The Birth Of Sorrow

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Crowley était replié sur lui même, ses ailes noires comme la nuit l'entourant, formant un cocon de ténèbres autour de son corps secoué de sanglots.
Ses lunettes reposent non loin de là, jetées sans se soucier d'où elles pourraient atterrir par le démon roux.
Quelques bouteilles entouraient ce dernier, trônant çà et là autour des plumes de charbon.
Le démon fermait avec force ses yeux, cachant ses prunelles fendues telles celles d'un chat -ou plus justement, d'un serpent- alors que des souvenirs d'un passé depuis bien des millénaires révolu envahissaient brusquement son esprit.
Un soupir tremblant s'échappa de ses lèvres alors qu'il prenait une de ses plumes dans la paume de ses mains, hésitant à la tordre et la briser entre ses poings pour finalement passer avec douceur ses doigts dessus, la couleur d'encre comme semblant se dissoudre pour révéler le blanc le plus pur, la plume rayonnant d'une lumière éthérée, divine.
Voilà ce qu'elle était, voilà ce qu'il haïssait.
Pas réellement, finalement, mais se plonger dans le déni était toujours plus facile que de faire face à ses demons.
A ses démons.
Ah ah.
Ironie quand tu nous tient.

Au bout de quelques millénaires on finissait par s'habituer à se mentir.
Oh, Tellement facilement.
Celui qui se prénommait Crowley hésita encore un bref instant avant de laisser la plume choir, lentement, avec une douceur et légèreté qui le fascina presque.
Presque.
Jusqu'à ce que ne lui revienne en tête le dernier endroit où il avait vu de telles plumes voleter ainsi, un contexte bien moins paisible -si il l'était réellement- que celui présent.
La Première et Grande Guerre.
La « Révolution Glorieuse ».

—-

Des plumes voletaient tout autour de lui, tandis que le son des épées s'entrechoquant résonnaient avec une affreuse clarté à ses oreilles.
Un crissement de métal.
Un grognement sous l'effort.
Un cri suraigu.
Le floc d'un liquide touchant le sol, d'une teinte dorée qui vint couvrir sa joue.
Le son d'un cri alors que le sol se dérobe sous ses pieds pour laisser chuter le blessé, ses ailes semblant s'enflammer dans le processus, un râle d'agonie suivant sa progression.
Raphaël observe avec horreur, l'ange pour lequel il n'a rien pu faire, le sang versé sans qu'il ne puisse l'empêcher, la douleur ressentie sans qu'il ne puisse la guérir.
L'archange observe avec une horreur absolue la Guerre qui fait rage autour de lui.
Et lui, au centre de ce chaos au cœur même du Paradis, ne peut que se demander à quel point cet ange déchu doit souffrir en cet instant.
Un ange semblable à ceux qui  s'affrontent en ce moment même. Frère contre frère, sœur contre sœur.
Raphaël les observe, tétanise, figé sur place, ne pouvant croire à ce qui se passe devant lui.
Douleur.
Peur.
Souffrance.
Tant de sentiments négatifs qui régnent autour de lui.
Douleur.
Déchirement.
Foi.
Souffrance.
Les sentiments sont tous les mêmes, tous les mêmes touslesmêmestouslesmêmestouslesmêmes.
Raphaël sent de solitaires sillons d'eau couler le long de ses joues.
Il ne sait pas ce que c'est.
Des... larmes ?
Il n'y en a jamais vu ou eu depuis qu'il a été créé.
Et pourtant, devant la Guerre qui se déchaîne devant ses yeux il ne peut qu'exprimer les sentiments le déchirant de cette manière.

Raphaël sent les questions affluer dans son esprit.
Pourquoi tant de souffrance ? Pourquoi ne puis-je rien faire pour la soigner ? Pourquoi mes frères s'entretuent-ils ?
Pourquoi ?
Pourquoi le Tout Puissant laisse-t-il ses propres créations se déchirer ainsi ? Pourquoi ne fait-il rien pour les empêcher de Chuter ?
Raphaël est muet devant le premier carnage de l'Histoire de l'Univers.
Et il observe, de loin, depuis l'entrebâillement de la porte de la salle dans laquelle il s'est réfugié.
Il observe, le cœur remplit de honte, de douleur, de compassion et d'incompréhension mêlé d'une insondable tristesse le sang doré des anges se répandre sur les sols du lieu le plus sacré de la Création.
Il croise fugitivement le regard d'un ange blond dans lequel semble se refléter ses propres émotions avant que Raphaël ne referme la porte, incapable de regarder plus longtemps toute cette douleur, lui qui a été créé pour la guérir.
Il se laisse tomber le long de la porte, lentement, non pas comme ses frères et sœurs en direction de l'Enfer.
Il essuie d'un geste lâche les larmes s'écoulant de ses yeux, répandant un peu du liquide doré partout sur sa joue.
Il a tellement mal.
Il n'a pas de cœur, dans ce corps qui n'en est pas un, pas de cœur pour battre trop vite ou trop lentement, pas de cœur pour se serrer, faire se ralentir sa respiration sous le coup de la douleur.
Il n'a rien de tout cela mais ce n'est pas pour autant que son cœur en est moins endommagé.
Il serre d'une empoigne plus nerveuse que volontaire la lame de son épée de flamme.
Celle qu'il a été donné pour combattre.
Pour faire couler le sang.
Lui, qui de par son nom même incarne la guérison a été donné l'ordre de blesser, de tuer, d'envoyer en Enfer d'autres anges.
Raphaël laisse un rire nerveux s'échapper de sa gorge, ne pouvant y croire, et plaque ses mains sur ses oreilles, lâchant dans un éclat métallique sa lame, pour entraver ses sens jusqu'à ce que les bruits du combat s'efface et que, si il ferme les yeux et imagine avec la même force qu'il a usé pour faire naître tant d'étoiles, réussisse à imaginer que les vagues de sentiments négatifs lui parvenant ne sont que fruits de son imagination.
C'est si facile de se mentir lorsqu'on le veut autant que lui en cet instant.
Bientôt, les bruits des combats se sont tus, tout comme les sentiments l'assaillant en vagues.
Bientôt, il ouvre les yeux, essuie l'humidité sur ses joues.
Bientôt, aucun bruit ne résonne plus au Paradis.
Alors Raphaël se lève. Prend avec reluctance la lame qui lui a été confiée.
Il la prend et fait face au champ de guerre.
Quelques anges sont étendus au sol, leurs yeux vides fixant sans voir. Ils sont tous différents, tous différents et pourtant semblables.
La Mort et la Guerre, futur cavaliers de l'Apocalypse, sont pour la Première Fois nés au cœur du Paradis même.
Et tout ce que Raphaël peut faire c'est fixer avec sidération les corps immobile, ne saisissant même pas le concept de pouvoir ainsi cesser tout simplement d'exister.
Il ne comprend pas.
Pourquoi lui a-t-on donné le but de soigner sans lui dire qu'il pourrait échouer ?

La Chagrin Originel Où les histoires vivent. Découvrez maintenant