« Tu n'es qu'un débile ! »
J'observais, derrière le mur en brique du préau, la claque la plus belle que j'avais pu voir en dix ans de courte vie. Elle m'avait rappelée celle que mon frère avait reçue de la part de mon père après m'avoir poussé dans le lac derrière chez nous alors que je ne savais pas nager.
Ce jour-là, c'était Gigi qui avait sauté dans l'eau pour venir me sauver de la noyade. Je crois même qu'il était tombé malade le lendemain et avait raté la fête de la musique.
En entendant des pas de course dans ma direction, mon corps se collait par instinct contre le mur mais malgré ça, elle m'avait vu. « Elle », c'était la nouvelle victime du charme de Gigi.
Une petite rousse qui avait voulu saisir sa chance avec mon meilleur ami.
Les larmes coulaient sur ses taches de rousseur et elle n'avait pas manqué de me fusiller du regard en m'apostrophant d'un beau « QUOI ?! » énervé.
Je m'étais contenté de hausser les épaules et ma réaction avait accentué sa colère. La rousse m'avait alors poussé en arrière, me faisant tomber sur le béton poussiéreux du préau en poussant un petit cri de douleur.
Mais alors que je m'attendais à un acte de violence injustifié envers moi, la main de Gigi vint arrêter celle de la rousse en plein vol.
— Laisse-la tranquille, elle t'a rien fait.
— Elle nous a espionnés et s'est foutue de ma gueule ! C'est qui ? Ton amoureuse ?!
— Non, c'est ma sœur.
Gigi avait balancé ça tellement naturellement que la rousse l'avait cru et était partie en le traitant d'abrutit. Il avait alors soupiré en m'aidant à me relever avant de tapoter mon pantalon sale.
« Qu'est-ce qu'elle te voulait ? » avais-je demandé alors qu'il restait étrangement silencieux.
— Elle voulait devenir ma copine.
— Encore une ?
Je n'avais pas compris pourquoi ma remarque l'avait fait sourire. Peut-être qu'à l'époque, il avait déjà saisi que briser les cœurs serait son lot quotidien.
— Et tu ne veux pas ?
— Non, moi je cherche le grand amour !
L'excitation dans ses yeux alors qu'il avait théâtralement levé ses bras au ciel m'avait fait rire. On se connaissait depuis sa naissance et Gigi avait toujours eu ce côté romantique influencé par la myriade de films Disney qu'il voyait avec ses grandes sœurs et moi-même.
On avait souvent joué à « prince et princesse » tous ensembles et c'était toujours lui qui était le sauveur d'une demoiselle en détresse... Et moi, j'étais tout le temps son destrier.
Jamais la fameuse demoiselle. Mais ça m'importait peu, tant qu'on s'amusait.
« Léo, je peux te demander un truc ? Tu peux me garder ça ? » m'avait-il dit en sortant de sa poche une bague en plastique. Je me souvenais l'avoir vu la sortir d'une machine à jouer au centre commercial la veille lorsque son père nous avait emmenés au cinéma.
J'avais l'habitude de lui garder tous ces objets de valeur parce qu'il perdait tout. Ses sœurs se moquaient de lui en disant qu'il était maudit et mon frère se moquait de moi en disant que j'étais son sac à main.
Je tendais la main pour recevoir la bague, prête à la ranger dans ma banane, lorsque Gigi posa son pouce sur ma paume pour relever mes doigts. Il fit glisser la bague à mon annulaire avant de sourire et de me chuchoter :
« Comme ça, elle ne risque pas de se perdre. C'est un trésor alors tu ne dois la retirer que lorsque je te le demanderais ! »
Pour la première fois depuis que je le connaissais, il avait provoqué chez moi un étrange sentiment. Une sensation agréable se propageant dans tout mon corps et faisant palpiter mon cœur.
« Je vais la donner à la fille que j'aime alors garde-la bien ! »
Je crois que c'était à cet instant que j'avais craqué.
Comme toutes les autres fillettes, j'étais tombée amoureuse du romantisme de Gigi.
Et comme toute celle ayant désespérément cherché à avoir son attention, il ne m'avait jamais accordé plus que de l'amitié.
VOUS LISEZ
The Man I (always) Love
Short StoryLéonore est amoureuse depuis vingt ans du même homme : son ami d'enfance George. Un romantique dans l'âme mais tellement convoité qu'il en est devenu inaccessible pour elle. Séparés pendant des années et travaillant maintenant dans la même boite d'a...