Abandon

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Jeremy fixait le plafond craquelé. Suite à la dispute avec Julien, il avait perdu toute motivation pour continuer à bosser. Il était parti sur Twitter pensant se distraire. Entre les gamins infoutus d'aligner une phrase avec sujet verbe complément et les fachos tenant des propos aussi creux que l'intérieur de leur enveloppe crânienne... Jeremy s'était infligé une douleur à la tête insupportable. Il était allongé sur le dos, attendant patiemment que le mal s'estompe. C'était sans compter son colocataire qui de son côté ne s'était pas laissé choir telle une loque. Les plus beaux classiques de la musique gauloise à fond dans les enceintes, Julien était en transe au milieu du salon. Il devait être au moins 15h00, et plus le temps passait plus Jeremy songeait à se crever les tympans. Même si habituellement il appréciait danser avec lui, Jeremy était dans un tel état qu'il souhaitait juste que Julien cesse de l'emmerder. Jeremy se sentait coléreux mais la déception avait pris le pas sur tout le reste. Il s'était senti heureux de pouvoir travailler avec son ami sur leur passion commune. Mais une fois de plus, Julien avait été cruel. Il avait été cruel car Jeremy se sentait profondément troublé, profondément triste de se morfondre seul dans une chambre puant la clope et le déodorant alors qu'il devrait être avec lui. 

Un quart d'heure plus tard, Jeremy fut pris de nausées. Il comprit que rester dans cet appartement ne serait en rien bénéfique à sa santé, aussi bien physiquement que psychologiquement. Il se tourna en direction de son portable, à côté du cendrier. Il était enseveli par des mouchoirs sales. 

Depuis combien de temps j'ai pas nettoyé ma chambre ? 

Il s'en saisit fermement. 

Merde plus que 10%

Il le déverrouilla et fouilla dans son répertoire téléphonique, son pouce s'arrêta à la lettre G. 

Dix minutes de conversation suffirent à lui faire prendre une décision. Il attrapa un sac et prit le temps de plier quelques-unes de ses affaires avant de fourrer le reste en mode "gros bourrin". Il ne prit ni de caméra ni de trépied. Toutes les affaires pour les vidéos furent rangées dans un coin. 

Je vais pas pouvoir tourner dans des conditions pareilles. 

Il laissa sa chambre à l'abandon. Il traversa le couloir, ignorant les clichés de Julien sur les vieux meubles en chêne. Il arriva au niveau de l'encadrement de la porte du salon. Julien s'était assis sur une des chaises, une clope fumante au bout des lèvres. 

Encore ? 

-Julien. 

La musique résonnait dans la petite pièce. 

- JULIEN ! 

La musique recouvrait le son de sa voix. Il s'approcha à vive allure de la cause de cet infernal boucan et abaissa le bouton sur off.  Julien tourna enfin la tête vers lui, son air nonchalant toujours apparent. 

- Remets la musique putain. 

- Je m'en vais pendant quelques jours. J'ai besoin d'air et avec toi c'est juste pas possible-

- Fais ce que tu veux Jeremy je m'en branle. Par contre arrête de me péter les couilles à faire la victime et remets la musique. 

Julien afficha son air narquois. Cet air détestable qui donnait une subite impression de chaleur à Jeremy. Cet air qui lui donnait une subite envie de lui arracher la peau du visage avec les ongles. Cet air qu'il ne supportait pas, qu'il ne supportait plus. Le regard vague, il fit dos à Julien et se dirigea à petits pas en direction de la porte d'entrée.

Et la musique résonna de nouveau. 


Jeremy avait roulé prudemment malgré les tremblements de ses mains. Il s'était trouvé nostalgique pendant le petit morceau de route à travers la forêt. Peut-être que l'automne et ses diverses couleurs lui rappelaient trop de souvenirs. Il passait du sourire vitreux aux larmes insipides, celles qui coulent sans bruits, celles qui ne sont là que pour vous et vos émotions ternies. 

 Il se sentait fiévreux, un peu planant.

Je voudrais bien un truc à boire

La voiture se stoppa devant une petite maison chaleureuse. Jeremy sourit et tourna la clé du moteur. Il toqua trois fois, son sac sur l'épaule. La porte s'ouvrit et un sourire jaunâtre similaire au sien vint l'accueillir. 

- Comment ça va Gaël ? 

- Ce n'est pas toi qui devrait poser la question. 

Le susnommé accentua son sourire. Jeremy baissa la tête, gêné.

- Mais sinon moi ça va.

Gaël se décala et laissa Jeremy pénétrer dans le couloir sombre. 

- Gaël ? 

- Ouais ? 

Il releva la tête. 

- Fais-moi un café bien corsé s'il te plaît. 

Son interlocuteur hocha la tête et Jeremy jeta son sac sur le canapé. Il observa la cheminée. Des flammes rougeâtres y valsaient, son attention se focalisa sur leurs mouvements déstructurés. Il y avait quelque chose d'intime dans cette danse enflammée.

J'aurais aimé que Julien soit là. 

Mais Jeremy ne se rendait pas compte à quel point sa réflexion flirtait avec ses sentiments les plus sincères.  


Le tordOù les histoires vivent. Découvrez maintenant