"Un, deux, trois, petit oiseau
Vole, vole toujours plus haut
Un, deux, trois, petit oiseau
Reviens moi s'il le faut"
Un jour, le temps finit forcément par se refroidir. Petit à petit. Sans se presser. Et c'est ainsi que l'on reconnaît l'arrivée de l'automne. Ça et les feuilles mordorées qui commençaient à tapir le gazon du parc favori d'Alexandre et de Lucy. Parfois, l'une d'elles venait soigneusement se déposer sur le chemin qui menait au kiosque, et Alexandre prenait un plaisir coupable à sauter dessus. C'était devenu une habitude : trois ans qu'ils se connaissaient, trois ans depuis cette fameuse soirée, trois ans depuis le baiser sur le pont, trois ans qu'il passait ses automnes à sautiller sur le gravier. Et tout était beau, tellement beau. Peut-être trop ?
Alors qu'ils déambulaient le long du chemin, main dans la main, la jeune femme fut prise d'une forte toux, rapidement étouffée par le bruit de la circulation. Pris d'une inquiétude qui le surprit lui-même, son compagnon resserra sa prise sur la main de Lucy. Il la tenait fort, si fort que ses jointures en avaient blanchi. Peut-être que s'il s'accrochait suffisamment fort à elle, il empêcherait le vent de l'emporter ?
Car oui. Sa si chère petite artiste l'inquiétait énormément ces derniers temps : son teint blanchissait à vue d'œil, lui qui était déjà d'un nacre délicat semblait désormais constitué de porcelaine. Et que dire de son regard, avant si franc et dorénavant si fragile ? Oh, oui. Alexandre était plus qu'inquiet : il était terrorisé, pris d'une peur viscérale, qui vous agrippe le cœur et le comprime dans son étau. Lucy lui cachait quelque chose. Il n'y avait plus de "peut-être". Seule la peur persistait.
Cette peur, Lucy la ressentait, et chaque jour qui passait, elle culpabilisait de taire ses secrets les plus enfouis. Ils faisaient partie d'elle, et elle savait bien que ce n'était qu'une faible excuse qu'elle se donnait pour continuer de s'y accrocher. Mais parfois, parfois, il faut se séparer des non-dits. Ils ont beau être confortables, ce ne sont pas eux qui vous tiennent au chaud la nuit, qui vous réconfortent quand vous êtes triste ou qui rient avec vous dans l'intimité d'une nuit d'été. Alors Lucy s'était décidée à tout raconter, elle avait répété, répété, répété son texte jusqu'à le connaître plus que ses tables de multiplications, et elle avait peint, peint, peint jusqu'à ne plus sentir ses doigts pour combattre son envie de retourner sur le banc chercher sa précieuse pochette à dessins. Et le moment était venu, il finit toujours par arriver. Alors Lucy avait retiré son masque des mauvais jours, l'avait déposé soigneusement sur sa table de chevet, et avait pris quelques instants pour contempler son expression, brutale dans sa sincérité. Une expression que son miroir ne lui reflétait jamais. Son sourire s'était envolé.
Lucy revint à ses esprits lorsqu'elle vit que leur route était achevée : ils étaient arrivés devant devant le kiosque du parc, plus droit et majestueux que jamais. Pourtant, comme la si frêle promeneuse qui le contemplait, il était démoli de l'intérieur, car il savait à quelle scène il allait assister : Lucy s'était déjà écroulée tant de fois sur ses planches pour lui raconter ses secrets. Ainsi, quand Alexandre le premier posa son pied sur le parquet, il se mit à grincer. Il avait tenu durant tant d'années, résisté à tant d'intempéries, que sa propre faiblesse le surprit. Mais il s'était attaché à Lucy, il s'était attaché à son rire et à ses danses, à son humour si délicat et à ses grands yeux pétillants. Il s'était attaché à Alexandre, à son dos droit et à son petit sourire, à ses histoires abracadabrantes et à ses facéties. Et il ne voulait pas les voir souffrir, bien que le monde soit injuste, bien que le vent du destin souffle toujours plus fort sur ses flancs. S'il avait pu, il les aurait laissés rester là jusqu'à la fin des temps, il leur aurait offert le Soleil, la Lune et les étoiles. Mais il ne pouvait pas. Il ne pouvait que rester spectateur de tout ce gâchis.
Les deux amoureux s'assirent au beau milieu du kiosque, et, mains dans les mains, yeux dans les yeux, ils se racontèrent leur vie : Lucy lisait un nouveau livre formidable sur la psychologie de l'être humain dans la perte de l'être aimé, Alexandre avait trouvé une petite maison parfaite pour eux. Lucy avait eu une commande pour peindre une famille, et Alexandre s'était fait bien voir de son patron. Et puis soudain, alors que le jeune homme auquel elle tenait tant lui décrivait amoureusement la manière dont ils pourraient arranger leur salon, ou la petite balancelle pleine de verdure dans le jardin, Lucy l'embrassa fermement, et pourtant si délicatement qu'Alexandre en oublia toute idée de maison et de jardin. Tout ce qui l'intéressait désormais était cette jeune fille assise devant lui, et dont les lèvres épousaient si parfaitement les siennes, avec son odeur de peinture et de framboises. Pourtant, presque aussi fugacement qu'elle l'avait incité, Lucy coupa court au baiser. Elle se rassit confortablement, et regarda longtemps son compagnon, le dévisagea de ses grands yeux expressifs. Soudain, alors qu'Alexandre ouvrait la bouche pour lui demander ce qu'il se passait, elle n'y tint plus. Et enfin, ses yeux plantés dans les siens, elle lui dit ces phrases qu'elle avait tant répété :
-Je vais mourir, Alexandre. Ça y est. Je vais enfin m'envoler.
"Un, deux, trois, petit oiseau
Vole, vole toujours plus haut
Un, deux, trois, petit oiseau
Reviens moi s'il le faut"
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Quatre Saisons
Romance"Un, deux, trois, petit oiseau Vole, vole toujours plus haut Un, deux, trois, petit oiseau Reviens moi s'il le faut" Attention : les images ne m'appartiennent en aucun cas !