'avais changé de catégorie. Normal, deux cents pompes par jour, c'était le minimum vital. Entretenir le corps était la seule activité valable et les merdes en taule, elles n'étaient jamais très loin. On avait beau être écarté du monde, ce qui se passait au-dehors était loin de nous être épargné. Les affaires, elles campaient jusque dans la cour, sous les yeux des gardiens. En neuf ans, j'avais eu mon lot de poisse pour couvrir le club. Je m'étais fait planter huit fois, péter le nez trois fois et cassé quatre côtés. Deux de mes doigts à la main gauche étaient définitivement hors d'usage, après qu'un type me les ait calés dans une porte en tôle acier et je n'avais pas récupéré toute ma mobilité. Le fumier avait perdu son bras après ça. Simple retour à l'envoyeur. Pas question de laisser croire qu'on pouvait s'en prendre à Hunter Welsh sans impunité.
Néanmoins, c'était un fait. En neuf ans, je m'en étais pris plus dans la gueule qu'en six années à chercher la merde avec les Bastards. Ma patience, de manière générale, était désormais inexistante, entièrement consommée, cramée jusqu'à la tige.
Je m'étais levé en ronchonnant, avait balancé un coup de pompe dans les côtes de mon pote, comme ça, pour la forme et m'étais barré dehors, chopant au passage une bouteille de gin pas tout à fait terminée histoire de me rafraîchir les crocs. J'avais enfilé mon cuir, choper le reste de mon paquet de blondes et j'étais parti faire un tour dans la ville encore endormie. Dans le reflet d'une vitrine, j'avais maté ma gueule déconfite et une trace de rouge à lèvres courant sur ma pommette avait capté mon attention. Lemon. La star du Glitter ne me lâchait pas depuis mon retour au bercail. La jolie lionne aux grands yeux noirs qui en avait fait baver plus d'un à son arrivée au cabaret, moi compris, avait jeté son dévolu sur ma trogne depuis quelques jours. Et vu sa réputation, je savais pertinemment que mon modjo, ma grande gueule ou même mon savoir-faire auprès des dames n'avaient rien à voir avec ce soudain intérêt. Non, c'était de la stratégie pure et dure. Installer son joli petit cul dans le pieu d'un type fraîchement gradé, à une position pas trop dégueu dans la hiérarchie du Bootlegger et par ricochet, du Glitter, se payant de fait, une position assez enviable auprès de ses copines à faux-cils. Tout le monde y trouvait son compte et moi le premier.
VOUS LISEZ
The Drunken Bastards *Tome 1, La Môme* [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
RomanceIl y a huit ans, alors que son père, le célèbre Bush Abbott, est assassiné sous ses yeux, Jersey décide de fuir les bas-fonds de Bristone avec la ferme intention de ne jamais recroiser la route des Drunken Bastards. Devenue une jeune délinquante à...