Meilleurs ennemis

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"Oh, you're the best friend that I ever had

I've been with you such a long time

You're my sunshine and I want you to know

That my feelings are true

I really love you

Oh, you're my best friend"

You're my best friend – Queen


« Nous sommes des pensionnaires de l'asile de fous qui se trouve un peu plus loin sur la route, des psycho-céramiques, les pots fêlés de l'humanité. Voulez-vous que je vous déchiffre un Rorschach ? Non ? Vous êtes pressé ? Tiens ! Il est parti ! Dommage ! »

Ken Kesey, Vol au-dessus d'un nid de coucou (trad. par Michel Deutsch)


Le ciel était entièrement dégagé. Le matin avait commencé de bonne heure, clair et serein, améliorant les esprits perturbés.

Dissimulés dans les arbres, les merles chantaient à répétition, se racontant des mélodies d'été. Seule la brise participait à leur discussion, remuant les feuilles des aulnes et insufflant de la vie aux branches centenaires.

Ce lieu était chargé d'histoires : il mettait en commun des quotidiens et était témoin de différents passés alors qu'il ne promettait aucun avenir. Parmi les soignants comme chez les soignés, certains visages n'auraient pas dû être aussi jeunes, d'autres n'auraient pas dû être aussi vieux. Malheureusement, la tragédie se jouait à n'importe quel âge.

Une glycine sans fleur assombrissait les fenêtres de la cuisine réservée au personnel. La pièce n'avait pas été refaite depuis les années 60 : les pieds en inox de la table et des chaises composaient avec le plastique en damier une ambiance fade.

Plutôt que du papier peint, la cuisine n'était habillée qu'avec des carreaux blancs et neutres, presque tristes. Tout était si nu que les odeurs glissaient sans rien imprégner. C'était à croire que pas un seul repas n'avait été consommé dans cette cuisine.

L'infirmière Rachel finissait de verser du café dans une deuxième tasse et Batman en profita pour lui demander :

« Depuis combien de temps travaillez-vous ici ?

— Trop longtemps. »

Soit cette femme était trop pudique pour parler d'elle, soit son travail lui faisait oublier son identité ; de par son investissement, elle devenait une entité de l'hôpital, un fil du canevas qui n'en finissait plus.

« Avez-vous déjà entendu parler de la madone d'Arkham ?

— Oui. C'est une variante de la dame blanche de notre hôpital. Il y a eu tant de femmes maltraitées et tuées que les prétendantes au rôle du fantôme vengeur ne manquent pas.

— Vous y croyez ?

— Je n'encourage pas les rumeurs qui alimentent les phobies et les délires de nos patients. »

Consciencieuse, elle porta la cafetière vide à l'évier pour la nettoyer et préparer à nouveau du café pour les autres infirmiers.

La tasse était trop chaude et Batman patienta en regardant le journal posé à côté de lui.

La une montrait une marche blanche qui avait eu lieu la veille sur Field Avenue : un rassemblement en mémoire de Breonna Gemini, une femme noire victime de violence policière. Le choix de longer le commissariat avait été une décision forte.

La Madone d'ArkhamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant